Compte Rendu du petit-déjeuner « Europe et Industrie »

Les enjeux d’une politique industrielle européenne

Le 3 avril dernier, la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale a organisé un petit-déjeuner « Europe et Industrie », à l’Hôtel de l’industrie, en partenariat avec Confrontations Europe, la Banque des Territoires et Quaero Capital.

Dimitri Zurstrassen, analyste politique sur la politique industrielle de l’UE à l’Université LUISS Guido Carli (Rome), et Samuel Klebaner, Maître de conférences en économie à l’Université Sorbonne Paris Nord, sont intervenus pour échanger sur la politique industrielle européenne et les défis associés, tels que la transition écologique impliquant la décarbonation du secteur et son autonomie stratégique.

Réalisant, tout d’abord, un état des lieux de la compétitivité de l’industrie européenne, Dimitri Zurstrassen a exposé plusieurs problèmes auxquels est confrontée la politique industrielle de l’Europe. Elle est en situation de décrochage par rapport aux concurrents américains et chinois, par son manque d’entreprises de haute technologie, d’innovation et de modernité. Elle reste aussi dépendante en importations des pays tiers, aboutissant plus généralement à une baisse des parts européennes de marché de l’industrie au niveau mondial. La faible attractivité des investissements européens, qui sont peu nombreux et lents en raison de procédures trop lourdes, participe aussi à diminuer la compétitivité de l’industrie. 

Durant la mandature 2019-2024, la politique industrielle européenne a évolué et cherché à atteindre sa souveraineté. C’est pourquoi de nouveaux instruments de financement, des politiques de régulation et de défense commerciale face aux activités étrangères, et des mesures liées aux objectifs environnementaux ont été mis en place. 

Malgré ces changements, les problèmes structurels de cette politique subsistent. Le continent européen continue d’être dépendant de ses partenariats étrangers, principalement américain, au détriment de sa souveraineté. Les stratégies industrielles nationales sont, de plus, divergentes, ne parvenant pas à s’accorder sur l’importance à donner à la politique industrielle européenne face à leur politiques commerciale et industrielle propres. Enfin, la Commission européenne ne bénéficie pas de moyens financiers suffisants et de compétences législatives pour favoriser une politique industrielle plus complémentaire et contraindre les choix des Etats membres dans le domaine. 

Pour autant, quelques solutions et perspectives existent pour endiguer ces problèmes structurels.  De nouveaux outils devraient être élaborés pour faciliter le financement de la politique industrielle de l’UE, ou lutter plus rapidement contre la concurrence déloyale afin de permettre la souveraineté de l’Europe en matière industrielle. 

À la suite des propos de Dimitri Zurstrassen, plusieurs participants ont mis en avant les problèmes fondamentaux auxquels faisaient face leurs entreprises. Ils ont dénoncé le manque de simplification des procédures et la surrèglementation qui imposent des délais d’implantation, de recrutement, empêchant la politique industrielle de se développer. 

Le problème de centralisation des décisions des mesures au sein des instances européennes a aussi été pointé du doigt. La capacité des Etats membres de pouvoir bloquer des décisions par veto, ne favorise pas une politique industrielle européenne efficace. Par exemple, alors que la souveraineté industrielle est décisive, certains Etats membres, plus exportateurs, seraient moins enclins à accepter les objectifs de souveraineté. Les participants ont alors jugé que les pouvoirs publics devraient davantage définir les objectifs européens, dans un processus de planification de la politique, et que l’Europe devrait avoir des compétences presque exclusives, et « fédérales », face aux Etats. Cela permettrait de s’accorder sur des objectifs communs et d’éviter le sentiment d’un manque d’objectifs clairs dans la politique industrielle, mis en lumière par le débat. La multiplicité des objectifs de la politique industrielle européenne, comme la décarbonation, la souveraineté alimentaire, l’agriculture, ne doivent pas exclure l’objectif principalement qui reste sa compétitivité. Enfin, le problème de la concurrence déloyale a été mentionné comme un frein majeur dans l’atteinte de l’autonomie stratégique de l’Europe.  

L’un des objectifs majeurs de la politique industrielle européenne est le défi environnemental et précisément la nécessité de décarboner les secteurs de l’industrie, de réduire leurs émissions de CO2 pour atteindre la neutralité carbone. 

En utilisant l’exemple de la sidérurgie, secteur fortement émetteur, le second intervenant, Samuel Klebaner a présenté trois trajectoires possibles de mises en place des mesures techniques pour décarboner les industries lourdes.

Il est tout d’abord possible de réduire le volume de production en Europe, comme le fait précisément la France depuis les années 2000 qui en contrepartie, importe de l’acier, depuis le Brésil ou l’Inde, dont la demande locale croit fortement. Il en va de même en Europe avec une augmentation des importations depuis l’étranger, bien que les sites de productions européens en sidérurgie soient en sous-capacité de production.

Ensuite, l’électrification de la sidérurgie en faisant fondre de la ferraille dans des fours à arcs électriques, permet tout de même de produire de l’acier, mais de façon décarboner. Cependant, l’offre de ce type particulier de four n’est pas encore assez développée pour répondre à la demande et sa consommation énergétique d’électricité est très importante. Le captage et le stockage ou le réemploi du CO2 peuvent aussi être envisagés, bien que ce ne soit pas de réelles solutions de décarbonation, puisqu’il ne s’agit que d’un report temporel des émissions.
Enfin, en changeant les procédés de production de la sidérurgie et en utilisant notamment du gaz naturel ou de l’hydrogène pour produire de l’acier, les émissions peuvent être réduites. 

Ces trois trajectoires sont accompagnées de plusieurs enjeux politiques et économiques pour les pouvoirs publics. Premièrement, dans une course à la compétitivité et aux capacités de production, l’approvisionnement en matières premières et ressources est menacé par la mondialisation et le contexte géopolitique mondial. Recentrer les productions vers le local et ne pas céder à la tentation de la délocalisation, incitée par les technologies de pointe apparaissant au Brésil, qui est capable de produire de l’acier neutre climatiquement, est alors fondamental pour décarboner l’industrie.

Deuxièmement, il est intéressant de valoriser la réutilisation de la ferraille dans une idée d’économie circulaire. Elle permet de faire face aux défauts d’approvisionnement et à la possible délocalisation à l’étranger pour favoriser la production européenne. Cependant, elle nécessitera une production d’électricité très importante, qui doit être garantie à prix bas pour les consommateurs, par une politique d’électricité européenne.

Troisièmement, il faut être capable de réaliser des investissements d’infrastructures de façon coopérative en dépassant la concurrence entre régions européennes.  

C’est pourquoi Samuel Klebaner a finalement rappelé l’importance de la planification et de la formation de politiques qui répondent aux besoins et à la demande sociale des citoyens. La puissance publique européenne doit pouvoir guider l’industrie et sa production vers les besoins, tout en délaissant le prisme d’une rentabilité obligatoire. Il faut tirer les besoins de l’industrie à partir des besoins de nos sociétés.  

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