Le 12 Septembre 2022, suite à la réunion du Conseil de l’Union européenne sur l’énergie, Confrontations Europe organisait une conférence sur les réponses européennes à apporter à la crise énergétique actuelle autour des panélistes suivants : Christophe Beguinet, conseiller énergie de Confrontations Europe, Michel Derdevet, Président du think tank, Patrice Geoffron, Directeur du CGEMP et Professeur d’économie à l’Université de Paris Dauphine-PSL et Jacques Percebois, professeur d’économie émérite à l’université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (Creden).
Les intervenants ont, dans un premier temps, abordé les causes de la crise actuelle de l’énergie. Ils ont particulièrement souligné que l’augmentation des prix de l’électricité sur le marché de gros était intrinsèquement liée à la montée des prix sur le marché gazier. Sur le marché de l’électricité SPOT (transactions du jour au lendemain), le prix étant fonction du coût marginal de la dernière centrale appelée (ordre de mérite), l’augmentation de son coût de fonctionnement se répercute nécessairement sur le prix de gros de l’électricité.
En outre, la non-disponibilité d’un certain nombre d’infrastructures de production conduit à une
diminution de la capacité électrique. Il en est ainsi de nombreuses centrales pilotables, comme
les centrales thermiques fermées, les centrales nucléaires actuellement en maintenance ou encore
les installations hydroélectriques dont la production a été réduite par la forte vague de sécheresse ayant traversé l’Europe durant l’été.
I. Réformer le marché de l’électricité
Par conséquent, plusieurs hypothèses ont été évoquées afin de limiter l’impact de l’augmentation des prix sur les particuliers et les entreprises européennes.
- La première d’entre elles, évoquée notamment par la Commission européenne à l’occasion du Conseil du 9 septembre, est la réduction de la demande. Cette solution de recours à la sobriété énergétique pour compenser la baisse de la production, bien que devant être stimulé par un certain nombre de mesures incitatives, devrait essentiellement être fonction de l’augmentation des prix qui conduirait mécaniquement les ménages à réduire leur consommation.
- La seconde hypothèse – écartée par la Commission – consisterait à remplacer les enchères à prix limite par des enchères à prix offert. Ce faisant, les acteurs proposent chacun leur coût marginal pour la production d’électricité et les fournisseurs sont rémunérés selon le prix qu’ils proposent et non le dernier prix retenu. Cependant, les anticipations rationnelles des acteurs économiques et notamment l’anticipation de la « malédiction du vainqueur » pourraient conduire ceux-ci à risquer de perdre les enchères afin d’éviter la signature d’un contrat qui se révélerait peu profitable. Une telle réforme du système d’enchères n’apporterait dès lors que peu de changements par rapport au fonctionnement actuel.
- Analysé dans un article corédigé par Jacques Percebois et Stanislas Pommeret et publié dans la Revue de l’Energie, un autre modèle serait la mise en place d’un « merit order » fondé sur la moyenne horaire pondérée par la puissance des coûts marginaux. Dans ce cas de figure, des centrales ayant un coût marginal supérieur à cette moyenne horaire se verraient verser une compensation. La mise en place d’un tel modèle conduirait mécaniquement à une rente inframarginale sensiblement plus faible pour les producteurs. Le modèle d’analyse élaboré sur un semestre entre 2021 et 2022 démontre que l’application d’un tel système permettrait une augmentation du Tarif réglementé de vente (TRV) de 7%.
- Le plafonnement du prix du gaz utilisé dans la production d’électricité, solution mise en œuvre en Espagne et au Portugal, se base sur l’idée que la baisse du prix du gaz entraînerait mécaniquement une baisse du prix de l‘électricité à l’équilibre. Cela suppose toutefois un subventionnement du gaz par l’Etat. Un tel mécanisme, qui semble fonctionner en Espagne, requiert néanmoins peu d’interconnexions pour éviter la fuite du gaz subventionné et son application au niveau européen devrait se faire de concert avec la création d’un fond destiné au subventionnement de la mesure.
- La dernière solution, qui bénéfice d’ailleurs de la préférence de la Commission, est le plafonnement de la rente des centrales inframarginales. Ce prix inframarginal serait ainsi plafonné autour de 200 euros/MWh. Toutefois, il doit être noté qu’une telle mesure aurait un effet très variable selon les pays. L’usage de la rente inframarginale prélevée serait également questionné en ce qu’elle pourrait être utilisée pour faire baisser les coûts de production des centrales marginales.
Les intervenants ont, en outre, mis en avant la nécessité de réfléchir à la mise en place de solutions de long terme pour assurer un meilleur fonctionnement du marché européen de l’énergie. Deux principales solutions apparaissent :
- La mise en place d’un système de l’acheteur unique tel que proposé par la France au début de la libéralisation du marché de l’énergie par opposition au système adopté d’accès des tiers au réseau
- Le retour à un système de planification des investissements de production, car dans le système actuel, les acteurs économiques vont être réticents à investir dans une augmentation des capacités de production qui conduiraient à une baisse du prix du gros de l’électricité. Ainsi, ils privilégieraient une situation de sous-capacité permettant de générer des revenus supplémentaires. Une telle situation est sous-optimale car la surcapacité permet de garantir une production suffisante pour faire face à la soudaine mise en arrêt de plusieurs centrales inframarginales.
II. Réponse européenne à la crise
Depuis la fin de l’année 2021, la Commission a amorcé un certain nombre d’initiatives afin de répondre à la crise énergétique :
- Mise en place d’une boîte à outil pour intervenir sur les prix à partir d’octobre 2021 ;
- Lancement de RePower EU le 8 mars 2022 (publication de la communication) ;
- Embargo sur le pétrole et sur le charbon russe ;
- Proposition de règlement Save gas for a safe winter visant une réduction sur une base volontaire de 15% de la consommation d’énergie de chaque Etat membre ;
- Conseil énergie du 9 septembre 2022 : discussion de plafonnement des prix ainsi que d’une contribution volontaire des entreprises.
Dans le cadre de REPower, il est nécessaire de remplacer 150 milliards de mètres cube d’énergie russe. Ces énergies fossiles peuvent être remplacées par d’autres sources d’importation et de production d’énergie fossile à hauteur de 30-40%. Dans ce contexte, de nouveaux terminaux GNL sont actuellement en construction mais le marché est aujourd’hui très concurrentiel, notamment du fait de la hausse de la demande asiatique. Par ailleurs, l’importation de gaz depuis la Norvège et l’Algérie demeure limité par la capacité d’exportation de ces pays. Pour suppléer à ce déficit dans les importations, une réponse de moyen terme serait le recours au biométhane tel que proposé par la Commission. Il est ainsi prévu la production en Europe de 35 milliards de mètres cube de biométhane d’ici 2030, signifiant de fait une multiplication par deux de la production par rapport aux ambitions initialement formulées. Un renforcement des ambitions en termes de production et d’importation d’hydrogène vert est également mis en avant, bien que cette technologie n’atteindrait véritablement sa maturation qu’en 2030. Enfin, l’accélération du déploiement d’infrastructures d’ENR est envisagé dans le plan REPower EU.
III. La mise en place d’un bouclier tarifaire
Le mécanisme de gel tarifaire mis en place très tôt en France est aujourd’hui très protecteur et donc compliqué à réduire. De son côté, la Commission européenne s’est montrée favorable à ce type de mécanisme à condition qu’il se limite à une part marginale de la demande du fait de sa faible soutenabilité.
IV. L’imbrication des marchés de l’énergie des Etats membres
La crise énergétique de cette année révèle les dysfonctionnements de la stratégie énergétique de l’UE, caractérisée par un marché unique et 27 politiques nationales. Il apparait alors essentiel de mettre en œuvre une convergence des politiques énergétiques. Cette nécessaire convergence se heurte cependant au droit des Etats membres de conduire de manière indépendante leur stratégie énergétique. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose notamment que les Etats membres sont autorisés à déterminer les conditions d’exploitation de leurs ressources énergétiques et la structure générale de leur approvisionnement énergétique. Les intervenants ont ici souligné le caractère paradoxal de cette dernière disposition, tandis que les réseaux de transmission d’énergie européens sont parmi les mieux interconnectés du monde. Il s’agit par ailleurs de permettre aux européens de bénéficier d’un pouvoir de négociation plus important dans la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement.
V. La protection de l’industrie et des ménages pendant l’hiver 2022-23
La première question soulevé sur ce point est celle de la capacité de production. Celle-ci est amené à évoluer notamment, s’agissant de l’hydroélectricité, mais de nombreux doutes subsistent concernant les centrales thermiques et nucléaires. La possibilité d’un délestage d’une partie de l’industrie est aujourd’hui probable, bien que celui-ci devra être ciblé. Plusieurs capacités d’autoproduction peuvent aussi être mises en place par les entreprises pour compenser ce délestage. Par ailleurs, Les ménages et en particulier les plus précaires devraient être moins sollicités pendant l’hiver afin d’éviter une dégradation de leurs conditions de vie et du climat social pendant l’hiver. Des mesures d’ajustement de la demande en fonction des différentes heures de la journée « intraday » n’est néanmoins pas à exclure comme cela a déjà été mis en œuvre dans plusieurs pays européens comme l’Allemagne.
Percebois, Jacques, « Flambée des prix de l’électricité : quelle réforme structurelle du marché européen ? » in Connaissance des Energies, 31 août 2022
Percebois, J., Pommeret, S. (mai-juin 2022). Marché de l’électricité : comment faire face aux épisodes de prix extrêmes ?, Revue de l’Energie, (n°662)
Annonce d’un plafonnement à 180 MW/h le 13/09/2022
Organisation du marché intérieur de l’énergie, Communiqué de Presse, IP/95/276