Par Michel Derdevet, Président de Confrontations Europe
Ce mercredi 10 septembre, Ursula von der Leyen a présenté son cinquième discours sur l’Etat de l’Union devant les députés européens réunis à Strasbourg. Cela fait d’elle la Présidente de la Commission européenne ayant été confrontée le plus de fois à cet exercice politique essentiel, véritable marqueur du début de l’année parlementaire.
Cependant, il est notable de voir que la Présidente de la Commission s’est écartée, cette année, de la structure traditionnelle de son discours en consacrant près des trois-quarts de celui-ci à la politique étrangère et la défense commune. On notera qu’à cette occasion, elle s’est montrée beaucoup plus ferme sur la question de la guerre menée dans la bande de Gaza, critiquant en creux le manque d’unanimité des États, amorçant ici un changement par rapport aux positions passées, beaucoup plus « timorées », notamment de la part de la Haute représentante pour la politique étrangère, Kaja Kallas.
Par ailleurs, sur les enjeux de compétitivité, l’intervention d’Ursula von der Leyen a marqué par l’évocation à plusieurs reprises du rapport Letta d’avril 2024, commandé initialement par le Président du Conseil d’alors, Charles Michel. Elle y puise plusieurs inspirations pour dynamiser l’économie du continent comme la mise en avant de la “cinquième liberté” – recherche et innovation -, la mise en avant du 28ème régime pour les startups, pourtant très critiqué par la gauche de l’hémicycle et les syndicats, ainsi que l’achèvement de l’Union de l’épargne et de l’investissement.
On remarquera enfin que ce discours a été significativement marqué par les interruptions et interpellations de la part des députés, surtout d’extrême-droite, fait assez rare à cette échelle pour le Parlement européen. Ces attaques coordonnées ont particulièrement ciblé des annonces hautement symboliques pour les intérêts et combats de l’extrême-droite comme l’initiative sur les voitures électriques abordables, le souhait d’une suspension partielle de l’accord d’association avec Israël ou la conditionnalité des fonds européens à l’Etat de droit. Associées aux interventions des présidents de groupes parlementaires, ces remarques témoignent d’un creusement inquiétant des fractures entre les grands blocs du Parlement, pourtant loué pour sa capacité historique à dégager du compromis.
La coalition traditionnelle (S&D, Renew, Green & PPE) semble en effet en difficulté alors que le seul groupe à assumer pleinement la politique de la Commission est le PPE et que son président, Manfred Weber, a attaqué à boulet rouge la présidente du groupe S&D, qui le lui rend bien, soutenue en cela par le groupe des Verts.
La plupart des groupes politiques ont critiqué très durement l’accord avec les États-Unis, à part celui des conservateurs, au sein duquel les membres du PiS polonais ont un poids important.
Quant à Valérie Hayer, présidente du groupe Renew, si elle a salué les mots du discours appelant à l’action, et même à un big bang institutionnel avec un saut fédéral, elle a alerté, elle aussi, sur la fragilité de la coalition soutenant au Parlement européen la Commission.
Points à retenir du discours :
Politique étrangère et de défense
Déblocage de 6 milliards d’euros de fonds ERA (Extraordinary Revenue Acceleration Loans) pour l’Ukraine afin de soutenir la modernisation de ses forces armées
Proposition du programme « Avantages Militaires Qualitatifs » pour des investissements dans les capacités des forces armées Ukrainiennes, et d’une Alliance autour des drones avec Kiev
Proposition de recourir aux intérêts des avoirs russes gelés pour financer la reconstruction de l’Ukraine, via l’accord de prêts à titre de réparation devant être remboursés une fois que les réparations de guerres russes auront été payées
Soutien à des réformes institutionnelles : droit à l’initiative du Parlement Européen ; proposition du remplacement de l’unanimité par la majorité qualifiée dans certains domaines, notamment la politique étrangère
Maintien de la cadence actuelle pour l’intégration des Balkans, de la Moldavie et de l’Ukraine dans un objectif de garantie de sécurité pour l’UE
Moyen-Orient
Dénonciation de la situation à Gaza et critique des divisions des Etats membres sur le sujet : proposition de la suspension des fonds Horizons en faveur d’Israël, d’une interruption du soutien bilatéral, de sanctions contre les ministres extrémistes et d’une suspension partielle de l’accord d’association avec Israël.
Mise en place d’un groupe de donateurs pour la Palestine pour contribuer à la reconstruction de Gaza, et redoublement des efforts de soutien internationaux en collaboration avec les partenaires régionaux de l’UE
Compétitivité et industrie
Annonce d’une feuille de route sur le marché unique pour 2028, devant traiter notamment de l’Union de l’épargne et des investissements, des services, de l’énergie, des télécoms, de la mise en place d’un 28e régime et de ce que le rapport Letta qualifie de « cinquième liberté » pour le savoir et l’innovation
Implémentation d’un critère « Made in Europe » dans les procédures de passation des marchés public, afin de stimuler la demande de leadership industriel Européen dans le secteur des technologies propres — correspondant à la recommandation d’un « Buy European Act » dans le rapport Draghi
Création d’un nouvel instrument commercial à long terme destiné à succéder aux mesures de sauvegarde sur l’acier, initiées en 2019 et qui arrivent à expiration à la mi-2026 (quotas tarifaires par pays et par type de produit, avec un droit supplémentaire de 25 % appliqué aux importations dépassant ces seuils)
Transports et énergie
Lancement d’une initiative « Petites voitures abordables » pour favoriser l’accès des européens aux véhicules électriques et favoriser la compétitivité des acteurs européens dans ce domaine, aujourd’hui doublés par la Chine sur leurs propres marchés, en parallèle de l’initiative lancée en mars 2024 sur les batteries.
Présentation d’une initiative pour les “autoroutes énergétiques” identifiant huit principaux goulets d’étranglement dans les infrastructures énergétiques européennes (Détroit d’Øresund, Canal de Sicile, etc..) et visant résoudre ces goulets d’étranglements via des investissements dans les réseaux et les interconnexions.
Logement, santé, alimentation
Détail du futur plan d’action pour le logement abordable (prévu au 1er trimestre 2026) : révision des aides d’Etat pour le logement, faciliter la construction de nouveaux logements et de résidences étudiantes, législation sur les locations à court terme, et organisation d’un premier sommet européen sur le logement
Mise en place d’une campagne “Buy European Food” pour faire la promotion de la consommation de produits agricoles européens
Lancement d’une initiative mondiale pour la résilience sanitaire pour faire face aux futures épidémies et accélérer la coopération transfrontalière, notamment en matière de vaccination
Analyse-du-SOTEU-2025-M-Derdevet