Par Olivier Marty, Président d’Educ-EU, société de formation sur l’Union européenne
Ursula von der Leyen s’est assez logiquement imposée aux chefs d’État et de gouvernement et aux parlementaires pour un deuxième mandat. Son bilan était flatteur, en particulier en réponse aux crises qui ont frappé l’Union, et son positionnement politique, notamment à la suite des élections européennes de juin, a été habile. L’équipe du nouveau Collège désormais constitué reflète globalement les équilibres politiques et le programme de travail de la prochaine mandature a été établi : les circonstances semblent donc favorables au déploiement d’un programme ambitieux, pragmatique et
pro-européen, dans la ligne du précédent. Cependant, il est utile, au regard de la lourdeur des dossiers à traiter et de l’éclatement des forces politiques, de s’interroger sur le cheminement de la prochaine Commission. Le deuxième mandat s’annonce-t-il aussi prometteur que le premier a été réussi ?
Des dossiers à risques assombrissent l’horizon
La Présidente élue de la Commission a présenté en juillet dernier un programme de travail relativement changeant par rapport à celui de son premier mandat. Ce dernier a dû logiquement tenir compte des contestations qui se sont fait jour à la fin du cycle précédent sur la politique environnementale et, dans le même temps, des nouvelles réalités politiques issues des élections. Le nouveau Parlement européen est en effet marqué par un déplacement sensible de son barycentre vers la droite et, surtout, par une fragmentation accrue. L’enjeu du verdissement reste important, mais moins prioritaire, et les questions de compétitivité et de défense sont placées en haut de l’agenda. L’élargissement, la stabilisation de la périphérie européenne, le logement ou l’alimentation font l’objet d’une attention renouvelée ou inattendue.
“Le nouveau Parlement européen est en effet marqué par un déplacement sensible de son barycentre vers la droite et, surtout, par une fragmentation accrue.”
Dans ce contexte, quatre dossiers importants de la prochaine législature paraissent difficiles à traiter. Le premier est celui de l’immigration. L’adoption du Pacte éponyme a représenté un progrès dans la mesure où l’Union a montré sa volonté de mieux traiter ensemble de cette question épineuse. Cependant, la dimension dite de « responsabilité » concernant les contrôles a dominé celle de la « solidarité ». L’équilibre politique au sein du Conseil reste très conservateur et des pans entiers du sujet n’ont guère été abordés. Or, le mandat 2024-2029 impose de s’assurer, non seulement de la mise en
œuvre du Pacte, mais aussi de traiter des questions en suspens : migration légale, coopération poussée avec les pays d’origine, assurance que les refoulements de personnes soient efficaces et conformes aux valeurs européennes.
L’élargissement constitue un deuxième dossier épineux, qui a véritablement rattrapé l’Union avec la guerre en Ukraine. Désormais, l’impérieuse obligation de stabiliser les Balkans occidentaux en leur offrant une perspective européenne ne peut plus être éludée. Au-delà, la promesse faite à l’Ukraine,
à la Moldavie et à la Géorgie oblige l’Union à la cohérence et au respect de ses propres valeurs. Or, une Union élargie demain à 36 membres impose d’améliorer sensiblement la gouvernance de nos institutions et de remettre en cause les politiques et le budget communautaire, tout en organisant une adhésion des opinions publiques encore éminemment divisées sur la question. Dans une Europe malmenée par le populisme et la percée des gouvernements europhobes et eurosceptiques, cela s’apparente à une gageure.
La négociation du prochain cadre financier pluriannuel est une troisième question. L’échéance de l’enveloppe budgétaire actuelle se rapproche et la Commission devra mettre sur la table une proposition de réforme difficile en 2025. Les réelles avancées posées par le plan NGEU1 peuvent certes servir de modèle pour un nouveau cadre liant réformes, investissements et conditionnalité, y compris en matière d’état de droit. Cependant, la négociation d’une plus grande enveloppe budgétaire, l’adoption effective de nouvelles ressources propres et une flexibilité accrue risquent de se heurter au
conservatisme usuel des États dans un contexte macroéconomique peu aidant. La négociation d’un nouvel emprunt commun, pourtant utile au regard des besoins d’investissements colossaux de l’Union, sera encore plus difficile.
La continuité du soutien à l’Ukraine et la montée en puissance de la défense européenne apparaissent comme un quatrième défi. L’action résolue de l’Union aux côtés de Kyiv, marquée par l’adoption de sanctions sans précédent à l’encontre de Moscou, par une aide militaire hésitante mais constante
et par un soutien financier très conséquent, couplé à une perspective d’adhésion, soulève des interrogations grandissantes – et par ailleurs légitimes – au sein des États membres. De même, la volonté résolue de la Commission d’avancer sur le dossier de la défense commune sous la houlette d’un nouveau Commissaire dédié au sujet risque de rouvrir les brèches du scepticisme, de la division et de la déception, même si le retour de Donald Trump au pouvoir pourrait servir d’électrochoc pour aller de l’avant.
Des défis particulièrement difficiles à relever
Outre ces dossiers difficiles, la Commission von der Leyen II aura à relever des défis plus ardus encore. Le premier concerne la conciliation de la croissance, de la politique industrielle, et du verdissement de l’économie. Ainsi que le préconise le rapport Draghi, la grande dynamique environnementale doit être servie par une coordination des politiques industrielle, commerciale et de concurrence, de façon à soutenir des technologies propres en fonction de leur caractère innovant et de la compétitivité de l’offre internationale. À cet égard, certains pays devront accepter que le libre commerce délivre des solutions et que l’interventionnisme de la puissance publique européenne ne règle pas tout. Dans le même temps, la Commission devra agir sous un contrôle étroit dans la mise en œuvre du Pacte vert.
La stabilisation du voisinage constitue un autre défi majeur. La bonne conduite de la dynamique d’élargissement, sur la base de la nouvelle méthodologie adoptée, alliant réformes, avancées des négociations et ouverture graduelle aux bénéfices de l’adhésion, sera un premier test en ce sens. Ce
dernier impliquera en outre une affirmation géopolitique accrue de l’Union pour lutter contre les ingérences étrangères. Au-delà, la reprise d’une ambition pour la Méditerranée reposant sur une offre complète de partenariats d’investissement, de commerce, d’énergie et de migrations est à saluer. Elle
devra cependant reposer sur une excellente coordination de la Commission, des bailleurs de fonds et des États membres. Plus loin, une position plus engagée de l’Union au Moyen-Orient, à commencer par le sujet de Gaza, doit être souhaitée.
Le maintien de la cohésion interne de l’Union ne sera pas la moindre des difficultés. Au Parlement européen, la représentation plus éclatée des groupes politiques et la porosité à craindre entre le PPE et les groupes situés à sa droite risquent de conduire à des divisions et autres blocages sur des dossiers sensibles, tels que l’immigration, les mesures écologiques et environnementales ou encore l’action diplomatique et économique extérieure. Dans le même temps, la percée des partis populistes de la droite eurosceptique ou europhobe, qui unissent désormais mieux leurs forces, comme le montre la
constitution du nouveau groupe Patriotes pour l’Europe, annonce un véritable risque de dilution des valeurs européennes sur l’immigration, l’état de droit, les droits civiques ou la libre circulation.
“La percée des partis populistes de la droite eurosceptique ou europhobe, qui unissent désormais mieux leurs forces, (…) annonce un véritable risque de dilution des valeurs européennes sur l’immigration, l’État de droit, les droits civiques ou la libre circulation.”
Enfin, l’Union européenne devra poursuivre dans la voie de l’affirmation de sa puissance. Dans un contexte de rivalités géostratégiques toujours plus vif, de compétition technologique et de risques sur sa sécurité, elle devra déployer l’ambitieuse « politique économique extérieure » souhaitée par la Commission. Cette dernière passe par l’intensification de ses partenariats visant à sécuriser les matières premières critiques et les technologies propres, mais aussi par une politique commerciale ouverte et parfois résolument défensive. Le renforcement du réseau « Global Gateway » mêlant
investissement, commerce et soutien macroéconomique aux partenaires mondiaux ira également en ce sens. Dans le même temps, la politique étrangère devra être plus affirmée, en particulier vis-à-vis des États-Unis et de la Chine.
Conclusion
À l’orée de la nouvelle législature, Ursula von der Leyen bénéficie certainement d’une bonne réputation et d’une dynamique porteuse issue de son précédent mandat à la tête de la Commission. Son nouveau programme est également à saluer sur bien des plans. Cependant, la difficulté que son Collège pourrait avoir à trouver des voies d’accord avec des États et un Parlement divisés sur des dossiers difficiles et sur des défis plus profonds augure pour le moment d’un mandat moins porteur que le premier. Cette situation imposera certainement à la Commission de devenir plus politique pour donner des gages et pointer les bénéfices de solutions plus ambitieuses, davantage assimilées et mieux coordonnées entre les institutions et les États membres.
(1) NGEU : Next Generation EU.