Carole ULMER
Directrice des études de Confrontations Europe
Fort de son écosystème numérique, le Royaume-Uni était un fervent partisan du Marché unique numérique,
prôné par la Commission européenne, et l’un des pays membres les plus actifs dans les discussions sur les dossiers
relatifs à la régulation de ce secteur. Quelles seront les implications du Brexit sur l’équilibre des débats
européens en la matière et sur le secteur du numérique en Europe plus globalement ?
Avec sa myriade de start-up innovantes – plus de 40 % des licornes européennes, ses centres de formation d’excellence, son capital humain envié et la puissance de son capital-risque, Londres s’est imposé comme un hub digital majeur – voire comme le hub digital – de l’Union européenne ces dernières années. Si bien que la perspective du Brexit inquiète l’écosystème digital européen.
Politiquement, le Royaume-Uni était influent dans les débats sur le numérique : il a indiscutablement inspiré le projet de Marché unique numérique de la Commission européenne de 2014 et il était considéré comme le chef de file d’une coalition de pays (Danemark, Estonie, Suède, Pays-Bas) très « pro-numériques ». Au Parlement européen également, les députés britanniques se mêlaient abondamment de numérique, telle la présidente de la Commission au Marché intérieur (IMCO), Vicky Ford, ou encore Claude Moraes à la Commission sur les Libertés publiques (LIBE). Si Varsovie espère remplacer Londres comme défenseur de l’économie numérique au sein du Conseil, le départ du poids lourd britannique n’en aura pas moins un impact non négligeable sur le rapport de forces entre pro-numériques libéraux et pays plus « conservateurs » et attentifs à la protection.
Ce changement de barycentre intervient au moment où sont débattus des dossiers clés pour la régulation du numérique. La Commission européenne vient notamment d’annoncer son intention de produire un texte à l’automne sur la libre circulation des données non personnelles (« Free flow of data »). Le Royaume-Uni s’était clairement positionné sur ce dossier en affirmant : « data is beautiful », et en prônant un possible transfert des données anonymisées transfrontières sans restriction. De même, alors que les discussions se poursuivent autour des plateformes, le Royaume-Uni s’affirmait clairement contre une régulation spécifique – à la différence de la France ou de l’Allemagne. Enfin, le départ des Britanniques aura également une incidence sur l’équilibre des débats autour des enjeux de sécurité (ePrivacy) ; ils y défendaient une vision stricte des besoins de sécurité.
« Jamais bon pour les affaires »
Le monde de la Tech britannique – qui a massivement voté en faveur d’un maintien au sein de l’Union européenne l’année dernière (plus de 87 % des personnes travaillant dans le secteur ont voté pour le remain) est avant tout confronté à l’incertitude juridique. « Jamais bon pour les affaires », disent-ils. Au premier rang des sujets d’inquiétude, se retrouve la question sensible de l’accès à des talents étrangers dans l’hypothèse d’une politique d’immigration stricte et d’une fermeture des frontières. Plus globalement, c’est l’enjeu de l’accès au marché unique européen et donc de la capacité à grandir (scale-up) aux investissements étrangers qui se posent pour les entreprises britanniques. Et concrètement, des start-up britanniques pourraient être exclues de programmes d’investissement européens (Marché unique numérique, mais aussi des fonds spécifiques comme le fonds créatif européen, par exemple). Serait-ce une bonne chose pour les autres écosystèmes digitaux européens ? On pourrait le croire… Et l’on voit les Français et les Allemands envoyer des signaux clairs aux « cerveaux » britanniques afin de les attirer chez eux. Mais, dans une économie de hub et d’écosystème, l’affaiblissement du pilier londonien fragiliserait en fait l’ensemble européen. Le Brexit pourrait pousser l’Europe encore plus loin sur la pente d’un « Techxit » généralisé. Le risque globalement serait de creuser le retard européen vis-à-vis du reste du monde dans le domaine numérique. Une telle cassure ne serait dans l’intérêt de personne dans ce domaine. « Le Royaume-Uni est puissant avec un secteur numérique très développé, et nous aurons toujours besoin de bonnes relations dans ce domaine avec les Britanniques » résume Andrus Ansip, vice-président à la Commission européenne en charge du marché unique numérique. Car le risque est de voir nos talents et nos investissements s’orienter vers d’autres horizons que l’Europe.