Marcel GRIGNARD
Président de Confrontations Europe
En ce début d’été, les frictions entre les États membres sont montées d’un cran. Les invectives publiques confirment les divisions qui font vaciller l’Europe de crise en crise. Le sort de migrants en quête d’un port d’accueil agit comme un révélateur.
L’arrivée au pouvoir de leaders nationalistes, souvent anti-européens virulents et dépeignant l’étranger comme une menace n’est pas une surprise ; depuis plusieurs années déjà, nous nous alarmons de la montée régulière des partisans du repli qui va de pair avec une défiance croissante vis-à-vis de l’Europe.
Les risques que ces dirigeants font prendre à leur peuple et aux Européens sont occultés par des électeurs convaincus des limites, pour partie bien réelles, des politiques européennes. Les promesses d’une liberté retrouvée du Royaume-Uni grâce au Brexit se transforment en une série de difficultés : l’improbable résolution de la question de la frontière irlandaise, les profondes divisions de la société britannique, le recul de la livre, la menace d’un départ d’Airbus du territoire britannique ne modifient guère les rapports de force entre pro et anti Brexit.
L’Europe vacille sous l’instabilité politique d’une partie de ses États membres, la mise en cause des valeurs européennes ailleurs et si sa Constitution protège la France de quelques déboires, elle ne l’épargne pas sur le fond. Ces crises nationales sont la cause profonde de la crise européenne et de ses divisions.
Il nous faut comprendre les raisons de ces divisions et éviter les jugements péremptoires, c’est pourquoi le cœur de ce numéro offre un regard sur l’état des opinions des citoyens polonais, tchèques, roumains, allemands. Sur l’accueil des migrants comme sur d’autres sujets, il faut, au-delà des désaccords, comprendre ce qui tient aux histoires particulières des territoires, aux trajectoires des individus. Nous l’avons compris à Confrontations en écoutant les jeunes apprentis polonais, allemands, français que nous avions rassemblés révéler des écarts nationaux conséquents dans la mobilité de leurs ascendants. Et pouvons-nous faire comme s’il n’y avait pas de ressentiments dans cette partie de l’Europe quant à la manière dont s’est opérée leur intégration à l’UE ?
Ce n’est qu’en dépassant le conflit entre souveraineté nationale et souveraineté européenne que nous relèverons les défis qui nous attendent.
Il est politiquement et moralement inacceptable de laisser les pays d’accueil (Grèce, Italie…) gérer seuls les migrants arrivant sur leurs côtes. L’absence de solidarité n’est pas étrangère aux résultats des dernières élections italiennes. Les solutions sont difficiles à construire, la solidarité européenne doit être effective mais l’imposition de quotas de migrants à accueillir occulte les dimensions culturelles et les histoires des territoires tout en éloignant des perspectives communes à plus long terme.
Il faut donner tout son sens au concept de « souveraineté partagée entre Européens », qui signifie qu’elle n’appartient ni aux institutions ni par morceaux à chaque État membre. La souveraineté partagée oblige à une relation avec des citoyens qui sont partie intégrante d’un destin commun où s’entremêlent dimensions nationale et européenne. Elle pousse les chefs d’État et de gouvernements à construire un intérêt commun qui ne peut ignorer la diversité des cultures, des histoires et des préférences nationales. C’est en décidant de projets portés par notre destin commun d’Européens en matière de défense, d’investissements industriels et humains, de cohésion des territoires… en nous assurant de leur plus-value par rapport à nos politiques nationales que nous devenons davantage Européens et consolidons nos souverainetés nationales sans nous y enfermer comme dans une forteresse.