Michel Derdevet
Président de Confrontations Europe
« L’Europe se fera dans les crises, et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises », affirmait Jean Monnet en 1954. L’année écoulée aura été, dans tous les domaines, une année de ruptures pour l’Europe.
Historique avec le départ de l’Union du Royaume-Uni, voulu par le peuple britannique en juin 2016, ardemment défendu depuis par Boris Johnson, mais patiemment organisé et négocié jusqu’au bout par Michel Barnier, qui nous fait l’honneur de nous livrer ici son analyse sur ce moment politique exceptionnel.
Aux yeux de tous, le Brexit fut cependant éclipsé en 2020 par la crise sanitaire mondiale qui bouleversa la planète, et face à laquelle l’Europe sut, là aussi, s’organiser et réagir d’une seule voix, en rupture avec les faibles compétences qui sont les siennes dans le cadre des Traités. Début 2020, la communauté internationale prenait une mauvaise direction ; partout dans le monde, les frontières se fermaient et les pays se repliaient sur eux-mêmes. L’Union européenne a beaucoup œuvré pour changer cela. Le 4 mai, elle a lancé une « conférence des donateurs » qui a mobilisé près de 10 milliards d’euros en un mois pour favoriser un accès équitable aux vaccins et aux traitements contre la Covid-19.
En mai également, l’Union européenne a appuyé la résolution de l’Assemblée mondiale de la santé qui préconisa notamment une distribution équitable du vaccin et une enquête sur l’origine animale de l’épidémie. En parvenant à négocier ce texte commun avec la Chine et les Etats-Unis, en soutenant l’OMS, alors que Donald Trump l’attaquait avec véhémence, les Européens ont relancé la coopération à un moment d’extrême polarisation.
Au plan intérieur, dès le 27 mai 2020, la Commission a proposé un nouveau programme pour la santé, EU4Health, doté d’un budget de 9,4 milliards d’euros, afin de renforcer les prérogatives européennes en matière de sécurité sanitaire. L’« Europe de la Santé », voulue par Ursula von der Leyen, ne se fera pas en effet sans des ressources supplémentaires pour les agences de sécurité sanitaire, sans des capacités d’achats groupés et sans un partage plus large des méthodologies.
Dernière rupture, majeure elle aussi, qui restera dans les annales de l’Europe, celle de l’adoption en juillet dernier de l’instrument de relance Next Generation EU (750 Md€), qui fit sauter le triple verrou du plafond budgétaire, de l’absence de nouvelles ressources propres et de l’interdiction de s’endetter au nom de tous. Conjugué à un budget de 1074,3 Md€, c’est donc 1824,3 Md€ qui permettront ces prochains mois aux citoyens, aux entreprises, aux collectivités d’Europe de se remettre, d’urgence, de la pandémie de la Covid-19.
Ces ruptures en appellent à l’évidence d’autres. Au-delà du secours d’urgence apporté aux budgets nationaux, l’Europe devra en effet orienter prioritairement ses moyens nouveaux vers des politiques communes, financées grâce à elles. Europe de la Santé, infrastructures énergétiques et digitales, politiques de R&D et d’innovation, soutien aux industries culturelles, efforts de lutte contre les différentes précarités qui jailliront de la crise… les chantiers ne manqueront pas, qui supposeront plus que jamais mutualisation, coordination et surtout ambition partagée !