Daniela SCHWARZER
Directrice du programme européen du German Marshall Fund (GMF), à Berlin
La Chancelière allemande, Angela Merkel, a semblé prendre des décisions sans coordination approfondie avec les autres capitales européennes, notamment dans sa gestion de la crise migratoire ou tout récemment la négociation de l’accord UE-Turquie. Mais il semble que le gouvernement n’a pas perdu de vue son objectif : renforcer l’UE.
A la faveur de la crise de la dette souveraine du printemps 2010, l’Allemagne a acquis une place centrale dans les affaires européennes. Depuis ce jour, le rôle de Berlin n’a cessé de s’accroître. Mais, l’implication croissante de Berlin dans les affaires intérieures et extérieures de l’UE est allée de pair avec l’augmentation des critiques contre l’Allemagne, tant de la part d’autres États membres que de son propre pays. Certaines voix avaient déjà souligné la tendance de l’Allemagne à prendre parfois des décisions sans coordination approfondie avec les autres capitales. D’autres ont mis en doute l’engagement réel de Berlin en faveur de l’intégration européenne. Dans le même temps, le débat en Allemagne sur l’Europe s’est considérable- ment polarisé.
La gestion de la crise des réfugiés et le pacte conclu entre l’UE et la Turquie afin de gérer les flux migratoires en Méditerranée ont relancé le débat sur la relation de l’Allemagne avec l’UE et ses partenaires. Lorsqu’en août dernier, la chancelière Angela Merkel a accueilli les Syriens, échoués en Hongrie, en Allemagne, son geste a été interprété de facto comme une décision unilatérale cherchant à discréditer le système de Dublin. Quand l’Allemagne a demandé, après coup, à ses partenaires européens de soutenir la mise en place d’un large système de quotas afin de répartir dans les différents États membres les demandeurs d’asile qui affluaient vers le sud de l’Europe, tentant d’atteindre l’Allemagne et d’autres pays du Nord, certains ont taxé de cynisme cette décision alors que Berlin avait refusé cette même proposition quand elle avait été proposée par l’Italie. En effet, en devenant l’État européen accueillant le plus grand nombre de réfugiés – 1,1 million de migrants en 2015 –, l’Allemagne changeait sa position en matière de politique de migration européenne.
Il est vrai : l’Allemagne n’a pas suffisamment expliqué ses choix politiques. Les motivations de l’Allemagne n’étaient pas seulement humanitaires et démographiques. Berlin a voulu éviter que les succès de l’intégration dans les domaines de la justice et des affaires intérieures s’effritent. La Chancelière Angela Merkel souhaitait empêcher que l’on érige à nouveau des frontières au sein de l’UE, ou des murs à ses frontières, bloquant de fait de nombreux réfugiés dans des pays sujets à l’instabilité politique, comme les Balkans de la côte occidentale ou la Grèce.
En Allemagne même, le gouvernement tenait à maintenir le cap d’une politique migratoire ouverte, ignorant toutes les revendications en faveur d’un « plafond » du nombre de réfugiés que l’Allemagne devrait accueillir. Il décida, au contraire, d’augmenter considérablement les investissements publics afin de soutenir les migrants.
Réduire les flux migratoires
L’opinion publique allemande est aujourd’hui divisée, certains estimant que le gouvernement est allé trop loin. Mais, dans le même temps, l’Allemagne a été témoin d’un engagement impressionnant de la société civile. De nombreux citoyens choisissent de devenir volontaires pour gérer l’accueil et l’encadrement des réfugiés, suppléant des services publics submergés. La majorité des Allemands pensent que le droit d’asile ne devrait pas être compromis. Mais des voix s’élèvent contre cette approche, comme celles du mouvement anti-musulman Pegida et du parti de droite populiste anti-immigration, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) – ce dernier, à l’idéologie anti-européenne détient maintenant des sièges dans huit Parlements régionaux et parviendra probablement à siéger au Bundestag en 2017.
Dans ce contexte, il était crucial que le gouvernement allemand trouve un moyen de réduire rapidement les flux migratoires et l’accord avec la Turquie, que Merkel a négocié unilatérale- ment pour l’UE, représente une solution à court terme. À moyen terme, le défi auquel doit répondre le gouvernement allemand est plus large. Il doit premièrement s’assurer que le consensus en Allemagne reste pro-européen et respecte les valeurs libérales. En second lieu, il doit rester fort et légitime afin de construire un consensus transeuropéen renforçant l’UE, le marché unique, ses quatre libertés et enfin sa structure institutionnelle. Cela aiderait l’Europe à se préparer aux défis qui l’attendent, et à éloigner le spectre de la désintégration de l’UE. La liste des risques qui pèsent sur l’Europe est longue : un retour de la crise grecque, le vote du Royaume-Uni en faveur du Brexit, les attaques terroristes sur les territoires européens et, à plus long terme, une crise migratoire beaucoup plus importante que prévue si l’Afrique subsaharienne est touchée par une vague de migration vers le Nord et que le Maghreb s’effondre. Dans ce contexte, un leadership fort est essentiel. L’Allemagne ne sera efficace qu’en coopérant avec des partenaires forts.