À l’occasion du vote au Parlement Européen du Pacte asile et migration, le mercredi 10 avril, notre Délégué général, Jérôme Quéré, explique dans un entretien accordé à Atlantico les principales mesures que celui-ci met en place ainsi que le débat entourant son adoption et la situation politique.
Retrouvez l’analyse intégrale sur le site d’Atlantico :
1/ L’Union européenne se prononce ce mercredi sur le pacte asile & migration, sur lequel le parlement travaille désormais depuis des années. Que sait-on, concrètement, du contenu du pacte ? Quel est son principal objectif ?
Jérôme Quéré : Le pacte asile et migration comprend toute une série de textes, qui avaient d’ores et déjà fait l’objet d’un accord politique en décembre dernier. Déjà à l’époque, les contours de l’accord politique étaient assez clairs. Notons que le vote autour de ces textes avait alors fait l’objet de certaines tensions. C’est attendu puisqu’ils avaient été proposés par la Commission européenne dès 2020 et nous avons mis longtemps avant de pouvoir aboutir à un accord politique. Cela n’a rien de nécessairement exceptionnel dans l’histoire du fonctionnement de l’Union européenne, mais cela prouve bien qu’il s’agit d’un sujet sur lequel il est difficile de faire consensus.
L’objectif de ces textes est d’assurer un meilleur contrôle aux frontières extérieures ainsi qu’un meilleur traitement des demandes d’asiles. Il s’agit de mieux répondre à des situations qui n’avaient pas nécessairement été envisagées auparavant, comme cela a pu être le cas durant la crise de l’accueil des réfugiés à la suite, par exemple, de la guerre en Syrie. Il résulte donc du constat que le système de l’époque n’était pas efficient et qu’il fallait donc l’adapter. Avant d’en arriver au pacte qui a été présenté au Parlement ce mercredi 10 avril, il y a eu d’autres essais qui n’ont pas été très concluants. La question se fait pourtant d’autant plus pressante qu’il y a aussi eu la guerre d’invasion russe en Ukraine, entraînant le déplacement de nombreux réfugiés ukrainiens en Pologne notamment. Cela soulève un certain nombre de questions concernant le règlement de la procédure de Dublin, qui est de plus en plus remis en question. Cela fait longtemps que les principaux pays de transit le critiquent, puisque c’est lui qui veut que le pays par lequel le migrant passe en premier soit chargé d’instruire la demande d’asile. Par conséquent, ce sont toujours les mêmes qui sont contraints de s’y plier : la Grèce, l’Italie, Malte, Chypre et l’Espagne. Les autres, comme le Luxembourg, le Danemark ou les Pays-Bas ne constituent évidemment pas des portes d’entrée dans l’Union européenne. La situation géographique de l’Europe engendre donc de facto une injustice que ce pacte asile et migration cherche à corriger.
Pour se faire, il prévoit un premier volet que l’on pourrait décrire comme un principe de solidarité. Concrètement, tous les pays de l’Union européenne vont devoir être solidaires les uns par rapport aux autres en matière de traitement des demandes d’asiles. Si le Luxembourg, par exemple, n’en traite pas, il lui faudra dédommager les pays qui eux choisissent de les traiter. Il est aussi possible d’opter pour la relocalisation des demandes d’asile, ce qui correspond à davantage d’exceptions au règlement Dublin mais ne vise pas à l’abroger à proprement parler. Ce principe de solidarité a fait l’objet de nombreuses demandes de la part des pays principaux de transit et notamment de l’Italie, quelque soit la majorité en place par ailleurs.
Le deuxième volet prévu par le pacte consiste à mettre en place un système de filtrage aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ce filtrage permettra de faire appel à un dossier commun de tous les pays de l’Union européenne, appelé Eurodac, qui comprend l’empreinte digitale, l’empreinte faciale, le nom, le prénom, le pays d’origine entre autres éléments. Il renseignera également les éventuelles demandes d’asile et les refus associés, ainsi que le pays d’origine, permettant ainsi d’identifier plus rapidement l’éligibilité ou non du demandeur. Par ailleurs, ce volet s’accompagne d’un durcissement du filtrage déjà exercé puisque les enfants âgés de moins de 14 ans ne pouvaient pas faire l’objet de contrôles auparavant. Désormais, l’âge minimal descend à 6 ans.
Il faut aussi mentionner l’existence d’une procédure de traitement à la frontière extérieure qui est accélérée par rapport à ce qui se fait aujourd’hui. Ce sont les demandeurs d’asiles provenant de pays dont les demandes sont rarement accueillis favorablement qui sont concernés (le taux d’éligibilité n’excède alors pas 20%). Au total, la procédure de vérification pourra prendre jusqu’à 12 semaines, pendant lesquelles les individus concernés seront placés dans des centres de rétention afin de ne pas leur permettre une libre circulation sur le sol européen. A cet égard, nul ne peut nier le durcissement qui vient compenser le principe de solidarité précédemment évoqué.
Tout cela s’inscrit dans un cadre que nous avons eu l’occasion de dépeindre, mais je pense qu’il faut également mentionner les attaques hybrides dont l’Union européenne a pu faire l’objet ces dernières années.Certains pays n’hésitent pas, en effet, à instrumentaliser les personnes en détresse pour mieux les masser aux frontières de l’Union ; non sans leur pointer des armes dans le dos. La Biélorussie l’a fait en Pologne, la Russie le fait avec la Finlande.
D’une façon générale, le pacte prévoit des mécanismes spécifiques pour faire face à une éventuelle crise migratoire, qui comprennent des mesures de soutien financiers aux pays les plus exposés.
2/ Que peut-on dire de la vision de l’immigration qui se dégage, à échelle européenne, de ce texte ? Peut-on parler, par exemple, de la fin d’une ère des « bons sentiments », dans laquelle l’immigration n’a été envisagée que par un seul prisme idéologique plutôt qu’en tenant compte des capacités d’intégration et des intérêts des sociétés d’accueil ?
Jérôme Quéré : Je dirais qu’il émane de ces textes une volonté claire de traiter plus rapidement les demandes d’asile. C’est vrai que l’on peut tous espérer que les instructions des demandes d’asiles soient réalisées plus rapidement, sans pour autant être bâclées et force est de constater que cela provoque d’importantes tensions dans un certain nombre de pays européens. Il est donc important d’apporter des solutions quand bien même cela n’est pas chose aisée. Personne ne souhaite écarter ce débat ou ne pas y faire face, même si tout le monde n’a pas forcément les mêmes solutions à proposer.
Auparavant, chaque Etat membre traitait les demandes d’asiles ou accueillait les réfugiés à sa propre manière. Ainsi, la France a accueilli un grand nombre de Boat People sur la base de ses choix personnels. Elle n’a pas été encouragée ou menacée par l’Union européenne mais a décidé de le faire. A ce moment-là, il revenait à chaque Etat de choisir combien d’individus accueillir. Désormais, la situation est très différente, puisqu’il y a des tensions géographiquement beaucoup plus proches et que le développement de nouvelles voies de transports (aérienne notamment) permet de rejoindre des destinations plus aisément et pour moins cher qu’auparavant. Les flux migratoires ont beaucoup changé ces 50 à 60 dernières années ; il faut donc en tenir compte.
Notons, d’ailleurs, que la perception européenne concernant les demandeurs d’asile évolue. Nous avons eu l’occasion, chez Confrontations Europe, d’organiser un sondage avec Viavoice qui montre combien les citoyens européens ont tendance à penser que leur pays est celui qui accueille le plus de réfugiés et de migrants. Mathématiquement, bien sûr, ce n’est pas possible : tous les pays de l’Union ne peuvent pas être celui qui accueille le plus de personnes. C’est l’Allemagne qui est en première place. Cependant, cela illustre bien la perception globale de la population qu’il convient de ne pas ignorer ou balayer. Ce sentiment doit être rapporté à d’autres éléments comme le PIB territoire. Quand on bénéficie d’un territoire aussi vaste que l’Allemagne, avec un PIB important et une population qui n’est pas exiguë, il est plus facile d’accueillir du monde que lorsque l’on est Malte et que la superficie disponible est autrement plus petite. Dès lors, il va sans dire que la pression exercée par le phénomène de demande d’asile est plus importante à Malte qu’elle ne l’est en Allemagne même si en nombre absolu, c’est l’Allemagne qui accueille le plus de migrants.
Je n’irais peut-être pas jusqu’à dire que c’est la fin des bons sentiments parce qu’on ne remet pas en cause la Convention de Genève ou le devoir d’accueil des réfugiés (mais il faut faire la part des choses avec la migration économique que chaque Etat est en droit de refuser ou non). En revanche, il est évident qu’il y a beaucoup plus de demandeurs d’asile qu’il y a 60 ans et qu’il y a donc une nécessité d’adaptation et un questionnement sur le traitement qu’il faut réserver au phénomène. Notons, à ce propos, que l’essentiel des demandes d’asiles sont déboutées : en moyenne, l’Union européenne ne valide qu’environ 40% d’entre elles et la France seulement 33%.
3/ Le Parlement européen est composé de plusieurs forces politiques, habituées aux compromis. En matière d’immigration et tout particulièrement sur la question du pacte asile & migration, qui soutient quoi ? Quelles sont les stratégies politiques mises en place par les différents partis dans le cadre de ce vote ?
Jérôme Quéré : Actuellement, il y a trois groupes politiques au sein de la principale coalition : la droite PPE, les socialistes et démocrates, ainsi que les libéraux. Si l’on devait faire un parallèle avec la situation française, nous dirions que cela correspond à une alliance des Républicains au Parti Socialiste ainsi qu’à Renaissance respectivement. Ces trois groupes politiques, pour l’essentiel, soutiennent le Pacte asile et migration. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de voix dissonantes dans certaines de ces formations. Ne perdons pas de vue qu’ils rassemblent des élus issus des 27 Etats membres de l’Union européenne dont les perspectives et les intérêts peuvent changer considérablement d’une nation à l’autre. Ainsi, Sylvie Guillaume du Parti Socialiste français s’est montrée défavorable à un certain nombre des points de ces textes.
Du côté des Verts et de la Gauche unitaire (qui correspond à la France Insoumise chez nous), la majorité est opposée au Pacte. Pour autant, ces formations sont minoritaires au sein du Parlement européen. Le Rassemblement national, lui, était confronté à une situation complexe : il a fallu composer avec le fait qu’ils auraient pu voter pour, en raison du durcissement des conditions d’accueil et de contrôle, mais aussi qu’ils auraient pu voter contre en raison du mécanisme de solidarité précédemment évoqué. Ils se sont retrouvés coincés entre le risque de se placer en porte à faux avec l’extrême droite italienne, en faveur de ces textes, ou de voter pour un texte auquel ils avaient pourtant des raisons de ne pas adhérer.
Ceci étant dit, le vote du Pacte présente aussi un intérêt conséquent pour différentes formations nationales en vue de la campagne électorale des européennes. La majorité présidentielle, notamment, va pouvoir s’en prévaloir en affirmant avoir réussi à faire adopter le Pacte tandis que d’autres pourront dire qu’ils étaient contres et annoncer leur intention de le remettre en cause.
4/ Faut-il voir dans ce vote un moment de rupture ? Ce texte peut-il réellement limiter l’immigration, ainsi que le prétendent certains élus en France, notamment ?
Jérôme Quéré : C’est un Pacte, nous l’avons dit, qui permettra de traiter plus rapidement les demandes et de savoir plus vite si une personne aura ou non accès au droit d’asile. En cas de refus se pose la question de la réadmission dans un pays d’origine ou dans un pays tiers. Comment faire en sorte que les personnes qui n’ont pas obtenu le droit d’asile ne restent pas sur le territoire européen ? C’est là toute la difficulté. Apprêter un avion coûte de l’argent, d’autant moins bien dépensé que les pays d’origine ou tiers ne veulent pas toujours reprendre les personnes déboutées. Il va donc falloir négocier un certain nombre d’accords bilatéraux pour s’assurer de la bonne application du pacte. Ne perdons pas de vue non plus que ce n’est pas parce qu’un individu a été débouté qu’il ne peut pas revenir tenter sa chance à un autre moment. Cependant, le renforcement du dossier Eurodac et la mise en place d’un système de filtrage plus performant devrait permettre d’importantes avancées en la matière. Reste à espérer que cela puisse se montrer dissuasif, mais ce n’est pas forcément gagné d’avance. Particulièrement si les conflits continuent aux portes de l’Europe. Aucun système n’est infaillible et ces situations humaines sont très complexes.