Auteur : Anand Menon
Directeur du centre de recherches « The UK in a Changing Europe » et professeur de Politiques européennes et de relations internationales au King’s College de Londres. Il est l’auteur avec Geoffrey Evans de Brexit and British Politics, publié en 2017 aux éditions Polity Press
Theresa May a fini par démissionner, début juin. Mais les prétendants à sa succession se retrouvent confrontés à la même situation. Trouveront-ils le moyen de sortir de la crise ? Anand Menon, professeur de politiques européennes au King’s College, analyse les solutions potentielles à ce « Brexit sans fin ».
Et voilà : nous aurons bientôt un nouveau Premier ministre(1). Fin juillet, Boris Johnson ou Jeremy Hunt succéderont à Theresa May. Qu’est-ce que cela changera au Brexit ? Dans les faits… sans doute pas grand-chose.
Les deux candidats à la direction du pays ont assuré qu’ils étaient en mesure de sortir de l’impasse. Boris Johnson a prévu de mettre le backstop(2) au rebut, et, si la solution s’avérait problématique, de différer le paiement de la facture de 39 milliards de £ que le Royaume-Uni doit régler à l’Union européenne. En dernier recours, il est prêt à quitter l’Union sans accord.
Quant à Jeremy Hunt, il entend conduire les négociations avec Bruxelles au moyen d’une équipe renouvelée, incluant des membres du European Research Group(3) et du Parti démocratique unioniste, afin d’arracher ses propres concessions sur le backstop. En cas d’échec, il se résoudrait lui aussi au no-deal le cœur lourd.
Bref, c’est à peu près le même programme. Et le même ton. Alors que l’un assimile l’Union européenne de l’Allemagne nazie, l’autre la compare à l’Union soviétique. Faites votre choix…
Concernant le fond de leur discours, ils semblent, l’un comme l’autre, promettre des choses qu’ils devront, dans le meilleur des cas, obtenir de haute lutte. Impossible d’être catégorique à ce sujet, puisque personne ne sait comment l’Union européenne réagira au nouveau Premier ministre et à ses exigences. On peut néanmoins imaginer qu’entre un no-deal et une nouvelle mouture du backstop, les négociateurs subiront des pressions de l’intérieur de l’Union pour adopter la seconde solution.
Une possibilité cependant très hypothétique, étant donné l’insistance du Conseil européen sur le fait que la dernière extension de la date limite définie par l’article 50 n’impliquera aucune renégociation de l’Accord de sortie.
Les hommes changent, pas les choix
Nous voilà donc de retour au point de départ, à la situation de novembre. Notre Premier ministre sera confronté à la même alternative que son prédécesseur : sortir de l’Union avec un accord, en sortir sans accord, ou ne pas en sortir du tout. Et, point crucial, il sera confronté au même Parlement, au sein duquel ne se dégage aucune majorité claire en faveur de l’une de ces trois options.
Le président de la Chambre des Communes, John Bercow, n’en a pas fait mystère : il ne laissera pas le gouvernement contourner le Parlement. Il est donc fort probable que les députés contrecarrent toute tentative de quitter l’Union sans accord (même si, pour ce faire, certains conservateurs devront prendre le risque d’encourir les foudres de leur nouveau leader).
Le nouveau chef du gouvernement devra donc faire un calcul. Sans majorité parlementaire, il est fort probable que de nouvelles élections générales aient lieu avant celles prévues en 2022. Mais quand ?
En supposant, comme le pensent la plupart des observateurs, que Boris Johnson soit choisi par les membres du Parti conservateur, il devra faire un choix. Quel que soit le planning précédant un éventuel no-deal, on l’imagine difficilement mener à bien une sortie sans accord (encore faudrait-il qu’il gagne le Parlement à sa cause) sans un vote public préalable. Des perturbations semblent inévitables.
Tenter de faire passer un accord à peine amendé devant la Chambre serait quasi certainement voué à l’échec, comme l’a montré l’exemple de Theresa May. D’un autre côté, un Brexit repoussé au-delà du 31 octobre constituerait un véritable cadeau de Noël avant l’heure pour Nigel Farage.
Il est possible qu’un nouvel occupant particulièrement audacieux du 10 Downing Street tente le grand plongeon, et se présente devant le peuple pour demander un mandat et un nouveau Parlement afin de mener le Brexit à bien. Il s’agirait d’un jeu à hauts risques – mais qui en vaudra peut-être la chandelle. À défaut de quoi, il s’avère fort probable que la dernière semaine d’octobre ne ressemble trait pour trait à la dernière semaine de mars, avec un Parlement refusant tout ce qu’on lui propose et notamment une sortie sans accord, et un nouveau Premier ministre condamné à demander une rallonge supplémentaire à Bruxelles.
- L’artic en 1993, l’ERG rassemble des parlementaires du Parti conservateur opposés à l’Union européenne.le a été écrit à la fin du mois de juin.
- Le backstop que l’on peut traduire par « filet de sécurité » désigne le fait de maintenir temporairement ouverte la frontière irlandaise.
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