Johan Van Overtveldt
Président de la Commission des budgets du Parlement européen
Comme la pandémie les années précédentes, l’invasion russe et notre soutien à l’Ukraine vont dominer le budget européen en 2022 et au-delà. Laissez-moi commencer par présenter les deux enjeux les plus importants liés aux répercussions économiques actuelles: la bête inflationniste et la crise énergétique.
Les récents chiffres européens ne nous donnent aucune raison d’être optimistes : la croissance ralentit en Europe et notre activité économique est en perte de vitesse. La bête inflationniste est bien vivante et le fait savoir puisque l’inflation est devenue généralisée dans l’Union.
Nous avons laissé derrière nous le monde des prévisions inflationnistes solidement établies et stables et nous sommes entrés dans un monde caractérisé par une inflation durable. La réponse des banques centrales à cette poussée inflationniste manque de conviction et de crédibilité, pourtant absolument nécessaires pour renverser la vapeur sur ce changement de régime et pour revenir à un contexte de faible inflation.
Casser ce nouveau régime et revenir à des prévisions inflationnistes solidement établies sera une tâche difficile qui nécessitera beaucoup de courage et de persévérance. Cela exige avant tout des banques centrales qu’elles montrent une détermination sans faille à apprivoiser la bête inflationniste et à tout faire pour atteindre cet objectif. Des taux d’intérêt sensiblement plus élevés sont le seul moyen d’y parvenir. L’écart entre les taux d’intérêt nominaux d’un côté, et le rythme de l’inflation d’autre part, reste ridiculement grand et doit être réduit de manière significative.
Il existe un large consensus sur le fait que la brusque flambée inflationniste actuelle a commencé avec l’escalade des prix de l’énergie. Il est faux, comme beaucoup le font, de pointer du doigt la guerre en Ukraine comme un déclencheur des hausses impressionnantes des prix de l’énergie. Entre mai 2021 et décembre 2021, l’inflation globale dans la zone euro est passée de 2% à 5%, principalement en raison de l’augmentation des prix de l’énergie. La guerre n’a commencé qu’à la fin de février de cette année. Il est évident que les tensions et les incertitudes générées par l’agression militaire brutale, non provoquée, de l’armée de Vladimir Poutine a entraîné une nouvelle escalade des prix de l’énergie, mais cette graine avait déjà été semée.
Quel a été le déclencheur de l’augmentation des prix de l’énergie qui a entraîné le processus d’inflation? Il y a plusieurs candidats, mais le plus convaincant est que les politiques introduites en Occident, et bien évidemment dans l’Union européenne, visant à réaliser la transition énergétique en s’éloignant des combustibles fossiles et de l’énergie nucléaire ont eu une incidence majeure sur la hausse des prix de l’énergie.
Permettez-moi d’être absolument clair et sans équivoque. Nous devons décarboner et nous débarrasser des combustibles fossiles. De même, nous devons passer à des sources d’énergie bien plus durables. Toutefois, la triste réalité est que nous avons mal géré le processus et certainement grandement sous-estimé les problèmes qui surgiraient inévitablement pendant la période de transition entre un système énergétique largement basé sur les combustibles fossiles et un système bien plus décarboné. Face à l’augmentation, ou du moins, au non-fléchissement de la demande d’énergie ainsi qu’aux politiques monétaires insuffisamment restrictives des banques centrales, les prix ont inévitablement flambé et cela s’est répercuté sur toute l’économie.
Aujourd’hui, nous faisons des réserves de gaz à un rythme effréné, mais sans approvisionnements énergétiques alternatifs supplémentaires et sans réduction de la demande, il pourrait y avoir des pénuries d’approvisionnement énergétique pendant cet hiver puisque la consommation de gaz totale de la plupart des États membres pendant les mois les plus froids est supérieure à la capacité de stockage.
Les enjeux mentionnés ci-dessus ont de graves conséquences sur le budget de l’Union. Contrairement aux budgets nationaux des États membres de l’UE, le budget européen ne bénéficie pas d’un revenu nominal plus élevé du côté fiscal. Dans un budget à l’équilibre, le niveau des recettes est entièrement plafonné au niveau des dépenses. Le seul élément croissant est la marge de manœuvre, car la différence entre le plafond des paiements et le plafond des ressources propres de 1,40% du RNB (Revenu National Brut) sera plus grande. Toutefois, cela nécessite une croissance économique qui serait tout à fait inespérée dans les circonstances actuelles. L’inflation entraîne donc une perte de valeur du budget européen, ce qui a des répercussions négatives sur nos politiques, nos programmes et les bénéficiaires de nos fonds.
Premièrement, le budget actuel du CFP (Cadre Financier Pluriannuel), qui est censé être un outil d’investissement, n’est pas en mesure dans sa taille actuelle et avec ses règles actuelles de répondre à ces nouveaux besoins. Les besoins actuels de l’Ukraine et notre politique énergétique ont des effets d’éviction inévitables car il y aura moins de ressources pour les victimes d’autres urgences dans d’autres parties du monde.
Les latitudes et les marges intégrées au CFP actuel sont à leur maximum. Toutes les disponibilités dans les chapitres budgétaires sont accessibles par des transferts ou des budgets rectificatifs. Pour rester résilients et pouvoir répondre rapidement, nous devons repenser et réformer le CFP actuel afin de lui apporter une plus grande latitude et une meilleure réponse à la crise, conformément aux temps modernes et aux besoins.
Deuxièmement, nous devrions utiliser le potentiel du budget européen de manière plus proactive. Le plan «RePowerEU» accélérerait l’introduction progressive de sources d’énergie renouvelable. De même, le Fonds social pour le climat est la première initiative visant à offrir une compensation de la hausse des prix de l’énergie via le budget européen aux foyers les plus vulnérables et aux petites entreprises. Alors faisons les progrès nécessaires pour le faire fonctionner et l’intégrer pleinement au CFP.
Troisièmement, nous devrions nous concentrer sur le potentiel du budget européen à atténuer l’impact de ces crises. Plusieurs de nos instruments de dépenses existants ont déjà été déployés pour soutenir l’Ukraine et ses réfugiés. Nous devrions continuer à utiliser ces instruments qui ont fait leurs preuves plutôt que d’inventer de nouveaux outils ad hoc. Le budget européen est en principe la meilleure option offrant la meilleure valeur ajoutée et surtout, des mécanismes de contrôle adéquats.
Quatrièmement, nous devrions espérer que la FED, et en tout cas la BCE, feront plus, bien plus, pour nous empêcher de rester bloqués dans un nouveau régime qui est structurellement instable en raison de l’inflation persistante.