Astrid du LAU D’ALLEMANS et Stéphane ROZES
Psychanalyste et fondatrice d’Anima Mundi et Président de la société de conseil Cap, et membre d’Anima Mundi
Grexit, Brexit… L’Europe doit faire face à de multiples crises qui mettent en lumière la diversité de visions du monde que porte chaque État européen. Ne serait-ce pas là justement la marque du génie européen ?
On ne parle plus de l’Europe que pour évoquer les crises croissantes qu’elle traverse. Il semblerait que nous en ayons connu le point d’orgue avec la crise grecque qui a mis en exergue le dysfonctionnement de l’Union européenne. L’Europe comme polyphonie des peuples dans leurs singularités a montré son morcellement, jusqu’à envisager le Grexit. Or le génie européen vient de la diversité de ses peuples et se nourrit d’elle. De la reconnaissance de cette spécificité découle la possibilité de l’utiliser comme une force au lieu de se heurter de front à elle. Mais comment définir cette spécificité ?
La diversité des peuples
Si on cherche à caractériser les peuples comme on le ferait pour des individus, on remarque que chacun a sa vision du monde, la perception de son rôle et de sa place. De la même façon, chaque pays va avoir tendance à projeter sur l’Europe son propre mode de fonctionnement. La France, par exemple, se caractérise par le « pourquoi ». C’est le pays de l’abstraction, de la rationalité. L’Europe, pour les Français, c’est la France en grand. Lorsque notre pays doute de lui-même à force d’exercer son sens critique, il ne se projette plus dans une Union européenne qu’il ne reconnaît plus et qui lui fait peur mais se replie sur lui-même. L’Allemagne fonctionne sur le « comment ». C’est une nation sûre d’elle aujourd’hui. Elle a fait les efforts nécessaires pour respecter les critères de Maastricht et attend des autres peuples qu’ils en fassent de même pour le bien de tous. Ce faisant, elle impose aux autres pays son propre mode de fonctionnement. La Grèce, à l’inverse, est mue par de perpétuels compromis momentanés entre pluralité de « moi » en son sein. C’est le pays du « pourquoi pas », le pays de la philosophie, de l’interrogation perpétuelle. Historiquement c’est une mosaïque de cités-État dont l’État national est un surmoi fragile. La Grande-Bretagne, quant à elle, est attentive au « combien ». Elle envisage l’Europe dans la mesure où ne pas y participer serait plus coûteux que d’en faire partie. C’est une nation fière, qui a toujours eu le choix à travers son histoire. Elle ne cherche pas la solution à ses problèmes à travers l’Europe mais en elle-même.
Dans ces quatre exemples, on voit que chaque pays apporte une touche différente qui permet à l’ensemble de fonctionner. On ne pourrait pas monter un projet sans le pourquoi, le comment et le combien. Or l’Europe actuelle semble nier cette diversité en imposant par le haut des politiques et des règles économiques et juridiques qui s’appliquent à tous de la même façon. Dès lors, les différents peuples les vivent comme des diktats. Cela entraîne la montée des nationalismes et réactive les antagonismes. On est loin de l’idéal de l’union !
Chaque État est régi par des imaginaires différents
De la même façon, le mot d’ordre au sein de l’Europe est devenu l’économie. Comme l’explique Luuk Van Middelaar, seul le retour du politique, à Bruxelles, permet de sortir des crises nées de la contradiction entre la polyphonie européenne et ses règles. Les dirigeants politiques européens apprennent sur place, à Bruxelles, qu’ils sont responsables d’un Tout mais cet aspect des choses n’est jamais communiqué aux différentes opinions publiques. Chacune est régie par des imaginaires différents. Le mot « règle » en allemand équivaut à « équité » alors que pour un français la règle contraint la liberté. Le mot « dette » en allemand signifie « faute » et donc culpabilité. D’où des débats et des positions très différentes dans la résolution des crises. Ce n’est qu’in extremis que le retour du politique en Europe a évité le Grexit. Comment sortir de cette spirale de décomposition ?
En psychanalyse, on dit que la solution n’est jamais à la hauteur du problème. Et si le morcellement auquel nous assistons depuis quelques années en Europe était une opportunité d’aller davantage vers nous- mêmes, découvrir ou redécouvrir ce que nous avons en commun, remettre en question nos valeurs et déterminer celles sur lesquelles nous souhaitons établir l’Europe ? Quel souffle et quelle vision pourraient animer à nouveau notre continent, redonner de l’envie et de l’enthousiasme à ses peuples pour qu’ils soient fiers de faire partie de cette entité ? La France doit tenir sa place dans ce travail auquel depuis tant d’années elle se dérobe : celui de la vision. Peut-être qu’alors l’Europe pourrait renaître à elle-même.
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