Donald Trump, une chance pour l’Europe ?

Par Grégory Glamoc, Consultant Stratégique

Aucun groupe de pays n’est aussi étroitement lié aux États-Unis que l’Europe atlantiste. Initialement, cette relation privilégiée concernait l’Europe de l’Ouest avant de s’étendre à l’Europe de l’Est, favorisant des liens commerciaux et financiers inégalés. En outre, l’Europe a bénéficié de la garantie de défense militaire des États-Unis, solidement ancrée dans l’alliance de l’OTAN. Ensemble, les États-Unis et l’Europe ont joué un rôle crucial dans la fondation du système global actuel, aujourd’hui fragilisé par la multiplication des instabilités géopolitiques.

La guerre en Ukraine marque le retour des conflits interétatiques en Europe, une situation que l’Union européenne s’est efforcée d’éviter depuis sa création, et révèle une grande dépendance vis-à-vis des États-Unis. Comme l’a évoqué Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, « C’était presque comme si les Européens disaient : Pour la guerre, appelez les États-Unis » (1). Or, les intérêts américains se trouvent désormais en Asie, où la Chine est devenue leur grand rival. Ainsi, Barack Obama avait déjà amorcé le « pivot asiatique », visant à « rééquilibrer » les priorités américaines vers l’Asie-Pacifique. Les Européens doivent se résigner à l’idée de ne plus figurer comme priorité américaine, surtout si Donald Trump devait retrouver les rênes du pouvoir.

Il est difficile de catégoriser la politique étrangère de Donald Trump en utilisant les schémas d’analyse classiques. Il n’est pas néoconservateur, réaliste traditionnel ou internationaliste libéral et ne s’inscrit, ni dans un pur isolationnisme, ni dans un interventionnisme, bien qu’il puisse s’inspirer de ces différents mouvements en fonction des circonstances (2). La « Doctrine Trump », que son administration nomme « réalisme de principe », s’inscrit toutefois dans la continuité du principe « d’America First » censé privilégier les intérêts américains avant tout, en particulier face au mondialisme, comme nous avons pu le constater durant son premier mandat. Sa déclaration « L’américanisme, et non le globalisme, sera notre credo » pourrait résumer sa pensée politique. Son mode de gouvernance peu orthodoxe inquiète de nombreux européens, en particulier en cette période charnière pour le continent. Bien qu’il soit difficile de prédire avec précision les évolutions transatlantiques de son potentiel retour à la Maison Blanche, il est possible d’émettre des hypothèses en se basant sur la doctrine, les déclarations, les actions passées et les nouvelles évolutions internationales. 

Le premier défi est celui de la Défense. En février dernier, Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait décider de ne pas protéger un allié de l’OTAN en cas d’attaque russe si ces derniers ne payaient pas leurs « factures ». L’ancien Président faisait référence à la règle de l’Alliance atlantique requérant de consacrer au minimum 2% de son PIB aux dépenses militaires. En 2023, seuls onze des 31 États membres respectaient cet accord. John Bolton, ancien conseiller néoconservateur à la sécurité nationale des États-Unis durant l’administration Trump, a affirmé dans une vendetta d’articles que ce dernier était passé « très près de se retirer » de l’alliance au Sommet de 2018 (3). Bien que cette option soit peu viable, compte tenu du vote par le Congrès d’une loi en décembre 2023 disposant qu’il est impossible de se retirer de l’OTAN sans l’approbation des deux tiers du Sénat, cette situation révèle la dépendance européenne vis-à-vis des États-Unis pour assurer sa propre sécurité. 

Dès son arrivée au pouvoir en 2016, l’ancien Président annonçait « L’OTAN nous coûte une fortune et, oui, nous protégeons l’Europe, mais nous dépensons beaucoup d’argent » (4). L’importance qu’accordent les États-Unis à la défense européenne est indéniable, que ce soit au sein de l’OTAN ou en Ukraine, dont Washington est le premier contributeur d’aide militaire (5). Le désengagement américain en Ukraine pourrait prendre plusieurs formes. Donald Trump souhaite mettre fin à la guerre sans que les États-Unis ne perdent la face. Il veut préserver l’image d’un dirigeant fort à la tête d’une Amérique puissante. Cependant, l’idée d’un accord avec la Russie inquiète les pays de l’Est. Cette inquiétude est particulièrement forte chez ceux qui sont frontaliers de l’Ukraine, de la Russie et de la Biélorussie. Leur peur est accentuée par leur histoire complexe avec la Russie et par le manque de confiance en la défense européenne. Bien qu’il soit difficile d’estimer la probabilité que Donald Trump respecte ou non l’article 5, garant de la défense collective de l’OTAN, le message fort que sa déclaration envoie peut être analysé sous un angle transactionnel. 

Augmenter le budget de la défense européenne permettrait aux Américains de réaliser des économies, mais aussi d’augmenter les exportations de matériel militaire vers l’Europe. En effet, l’Union européenne achète 63% de son équipement militaire aux Américains (contre seulement 22 % d’équipement européen) (6). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène, notamment le fait que l’acquisition de cet équipement s’accompagne d’une protection américaine et limite le désengagement des États-Unis en Europe au profit de l’Asie. Il ne faut ainsi pas sous-estimer l’importance économique de l’industrie de la défense américaine en Europe, qui est son premier marché étranger, l’Allemagne étant son principal client, suivi par la Pologne. 

Il faut également souligner qu’en dépit des menaces de Donald Trump à l’égard de l’OTAN, sa présidence a vu l’élargissement de l’Alliance avec l’adhésion du Monténégro en 2017 et de la Macédoine du Nord en 2020. Cette même administration a, en 2017, fourni des missiles Javelin, qui ont joué un rôle crucial dans la guerre contre la Russie, au point de devenir un symbole de la défense ukrainienne (7). 

Le deuxième enjeu à analyser est celui de l’économie, Donald Trump ayant dès son premier mandat érigé la réduction du déficit commercial avec l’Europe en priorité absolue. L’excédent commercial de l’Union européenne s’est encore creusé depuis son départ de la Maison-Blanche, malgré l’explosion des exportations de gaz naturel liquéfié vers le vieux continent. L’Allemagne, à elle seule, affiche une balance commerciale positive de 86 milliards d’euros (8). Il est donc probable qu’il rétablisse les droits de douane sur l’acier et l’aluminium, imposés en 2018 et suspendus par Joe Biden jusqu’en 2025. À cela, s’ajoutent les différentes taxes nationales de pays européens sur les géants du numérique et les amendes records infligées à ces derniers. Google a écopé d’une amende de 2,42 milliards d’euros et Apple de 1,8 milliard d’euros pour pratiques anticoncurrentielles. Sans surprise, le protectionnisme devrait être le crédo économique de Donald Trump. 

Loin d’être un continent homogène, certains Européens à l’image du Président hongrois, Viktor Orban, ou du Président polonais, Andrzej Duda, cultivent de bonnes relations avec Donald Trump, en lui rendant déjà des visites aux États-Unis.  Il est également possible que la diplomatie, à travers les institutions multilatérales telles que l’OTAN ou l’UE, soit affaiblie au profit de rapports bilatéraux renforcés. D’autre part, la présidence de Joe Biden n’a pas été de tout repos pour les Européens. L’Inflation Reduction Act (IRA) a été perçu comme une mesure protectionniste et, le retrait d’Afghanistan, effectué sans réelle coordination avec les partenaires européens, a suscité une véritable défiance de leur part. 

Ces dépendances et le risque de changement de stratégie américaine représentent un véritable défi pour le vieux continent. L’Union européenne a été fondée sur un idéal de prospérité et, surtout, de paix, à la suite des deux guerres mondiales qui ont ravagé le continent. La guerre en Europe semblait être un souvenir archaïque ; ce sentiment est désormais une illusion. Bien que l’Union européenne soit un géant économique, elle reste un nain politique. Être riche et faible est une combinaison dangereuse, dont les origines remontent aux débuts de la construction européenne. Le désengagement américain poserait alors un double paradoxe.

Le premier paradoxe réside dans la raison d’être de l’Union, qui ne se limiterait plus à prévenir les guerres, mais viserait également à se rapprocher de la puissance au sens traditionnel du terme, permettant ainsi à l’Europe de jouer un rôle significatif dans les affaires mondiales. Ce changement de paradigme deviendrait indispensable pour le continent en cas d’isolement. Le deuxième paradoxe concerne les États-Unis qui, tout en souhaitant une plus grande autonomie européenne, pourrait entraîner une indépendance accrue de l’Europe et, par conséquent, une réduction de la puissance américaine. 

La tendance à long terme et bipartisane aux États-Unis consiste à recentrer les intérêts américains vers l’Asie, reflétant l’importance croissante de cette région sur la scène mondiale. Les Américains, et en particulier Donald Trump, ont exprimé le souhait d’entraîner les Européens dans cette réorientation stratégique. Ainsi, Trump pourrait être perçu comme un accélérateur de ce phénomène. Cette évolution ne constitue pas nécessairement une chance pour l’Europe dans son ensemble. Elle comporte des menaces qui exigeront une transformation radicale des priorités européennes, mais qui pourraient également se transformer en opportunités, notamment en ouvrant la voie à une plus grande autonomie stratégique de l’Europe.

  1. European Union External Action, US: Speech by High Representative Josep Borrell at Georgetown University: “Europe is rediscovering the harshness of the world”.
  2. Michael Anton, The Trump Doctrine, Foreign Policy, 20 avril 2019
  3. Kelly Garrity and John Bolton, Why John Bolton Is Certain Trump Really Wants to Blow Up NATO, Politico, 12 février 2024 
  4. Aaron Blake, Donald Trump’s strategy in three words: ‘Americanism, not globalism’, The Washington Post, 22 juillet 2016 
  5. Valentine Fourreau, Quels pays envoient le plus d’aide militaire à l’Ukraine, Statista, 28 février 2024
  6. Raphaëlle Laurent, Défense : est-ce que les Européens peuvent reprendre le contrôle de leur sécurité ?, Les Echos, 10 avril 2024 
  7. Gilles Paris, Washington va fournir des armes létales à Kiev, Le Monde, 26 décembre 2017 
  8. Richard Hiault, Commerce : l’Europe dans la ligne de mire de Donald Trump, Les Echos, 7 mars 2024
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