Par Anne Bucher,
Directrice générale de la Commission européenne chargée de la Santé et de la Sécurité alimentaire de 2018 à 2020
Confrontations Europe publie une série de synthèses analytiques des auditions des Commissaires désignés pour 2024. Dans ce cadre, Anne Bucher, Administratrice du think tank, analyse l’audition du Hongrois Olivér Várhelyi, chargé du portefeuille de la santé et bien-être animal.
Le Commissaire désigné Olivér Várhelyi n’a pas été confirmé à l’issue de son audition. Il a été soumis à un questionnaire écrit complémentaire, et son sort fait maintenant partie du paquet de confirmation des six vice-présidents, sur lequel se déchirent les partis de la coalition PPE, S&D, libéraux et verts.
Les partis de la coalition ont les plus grands doutes sur la capacité de Várhelyi à défendre l’approche européenne sur les questions de santé sexuelle et reproductive, ainsi que sur les questions de bien-être animal. La performance du Commissaire désigné lors de l’audition et ses réponses aux questions écrites complémentaires confirment la très grande réserve sur sa capacité à aborder les questions de droit à l’avortement au niveau européen. Il a répété que cette question était dans le champ de la subsidiarité, et ses réponses écrites font référence à un engagement à assurer l’égalité d’accès des femmes aux soins de santé, sans mentionner spécifiquement la santé reproductive.
Sa confirmation ne pourrait qu’être perçue comme une régression par rapport aux positions défendues par les Européens sur ces sujets, notamment dans les enceintes internationales et au travers de la politique externe de l’UE.
Várhelyi a également été attaqué sur les positions hongroises concernant les vaccins pendant la crise Covid. Le Parlement européen attendait qu’il se démarque plus nettement de la politique hongroise sur les vaccins. Rappelons que, pendant la crise Covid, la Hongrie a envisagé l’autorisation des vaccins chinois et russe, de facto passant outre l’avis de l’Agence des médicaments européenne sur leur non-autorisation dans l’UE.
Sur le bien-être animal, Várhelyi est apparu, lors de son audition, comme engagé sur les questions de transport des animaux et prêt à agir sous condition de préserver la compétitivité de la filière de l’élevage. Il a, à minima, confirmé dans ses réponses écrites ultérieures l’intention de mener à son terme le programme lancé par la première Commission Von der Leyen.
Au-delà de ces questions très sensibles de la santé reproductive, de la sécurité des vaccins et du bien-être animal, le Parlement est, de façon générale, sceptique quant à la capacité du Commissaire désigné à gérer un portefeuille politique qui a directement trait à la santé des citoyens. En tant que Commissaire responsable de la DG SANTÉ, il aurait une double responsabilité pour la santé et la sécurité alimentaire. Sa mission met l’accent sur un des points faibles de la nouvelle architecture de la Commission : la fragmentation des portefeuilles, sans garantie de coordination par les vice-présidents. Cet aspect a été peu développé lors des auditions, et il est regrettable que les parlementaires n’aient pas cherché à approfondir ces questions de coopération interne, qui peuvent être déterminantes dans les stratégies sectorielles et leur efficacité.
Quelles ambitions pour la sécurité alimentaire ?
La lettre de mission du Commissaire désigné Várhelyi ne met pas en avant les questions de sécurité alimentaire, sauf le bien-être animal et le gaspillage alimentaire. En revanche, le mandat de Christophe Hansen, responsable de la Politique agricole, donne une priorité politique aux questions de transition agricole et alimentaire. Lors de son audition, Hansen a insisté sur l’importance pour la PAC de respecter un équilibre entre les objectifs environnementaux et la protection du revenu des agriculteurs. Il a ainsi proposé des conditionnalités aux paiements de la PAC, mais a fait peu référence aux obligations et au potentiel de la régulation de la sécurité alimentaire.
Várhelyi, pour sa part, n’a pas mis en avant de nouvelles ambitions dans le domaine de la sécurité alimentaire. Son objectif est le respect des normes de sécurité alimentaire, sans aucune ambition politique pour une alimentation plus saine et durable. Les réponses aux questions du Parlement européen confirment cette direction : l’étiquetage des denrées alimentaires est perçu comme un des aspects d’une politique de santé publique plus générale de sensibilisation aux bonnes habitudes alimentaires, sans référence à des initiatives législatives.
Les questions stratégiques liées à l’alimentation (telles que l’utilisation de pesticides, les nouvelles techniques de sélection) ne sont traitées ni par le Parlement ni par la Commission comme des éléments importants du portefeuille du Hongrois. Tirant les leçons de l’échec de la stratégie “de la Ferme à la Fourchette” et de la discussion sur le Nutriscore, la deuxième Commission Von der Leyen a clairement choisi une stratégie de retrait et de prudence dans ces domaines, que les parlementaires se sont abstenus de critiquer lors des auditions.
Le risque est de limiter les discussions sur une alimentation saine et durable aux milieux agricoles et professionnels, sans une participation systématique des scientifiques et de la société civile. Ce risque, s’il se concrétise sous la direction de Várhelyi et Hansen, serait une régression majeure de la politique européenne, qui s’est distinguée jusqu’à maintenant par ses standards très élevés pour la qualité des produits alimentaires au regard des normes internationales.
La sécurité sanitaire : une responsabilité partagée
Une dissonance similaire pourrait affecter la sécurité sanitaire. La lettre de mission de Várhelyi reste très vague sur la sécurité sanitaire et les maladies transmissibles. Le domaine est, dans une large mesure, sous l’autorité de la Commissaire Lahbib, responsable de la préparation, de la prévention et de la gestion des crises. Elle a annoncé un certain nombre d’initiatives à ce titre : une stratégie sur les contre-mesures médicales, couvrant non seulement les médicaments, les diagnostics et le matériel de protection, mais également les dispositifs médicaux, ainsi qu’une stratégie de stockage au niveau de l’UE.
On pouvait, toutefois, attendre davantage d’orientations sur les prochaines étapes dans le domaine de la sécurité sanitaire. Le récent rapport de la Cour des comptes1 souligne les lacunes de la prévention et de la préparation aux crises sanitaires dans l’UE et l’appelle à agir.
Lors de son audition, la Commissaire désignée Lahbib, dont le portefeuille couvre des domaines aussi variés et larges que la gestion des crises, l’aide humanitaire et l’égalité, était visiblement plus à l’aise sur ces grandes questions que sur les spécificités des crises sanitaires.
Ainsi, les auditions laissent de nombreuses questions stratégiques de sécurité sanitaire sans réponse : comment ces stratégies s’articuleront-elles avec le futur acte sur les médicaments critiques ? Comment l’autorité de réponse d’urgence aux crises, HERA (sous la responsabilité de la Commissaire Lahbib), interagira-t-elle avec le Comité de sécurité sanitaire, l’ECDC et l’EMA (tous trois sous la responsabilité du Commissaire Várhelyi) en matière de surveillance, d’évaluation des risques et de coordination des États membres ? Est-ce que la Commissaire désignée Lahbib repensera l’architecture de la gestion des crises et ses liens interinstitutionnels et intersectoriels avec la nouvelle stratégie de préparation et de prévention des crises annoncée ? Dans quelle mesure cela affectera-t-il la gouvernance des crises sanitaires au niveau européen ?
Várhelyi, le Commissaire de la continuité pour la politique de santé
La lettre de mission propose un nouvel équilibre des priorités en matière de santé, en mettant l’accent, non plus sur la sécurité sanitaire et les maladies transmissibles, mais sur la santé préventive, les facteurs de risque et les maladies non transmissibles, qui pèsent le plus sur les systèmes de santé. Dans une certaine mesure, ce changement est justifié par les efforts déployés pour renforcer la sécurité sanitaire en réponse au Covid au cours du mandat précédent.
Ce changement de priorités n’est pas sans conséquence, car les maladies non transmissibles n’engendrent pas des interdépendances comme les maladies transmissibles et sont donc intrinsèquement moins coordonnées au niveau européen. Ceci va certainement dans le sens des demandes récurrentes du Parlement de mieux protéger la santé du citoyen européen.
Les propositions de Várhelyi dans ce domaine reflètent les limites du mandat de la Commission et des ressources qu’elle peut consacrer à ces activités. Le plan européen « Vaincre le cancer » est présenté comme un moyen de mettre en œuvre une stratégie pour différents groupes de maladies. Il n’a à ce jour pas été évalué et, s’il a permis des améliorations concrètes, il a été modérément efficace dans un certain nombre de domaines, en particulier lorsqu’il s’agit de mieux intégrer les considérations de santé publique dans les politiques européennes.
Deuxièmement, l’approche comporte le risque de traiter les maladies en silos, en négligeant les synergies entre les mesures de santé publique et les traitements des maladies, et d’aboutir à une fragmentation de l’action européenne dans un domaine qui n’est pas perçu comme prioritaire par les États membres.
Pour les autres questions de santé, la lettre de mission délimite un périmètre clair pour l’action de Várhelyi, qui s’inscrit dans la logique du projet d’Union de la santé lancé par la première Commission Von der Leyen : achèvement des négociations sur le paquet pharmaceutique, mise en œuvre des législations européennes sur la santé et les dispositifs médicaux, engagement dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens (RAM) et extension du plan cancer aux maladies chroniques.
Les auditions n’ont pas apporté de précisions sur les nouvelles initiatives annoncées dans la lettre de mission de Várhelyi : la proposition d’un Acte en faveur des biotechnologies dans l’UE, qui complète le paquet législatif pharmaceutique en cours de négociation, est présentée par le Commissaire comme une mise en œuvre des recommandations du rapport Draghi. Le numérique est aussi mis en avant avec, non seulement la mise en œuvre du Règlement sur l’espace européen des données de santé, mais également le lancement d’un plan de cybersécurité pour les hôpitaux et les prestataires de soins de santé.
S’agissant du contenu de ce plan, le « quoi » et le « comment », les réponses du Commissaire candidat restent très évasives. Mais dans ces domaines, sa capacité à délivrer des politiques européennes n’est pas remise en cause.
- Rapport spécial 21/2024 : Aides d’État en temps de crise – Une réaction rapide mais des insuffisances dans le suivi de la Commission et des incohérences dans le cadre de soutien aux objectifs de la politique industrielle de l’UE, 23/10/2024, Cour des Comptes européennes ↩︎