COMPTE RENDU DE LA CONFÉRENCE DU 13 MARS 2025 : « NOUVELLE AMÉRIQUE : UNE CHANCE POUR LE RÉVEIL DE L’EUROPE »

Confrontations Europe et la Fondation Saint-Omer Valeurs Transatlantiques ont organisé le 13 mars dernier une conférence intitulée « Nouvelle Amérique : Une chance pour le réveil de l’Europe », au cabinet Mayer Brown à Paris, autour de :

  • Philippe Étienne, ancien Ambassadeur de France aux États-Unis et membre du Conseil scientifique de Confrontations Europe
  • Édouard-François de Lencquesaing, Président de la Fondation Saint-Omer Valeurs Transatlantiques et du Conseil scientifique de Confrontations Europe
  • Alban Dorin, Associé dans les départements Banking & Finance et Global Projects du cabinet Mayer Brown à Paris

Propos introductifs

En introduction de cette conférence, Édouard-François de Lencquesaing a souligné l’ampleur des défis sociologiques et économiques de l’Europe et de l’Amérique en ce début 2025. Un double défi : d’une part, celui de la démocratie trop souvent taxée de décadente, et d’autre part celui d’une Europe morose et aux résultats décevants. La Fondation Saint-Omer Valeurs Transatlantiques, s’inspire du modèle de pères fondateurs éduqués à Saint-Omer au 18ème siècle. Elle cherche à répondre à ce défi en revisitant ces valeurs communes et à retrouver le chemin d’une démocratie qui répond aux ambitions d’origine avec un modèle à la fois universel et adapté au monde moderne. Avec le think tank Confrontations Europe, il s’agit de retrouver l’enthousiasme des origines et faire de l’Europe une entité politique et économique dans la course de la quatrième révolution industrielle et l’ère digitale. En effet, ces défis ont été analysés par son Conseil scientifique, qui a mis en évidence le risque existentiel que courait une Europe, confrontée à de trop grands écarts entre promesses et réalisations. Il a également proposé des solutions concrètes (« bottom-up ») et rapides à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs de souveraineté et de puissance, en privilégiant l’innovation et l’industrialisation. Cette proposition donnait la priorité aux industries de défense avec un levier potentiel important de « ruissellement » pour irriguer, au côté des nouvelles technologies, telles que l’IA, les autres industries ! Cependant, comme pour les rapports Draghi et Letta, un déclencheur était nécessaire pour faire suivre les bonnes idées d’un processus d’exécution, qui constitue une des faiblesses de l’Europe. La « nouvelle Amérique » du président Trump est de fait ce
« déclencheur surprise » tant attendu. Les conditions du réveil de l’Europe sont désormais réunies. Il s’agit maintenant de voir comment ce réveil permettra de retrouver le bon sens collectif pour regagner son leadership mondial, rattraper les États-Unis et maintenir sa place dans le jeu géopolitique mondial.

En ce qui concerne la révolution sociétale américaine, Édouard-François de Lencquesaing met l’accent sur la dérive de la liberté vers le libertarisme, pouvant survenir à tout moment dans notre société numérique et exacerber l’individualisme face au collectif et à une vision classique du bien commun. Il revient aussi sur certaines questions fondamentales qui impliquent une réflexion active sur les valeurs de la démocratie qui nous paraissaient naturelles et à portée progressivement universelle.

Voilà les questions abordées lors de notre débat avec Philippe Étienne, qui a proposé une analyse approfondie des stratégies nécessaires pour permettre à l’Europe de rayonner sur la scène internationale.

À travers sa réflexion, il a insisté sur la nécessité d’une coopération équilibrée pour les relations transatlantiques. En tant que président du 80ème anniversaire de la libération de la France, il a mis en avant l’importance pour les États-Unis d’avoir une Europe forte comme partenaire. Il s’est pour cela montré très attentif au maintien des relations solides entre les deux continents.

Les priorités dégagées pour retrouver une compétitivité européenne à la hauteur des principaux concurrents

  • Souveraineté et compétitivité : déployer une politique de défense européenne

Philippe Étienne met l’accent sur une priorité essentielle pour renforcer les capacités technologiques de l’Europe : le réarmement. Certains pays, comme l’Allemagne, qui s’est récemment dotée d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros pour les investissements, commencent à renforcer leur industrie de défense. Toutefois, dans le contexte géopolitique actuel, Philippe Étienne souligne la nécessité d’investissements européens conjoints dans le secteur de la défense, inspirés du modèle américain de ruissellement technologique. Il a rappelé que cette démarche ne date pas du début de la guerre en Ukraine mais a bel et bien déjà été amorcée il y a quelques années, avec l’utilisation d’un budget européen pour bâtir la défense européenne.

Se référant aux discussions du Forum sur la sécurité et la défense, et plus précisément aux propos de Charles Fries, Secrétaire général adjoint du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), il souligne l’importance du règlement EDIRPA, qui finance les achats communs, à un niveau encore expérimental. Il précise notamment que 300 millions d’euros du budget européen ont été mobilisés pour permettre un investissement de 11 milliards d’euros concernant des achats communs de missiles et de munitions.

Il note ainsi qu’un véritable processus vers une politique européenne de défense a été lancé et repose notamment sur une base industrielle et technologique solide. De nouvelles idées et propositions sont en train de se mettre en place, comme la création d’une filiale spécialisée dans le financement de l’industrie de la défense, proposée par la Banque européenne d’Investissement. Cependant, il estime qu’il faudra aller encore plus loin, notamment en explorant la possibilité de financer des emprunts européens. À l’avenir, l’Europe devra investir 800 milliards d’euros dans sa défense commune pour répondre aux défis géopolitiques actuels. Concernant ce point, Philippe Étienne a expliqué que 650 milliards d’euros proviendraient de l’assouplissement des règles du pacte de stabilité.

Bien entendu, la guerre en Ukraine et les changements de priorités américaines (discours de JD Vance à Munich) impliquent une refondation d’une politique de défense européenne avec des armées déjà supérieures aux forces russes. À court terme, il s’agit de mettre en place, peut-être avec des forces onusiennes, des moyens pour sécuriser une paix potentielle. Puis, à moyen terme, il s’agit de trouver dans l’OTAN les axes de synergie et de méthodes communes d’emploi des forces entre les armées des pays européens et autres alliés dont le UK.

Parallèlement, il souligne que l’effort de défense doit être présenté comme un moyen d’améliorer la compétitivité européenne, tout en développant sa capacité technologique. Philippe Étienne a d’ailleurs identifié un écart croissant de PIB entre l’Europe (17 000 milliards) et les États-Unis (29 000 milliards). Il insiste pour cela sur la nécessité de trouver des sources de financement dans le cadre du budget européen, comme à travers le nouveau budget pluriannuel que la Commission prépare actuellement. La restructuration des financements avec la création de plusieurs fonds, comme celui dédié à la compétitivité semble être un bon début.

De manière plus large, dans une approche plus « bottom-up », sur d’autres axes clefs de développement et de croissance il s’agirait de s’appuyer plus sur des groupes « d’avant-garde » qui progressivement entraineraient les autres et contrebalanceraient ainsi la lourdeur d’une gouvernance aujourd’hui à 27 et demain à plus.

Par ailleurs, ce défi de compétitivité doit s’appuyer aussi sur nos talents propres et en particulier mettre en œuvre une stratégie active pour récupérer nos chercheurs encore en Amérique. Philippe Étienne a notamment recommandé de s’appuyer sur le potentiel humain et scientifique européen pour stimuler l’innovation et a aussi souligné l’importance de préserver l’excellence du Conseil européen de la Recherche.

  • Repenser le narratif européen

Philippe Étienne met aussi l’accent sur la question du narratif européen avec le concept de « destinée-manifeste », en s’interrogeant sur ce qui pourrait réellement unir les Européens autour d’un modèle qui leur soit propre. D’après lui, l’idée d’une Europe, qui se veut protectrice et capable de répondre aux menaces croissantes, est un premier pas, mais reste bien insuffisant. L’Europe doit plutôt se positionner en tant que puissance souveraine, défendre ses intérêts tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales. L’ancien Ambassadeur fait une comparaison éloquente avec la Chine qui s’était donnée pour ambition claire de devenir la première puissance technologique mondiale, ambition pour laquelle la Chine s’est donné les moyens de réussir et y est parvenue.

L’Europe, de son côté, doit pour s’affirmer, non seulement réguler les technologies, mais aussi devenir un acteur clé de l’innovation et du progrès technologique, en développant une stratégie précise.

De plus, en s’appuyant sur la relation entre les citoyens et les politiques européennes, Philippe Étienne insiste sur un enjeu principal, qui est selon lui, de nourrir la notion de citoyenneté européenne par le biais de programmes concrets qui ont un écho auprès des populations. À ce titre, Erasmus est déjà un bon exemple de réussite, peut être encore trop élitiste et qu’il faut donc étendre à des publics plus larges et aussi faire « ruisseler ».

Il suggère que l’Europe s’inspire pour cela de son modèle coopératif en développant encore davantage les délibérations et la participation citoyenne déjà existantes. Contrairement aux projets clairs de la Chine, de la Russie ou des États-Unis, l’Europe repose sur un modèle d’intégration propre à elle, voulue par sa population, que l’on pourrait caractériser comme « inédit ». D’après Philippe Étienne, c’est cette approche qui suscite une certaine crainte de la part de nos concurrents.

  • Privilégier une diplomatie européenne plus inclusive

La vision de l’Europe comme « donneur de leçon », peut parfois donner une image assez problématique. Face à cette vision de l’Union, il souligne la nécessité d’apprendre à écouter les autres et appelle à une diplomatie plus ouverte, plus proche des autres nations, dans le but d’établir un dialogue constructif et respectueux sur la scène mondiale.

Sur le plan du système international, il revient sur la construction d’un système de coopération internationale, où la politique doit davantage être couplée avec les normes environnementales et sociales. Il mentionne notamment l’accord de Paris sur le climat comme exemple de coopération internationale menée par l’Europe avec succès, ainsi que la French Heritage Society, comme modèle de coopération culturelle transatlantique réussie. Il estime important de trouver une solution afin de construire de nouvelles relations avec l’Amérique latine, par exemple, en se basant sur les intérêts communs que l’Europe partage avec elle. Avec une approche collaborative, qui va au-delà de la compétition géopolitique, il avance la nécessité de trouver une méthode de réconciliation, un véritable consensus avec d’autres régions du monde partageant des objectifs communs. Pour cela, il cite deux exemples importants : le renforcement du noyau franco-allemand avec l’arrivée du nouveau chancelier qui a très vite compris où étaient les enjeux et pris des décisions importantes et inédites pour ce pays, ou encore le développement de liens avec un autre grand pays, la Pologne.

Philippe Étienne conclut son analyse sur l’importance de se concentrer sur un modèle de développement technologique engageant pleinement ses citoyens. Il plaide pour une approche « bottom-up », dans laquelle toutes les parties de la société contribuent à la construction d’une Europe forte et unie, prête à faire face aux défis du XXIe siècle.

Ce modèle unique européen s’enracine dans son patrimoine culturel, un élément fondamental de son identité, rappelant l’époque de la Renaissance, une période particulièrement riche et propice, dans laquelle l’Europe rayonnait. Cette période d’innovation et d’échange culturel doit constituer la base du futur européen.

Pour Philippe Étienne et Édouard-François de Lencquesaing, l’Europe pourra redevenir une véritable puissance en maintenant ses relations avec l’autre côté de l’Atlantique, mais aussi en s’appuyant sur notre unité et la cohérence de nos actions. En somme, la solution réside avant tout dans la force de la société civile, car ce sont de ces échanges et de ces initiatives, que peuvent faire émerger les réponses et les solutions face aux défis actuels. C’est en prenant chacun notre part de responsabilité individuelle, comme lors de cette conférence, que nous serons en mesure de façonner le renouveau de l’Europe.

La conférence s’est poursuivie de manière interactive avec les nombreux invités présents à la fois dans la salle (90 personnes) et en ligne (60 personnes dont des lycéens du Lycée Pasteur à Lille). Les échanges vifs et éclairés ont porté sur les enjeux et solutions possibles face à l’agressivité américaine, les suites du conflit russo-ukrainien, le rôle de l’Europe pour affirmer son modèle et (re)séduire ses publics face à la montée des populismes. Ces échanges sont la démonstration de la vitalité de la société civile pour participer au renouveau de l’Europe en agissant, chacun à son niveau, pour porter cette voix singulière d’une Europe compétitive, sociale et juste.

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