Par Monica Frassoni, Présidente, European alliance to save Energy
Dans cet article pour Confrontations Europe, Monica Frassoni analyse, pour Confrontations Europe, les pistes de réflexion afin de faire de la rénovation énergétique des bâtiments une priorité.
Contrairement aux temps d’avant, nous disposons aujourd’hui des technologies nécessaires à une transition rapide vers des bâtiments à zéro émission
À l’heure actuelle, la réduction de la consommation d’énergie et l’optimisation de son utilisation dans le secteur du bâtiment sont devenues des objectifs primordiaux.
Comme l’a souligné Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), doubler le taux de l’efficacité énergétique et tripler la capacité mondiale d’énergie renouvelable d’ici 2030 sont des étapes cruciales pour réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles et atténuer les effets du changement climatique. Les bâtiments jouent un rôle central dans ce défi mondial et font partie des éléments clés qui nécessitent une transformation rapide et complète pour lutter efficacement contre le changement climatique. Actuellement, les bâtiments représentent 39 % des émissions mondiales de carbone liées à l’énergie, dont 28 % proviennent de la consommation d’énergie opérationnelle pour le chauffage, le refroidissement et l’alimentation électrique, et 11 % des matériaux et de la construction. Environ 40 % de la consommation d’énergie mondiale est attribuée aux bâtiments, dont 75 % des bâtiments existants sont considérés comme inefficaces sur le plan énergétique et ont été construits avant la mise en œuvre de la législation sur la performance des bâtiments. Fait alarmant, entre 85 % et 95 % de ces bâtiments seront encore en service en 2050. Au rythme actuel de seulement 1 % de rénovations énergétiques par an, il faudrait plus d’un siècle pour atteindre l’objectif de neutralité climatique de l’UE en 2050.
Imaginez un monde où nous éliminerions les émissions polluantes et la consommation d’énergie inefficace associées aux bâtiments.
Le Buildings Performance Institute of Europe (BPIE) affirme qu’une isolation appropriée des habitations résidentielles pourrait permettre de réduire de 44 % la consommation de gaz naturel pour le chauffage. Avec une telle réduction, l’objectif de limiter à 1,5° l’augmentation de la température moyenne de la planète serait à portée de main, au lieu de sembler de plus en plus menacé.
Il existe des solutions fiables de chauffage et de refroidissement renouvelables, qui remettent en cause l’idée reçue selon laquelle le gaz est nécessaire en tant que combustible de transition. En outre, ces solutions font de l’hydrogène une option peu pratique et coûteuse dans le secteur résidentiel. L’amélioration de l’enveloppe des bâtiments, associée au déploiement à grande échelle de technologies telles que les systèmes techniques du bâtiment, l’éclairage intelligent, les solutions numériques de gestion et de contrôle de la consommation, ainsi que les pompes à chaleur, les systèmes de chauffage urbain et d’autres sources de chaleur renouvelables, constituent une stratégie cohérente pour atteindre nos objectifs.
L’Europe est actuellement à la pointe de ces technologies, le marché vert européen attribuant un rôle plus important que jamais à une législation ambitieuse et tournée vers l’avenir, visant à réduire rapidement les besoins en énergie dans le secteur du bâtiment et à promouvoir une nouvelle approche pour y arriver. La Commission a également renforcé la visibilité de cet agenda en lançant la « vague de rénovations » et l' »initiative Bauhaus » avant de dévoiler une législation spécifique. Ces deux initiatives visent à attirer l’attention non seulement de l’industrie et des décideurs politiques, mais aussi des investisseurs, du public et du secteur culturel sur l’importance cruciale de leur engagement dans la transformation des bâtiments pour qu’ils soient résistants au climat, confortables, plus sains tout en restant beaux.
Pour libérer tout le potentiel des bâtiments dans un système énergétique hautement efficace et flexible, il faut un cadre juridique solide et ambitieux, des ressources publiques et privées dédiées, des mesures spécifiques, une implication politique globale à tous les niveaux et le développement de compétences appropriées
Le temps presse, d’autant plus que les trois quarts du chauffage en Europe dépendent encore des combustibles fossiles et de l’électricité non renouvelable.
Malheureusement, ce qui devrait être une action évidente et urgente face aux effets accélérés et désastreux du changement climatique s’est avérée difficile à mettre en œuvre en raison de fortes controverses politiques. En particulier la refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), pierre angulaire de l’agenda du Green Deal, s’est heurtée à une forte opposition, notamment de la part de groupes d’intérêts spécifiques et de certains partis conservateurs traditionnels, qui s’orientent de plus en plus vers des positions climato-sceptiques ou négationnistes, modifiant ainsi leur attitude prudente, mais jusqu’à présent essentiellement constructive, à l’égard de la législation relative au Green Deal.
Cette évolution préoccupante souligne l’importance de veiller à ce que la transition écologique ne devienne pas l’otage de querelles partisanes, compte tenu de la menace existentielle croissante que représente le dérèglement climatique. Les bâtiments économes en énergie représentent une opportunité incroyable pour de nouvelles entreprises, la création d’emplois, l’amélioration du niveau de vie et la réduction des coûts énergétiques. La question clé reste la suivante : Comment pouvons nous élargir ces possibilités pour atteindre l’ampleur requise ?
Les solutions techniques sont sans aucun doute cruciales, mais elles sont insuffisantes à elles seules. Nous avons besoin de programmes de soutien pour les propriétaires, les locataires et les entreprises afin de faciliter l’accès à l’efficacité énergétique et aux solutions de chauffage et de refroidissement décarbonées. Ces programmes devraient s’adresser en priorité aux ménages les plus modestes et aux acteurs en difficulté économique. L’identification exacte des caractéristiques devrait être un processus national, lancé rapidement et exécuté efficacement. En outre, nous devons veiller à ce que ces programmes soient bien structurés, stables, à long terme, axés sur l’environnement et qu’ils fassent appel à des institutions financières. En outre, les décideurs politiques et les administrations à tous les niveaux doivent intégrer et organiser ces initiatives de manière efficace. Ainsi, la procédure législative en cours sur la directive EPBD est d’une importance capitale, en particulier l’établissement de normes minimales de performance énergétique adéquates au niveau de l’UE et la planification globale au niveau national. Nous devons recadrer le discours autour de l’EPBD, en encourageant un débat constructif et axé sur le contenu, sur la meilleure façon de faciliter une vague de rénovations écologiques à grande échelle sans accabler les plus vulnérables.
Cette transformation n’est pas seulement possible, elle est impérative.
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