Olivier Marty, enseignant en économie européenne à Sciences Po et à l’Université de Paris, nous livre dans cet entretien, ses perspectives sur les sanctions européennes mises en œuvre suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Propos recueillis par Thomas Dorget, Délégué général de Confrontations Europe.
Thomas Dorget : Quel regard portez-vous sur la réaction européenne à la guerre entre la
Russie et l’Ukraine ?
Olivier Marty : La réaction de l’Union européenne à l’agression russe a été rapide, résolue, unie
et puissante. Dès le lendemain de la reconnaissance des deux républiques sécessionnistes du
Donbass par Vladimir Poutine, le 23 janvier, des sanctions ont été actées par les Ministres des
Affaires étrangères de l’UE. Celles-ci étaient déjà plus fortes que celles que l’UE avait prises à la
suite de l’annexion de la Crimée, en 2014, notamment parce qu’elles bloquent l’accès des
institutions financières russes aux marchés et aux services financiers européens. Mais c’est surtout
en réaction à l’invasion russe de l’ensemble du pays, dans la nuit du 24 au 25 février, que des
mesures inédites ont été adoptées à l’unanimité par les chefs d’États et de gouvernement : celles-ci
portent un coup très brutal à l’économie russe et isolent le régime. En une semaine, les espoirs –
d’aucuns diraient les illusions – qui pouvaient subsister dans certains États membres et dans les
institutions, sur la capacité de l’Europe à faire de la Russie un partenaire de la sécurité européenne
ou à rendre le régime russe plus malléable au gré d’un dialogue fréquent ou de coopérations
commerciales, ont volé en éclats. L’Europe, désormais, a choisi son camp et s’est plongée dans le
grand bain de la « realpolitik », en envisageant tous les moyens de lutte, à l’exception
d’interventions armées.
Deux évolutions nationales sont notables. D’abord celle de l’Allemagne, qui a opéré un vrai
changement d’approche militaire en décidant d’allouer 100 milliards d’euros à la modernisation de
son armée et en acceptant de livrer des armes à l’Ukraine. Berlin a aussi accepté de réduire sa
dépendance au gaz russe en suspendant l’agrément du gazoduc Nord Stream II et admis devoir
payer le lourd cout économique des sanctions. L’Italie est aussi nettement revenue sur la
coopération qu’elle avait engagée avec la Russie ces dernières années et a balayé les craintes des
effets des sanctions pour son économie. Si la réaction européenne a été si rapide, comme le dit
Nathalie Tocci, la Directrice de l’Institut italien des Affaires internationales, c’est aussi parce que
l’UE sait que cette agression n’est pas seulement une guerre sur le continent, mais aussi une
agression directe contre elle. La coopération européenne en matière de défense a fait un bond en
avant spectaculaire, avec la coordination et le financement par l’UE, à hauteur de 450 millions
d’euros, de livraisons d’armes létales à l’Ukraine. Dans le domaine humanitaire, l’action de
l’Union pour coordonner et financer l’accueil des centaines de milliers d’Ukrainiens arrivant à ses
portes (en Pologne, Hongrie, Roumanie, Slovaquie, Moldavie) laisse espérer un rapprochement des
positions antagonistes existant sur ce dossier depuis 2015. Ce sont de vraies percées.