Dans cet article pour Confrontations Europe, Alain Coheur, Co-président d’ESS Forum International et Membre du Comité économique et social européen (CESE), nous expose l’avancement de la reconnaissance de l’économie sociale et solidaire à l’international.
La reconnaissance de l’Economie sociale et solidaire (ESS) à la fois dans une résolution des Nations Unies mais aussi dans la dernière Recommandation du Conseil de l’Union européenne d’octobre ouvre un champ des possibles unique : celle d’un basculement vers une économie au service de l’humain. Un tel basculement permettrait de répondre aux exigences de la transition juste et des Objectifs de Développement Durable, encore faudrait-il transformer l’essai et développer des politiques favorables à l’ESS dans l’Union européenne et ailleurs.
L’économie sociale et solidaire recouvre une large gamme d’organisations ou d’entreprises au service de l’intérêt général, à finalité sociale, ancrée sur des valeurs démocratiques et ce, sur l’ensemble des continents. Ce sont ces acteurs internationaux que le Forum international de l’ESS essaie de fédérer depuis presque 20 ans, notamment à travers les Rencontres du Mont-Blanc, le rendez-vous, complémentaire d’un Forum comme celui de Davos, pour une autre économie à la fois innovante, sociale, écologique. Après, un travail patient de plaidoyer, parfois semé d’embuches, au service de la reconnaissance de l’ESS au niveau des gouvernements et des institutions multilatérales, la portée transformatrice de cette dernière vient d’être reconnue à l’international à travers quatre séquences.
L’année 2022 constitue pour ainsi dire un premier tournant avec la résolution de la 110e Conférence internationale du Travail (CIT) de l’OIT sur l’économie sociale et solidaire donnant une définition commune et claire du sujet ainsi que l’affirmation de la contribution de l’ESS pour « assurer le développement durable, la justice sociale, le travail décent, l’emploi productif et l’amélioration des niveaux de vie pour tous ».
« L’économie sociale, également nommée économie solidaire et/ou économie sociale et solidaire dans certains pays, se compose d’un ensemble d’organisations telles que les associations, les coopératives, les mutuelles, les fondations et, plus récemment, les entreprises sociales. Dans certains cas, les initiatives communautaires, populaires et spontanées font partie de l’économie sociale, en plus des organisations à but non-lucratif, ce dernier groupe étant souvent appelé économie solidaire. L’activité de ces entités est typiquement motivée par la réalisation d’objectifs sociétaux, par les valeurs de solidarité, la primauté des personnes sur le capital, et, dans la plupart des cas, par une gouvernance démocratique et participative »
Pratiquement au même moment c’est l’OCDE, qui, dans une Recommandation du Conseil reconnait l’ESS comme un vecteur important de « création d’emplois à impact, d’engagement des jeunes, de promotion de l’égalité des genres » mais aussi comme facteur déterminant de la « résilience économique et sociale ». Selon la recommandation de l’OCDE, l’ESS a en outre prouvé son « efficacité dans le développement régional et local de différentes manières » et l’ESS est reconnues à travers des « pratiques économiques qui répondent à des besoins sociétaux (c’est-à-dire sociaux et/ou environnementaux) ».
La troisième séquence autour de la reconnaissance de l’ESS vient de se dérouler durant l’année 2023. En effet, après un travail patient de la plateforme interagences des Nations Unies sur l’Economie sociale et solidaire (UNTFSSE), la résolution, « Promouvoir l’économie sociale et solidaire pour un développement durable » (A/RES/77/28), a été adoptée le 18 avril 2023. Elle reconnaît que l’économie sociale et solidaire peut contribuer à la réalisation et à la localisation des Objectifs de développement durable (ODD). Elle enjoint également les « États Membres à promouvoir et à mettre en œuvre des stratégies, des politiques et des programmes nationaux, locaux et régionaux visant à appuyer et à favoriser l’économie sociale et solidaire », encourage « les entités compétentes du système des Nations Unies pour le développement, y compris les équipes de pays des Nations Unies, à prendre dûment en considération l’économie sociale et solidaire dans leurs instruments de planification et de programmation » et demande aux « institutions financières multilatérales, internationales et régionales mais aussi aux banques de développement de soutenir l’économie sociale et solidaire ». Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres devra en outre produire avec l’aide de l’UNTFSSE un rapport sur l’application de la résolution, compte tenu de la contribution de l’économie sociale et solidaire à la réalisation des ODD et à l’Agenda 2030.
En outre, Monsieur Guterres a également soumis lors de la 78e Assemblée générale des Nations Unies, tenue du 18 au 26 septembre 2023, son rapport sur les coopératives dans le développement social, dans lequel il rappelle que les coopératives « promeuvent le développement durable dans ses trois dimensions que sont le développement social, le développement économique et la protection de l’environnement, contribuant ainsi à l’inclusion sociale et à l’éradication de la pauvreté et de la faim », soient les trois dimensions présentes dans les 17 Objectifs de développement durable et les 169 cibles liées à ces objectifs.
La quatrième séquence de cette dynamique autour de l’ESS en 2023 se retrouve également à travers la toute première Recommandation du Conseil Européen relative à la mise en place de conditions-cadres pour l’économie sociale, en vue de promouvoir l’inclusion sociale et l’accès au marché du travail, adoptée en Conseil des Ministres de l’emploi le 9 octobre dernier, sous la Présidence espagnole de l’UE. La Ministre du Travail, Yolanda Diaz a ainsi précisé « Nous devons exploiter l’énorme potentiel de l’économie sociale, afin d’améliorer nos réponses aux défis sociaux et environnementaux auxquels nous sommes tous confrontés et de veiller à ce que personne ne soit laissé de côté », des mots similaires à ceux du Secrétaire général des Nations Unies lorsqu’il évoque l’Agenda 2030 et la transition juste.
Dans cette occurrence, la Recommandation du Conseil salue la contribution de l’ESS à l ‘accès au marché du travail, en particulier pour les groupes vulnérables, à l’inclusion sociale, notamment en matière de santé et de soins, au développement des compétences, y compris les compétences nécessaires aux transitions numérique et écologique, et à la promotion de l’innovation sociale et du développement économique durable. La Recommandation insiste également pour les organisations de l’ESS sur l’accès aux marchés publics, et sur la possibilité d’avoir des aides d’Etat et une fiscalité adaptée.
En effet, si l’ESS constitue l’une des réponses pour atteindre l’Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable, la question de son financement est alors cruciale. A l’heure où le capitalisme traditionnel et actionnarial a montré ses limites, il est urgent de libérer le plein potentiel de cette économie, « l’alignement des planètes » lié aux différentes résolutions internationales ne constitue ainsi qu’une première pierre à l’édifice. Transformer l’essai pour l’ESS nécessitera de travailler sur des partenariats comme le montre l’Objectif de développement durable 17, partenariat entre le Nord et le Sud global, mais aussi entre les institutions internationales, les gouvernements, les bailleurs de fonds, les collectivités, les coopératives, les mutuelles, les fondations, les associations, c’est à cette condition que l’ESS pourra ouvrir son champ des possibles.
Résolution A/77/L.60 « La promotion de l’économie sociale et solidaire au service
Groupe de travail inter-agences des Nations Unies sur l’Économie sociale et solidaire (UNTFSSE)