Par Dominique Bocquet
Enseignant à Sciences Po et à l’INSP, chercheur au Policy Center for the New South.
Confrontations Europe publie une série de synthèses analytiques des auditions des Commissaires désignés pour 2024. Dans ce cadre, Dominique Bocquet, enseignant à Sciences Po et à l’INSP et chercheur au Policy Center for the New South, analyse l’audition du Slovaque Maroš Šefčovič, désigné pour le portefeuille du Commerce et de la Sécurité Économique.
C’est un Commissaire à la réputation de solidité qui hérite du portefeuille du Commerce. Membre de la Commission depuis 2009, ancien vice-président, Maroš Šefčovič s’est par ailleurs vu attribuer le portefeuille des relations interinstitutionnelles par la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Lors de son audition, le Commissaire désigné n’a pas démenti sa réputation.
Très articulée, son intervention liminaire a dressé un panorama synthétique des nouveaux outils de l’Union européenne dans le domaine commercial. Il a également mis l’accent sur l’unité des Européens, enjeu qui lui a permis de faire le lien avec l’autre partie de son portefeuille, les relations institutionnelles.
Une Europe assurée de disposer d’instruments efficaces de défense commerciale
Maroš Šefčovič s’est d’emblée référé aux « 15 ans » du Traité de Lisbonne, qui a étendu le champ de la majorité qualifiée en matière de relations économiques extérieures. Ceci a facilité une approche globale intégrant le commerce et les investissements.
Il a mis en valeur la réforme des instruments de défense commerciale intervenue en 2018. Ces instruments n’avaient pas été révisés en profondeur depuis 1995 et la réforme est sans précédent par son contenu. Il a assuré les députés de la détermination de la Commission à les utiliser activement. Vis-à-vis de la Chine il a mis l’accent sur la lutte anti-dumping, pointant du doigt les subventions et les surcapacités. Il a martelé une triple exigence : transparence, prévisibilité et réciprocité. Il s’est déclaré déterminé à lutter contre les actions coercitives.
Vis-à-vis des Etats-Unis, il a exposé une vision en termes de jeu à somme positive. Les deux partenaires (UE+USA) représentent à eux deux 29% du commerce mondial. L’Union européenne offrira un renforcement de la coopération et un rôle accru pour le Conseil conjoint du commerce et des technologies.
Interrogé sur la solidarité européenne face aux sanctions (par exemple, rétorsions chinoises visant le cognac français ou éventuelles mesures américaines contre les automobiles allemandes), il n’a pas répondu directement. Sans exclure des aides directes, il a semblé ne pas vouloir désespérer du rôle de l’OMC en pareil cas. Attendons de voir ce que donnera cet augure.
• Réforme douanière européenne : proposition d’accélération
Pour le Commissaire désigné, la création d’une Autorité douanière européenne est une forme d’achèvement du marché unique. Outre le tarif extérieur commun, l’Union disposait certes déjà d’un Code douanier européen. Conformément au principe de subsidiarité, la mise en œuvre est confiée aux douanes des Etats membres.
Ceci peut induire des failles en raison des défauts de coordination et de la possible concurrence entre Etats membres pour servir de points d’entrée. Ceci vaut notamment pour tous les aspects non tarifaires (respect des réglementations, fraudes…). La centralisation des données informatiques déclaratives et la mise en œuvre d’une approche commune des risques (actuellement appréhendés de façon variable d’un pays à l’autre) seront la grande affaire de l’Autorité douanière européenne. Sa création est prévue pour 2028. Maroš Šefčovič préconise d’avancer une partie de la réforme à 2026.
Le e-commerce représente 14 milliards de colis entrant chaque année dans l’Union européenne. Ceci illustre l’impérieuse nécessité d’une approche en termes de risques et du recours au numérique, en complément de la remise en cause des franchises.
• Les accords de libre-échange de l’Union (ALE/FTA)
Le Commissaire Šefčovič les considère comme un outil géostratégique et un axe majeur, pouvant laisser entendre sans le dire qu’ils constituent un substitut à l’OMC.
Il a insisté sur la prise en compte des standards de l’Union européenne et les innovations de l’accord CETA sur les procédures d’arbitrage à caractère public.
Marion Aubry (Left) l’a interpelé sur le projet d’accord avec le Mercosur, lui demandant s’il était prêt à sacrifier les intérêts de l’agriculture et des normes communautaires sur l’autel du commerce.
A cette question, il a répondu vigoureusement par la négative, tout en soulignant que l’Union européenne, naguère premier partenaire commercial de l’Amérique latine, avait été supplantée par la Chine et devait promouvoir les liens avec ce subcontinent.
Transparence et unité des Européens
Maroš Šefčovič a proclamé qu’il défendrait en toutes circonstances les intérêts de l’Union européenne. Il s’est prévalu pour cela de sa contribution aux négociations finales sur le Brexit (volet Windsor) et à celles avec la Suisse.
Le thème de l’unité des Européens lui a fourni un lien avec l’autre composante de son portefeuille, les relations interinstitutionnelles. Il voit dans l’accord entre les institutions un vecteur essentiel d’unité. Se faisant l’avocat de l’égalité Parlement-Conseil, il s’est prévalu de sa diligence passée à répondre aux résolutions du Parlement appelant une réponse de la Commission et s’est engagé à la plus grande transparence. Toutefois, interpelé sur l’information du Parlement en cours de négociations avec des pays tiers, il a précisé que la transparence viendrait in fine, la négociation exigeant le secret (dans le respect du mandat).
• Commentaire : la défense des intérêts européens par les règles à l’ère trumpiste
L’audition a eu lieu à la veille de l’élection présidentielle américaine. Le Commissaire désigné ne pouvait ni prévoir l’issue, ni ignorer les chances de Donald Trump, ses intentions protectionnistes et son hostilité au multilatéralisme. La valorisation des outils européens était une façon de présenter l’Union européenne comme prête.
Le Commissaire a marqué qu’il veillerait méthodiquement au caractère légal des mesures prises, accent qui peut rassurer les Etats membres libre-échangistes. Le même scrupule ne sera pas forcément de mise outre-Atlantique. Le motif de sécurité peut être invoqué par le président américain de façon extensive. L’Union européenne n’a pas la même latitude.
Elle a certes intérêt à des échanges basés sur les règles. Le commissaire l’a rappelé mais sans poser la question de la résilience réelle de l’ordre « ruled-based ».
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