Allemagne : à enjeux nationaux, réponses nationales ?

Patrice PELISSIER

Senior advisor pour des groupes industriels européens et des fonds d’investissement anglo-saxons

Les Allemands font preuve d’une indifférente bienveillance vis-à-vis de l’Europe. Pourquoi ? Parce qu’ils ne voient pas en quoi l’Union européenne leur permettra de régler leurs problèmes nationaux.

Comment expliquer le manque d’enthousiasme des Allemands pour les propositions d’approfondissement de l’Union européenne émises par Paris et Bruxelles ? La raison en est simple : si l’Allemagne a bel et bien des problèmes à régler, leur résolution passe avant tout par des politiques nationales. La réforme de l’UE appelée de ses vœux par Emmanuel Macron ou proposée par Jean-Claude Junker, entraînera, vue d’Allemagne, plus de coûts, conduira à moins de souveraineté et ne permettra quasiment pas de résoudre les problèmes actuels du pays. L’argument selon lequel, sans profonde réforme, l’UE court à sa perte, ce qui serait dommageable pour l’Allemagne plus que pour tout autre pays membre, n’est pas (ou plus) – à tort ou à raison – aujourd’hui audible dans le pays. Les Allemands constatent de fait que l’UE a finalement surmonté en l’état la crise financière, que les propositions de réformes de l’UE ne changeraient rien ni au Brexit ni à l’agressivité de Trump ou de Erdogan… Pire, ils ont aussi en mémoire le fait que lorsque leur pays a dû relever un défi majeur, comme la crise des réfugiés de l’été 2015, il s’est retrouvé bien seul. Une refondation de l’UE apparaît d’autant moins nécessaire, que l’Allemagne va bien, même très bien, contrairement à la Grande-Bretagne, la France, l’Italie ou l’Espagne.

Le problème structurel de l’Allemagne demeure sa démographie dramatiquement vieillissante. La population passera en dessous des 80 millions d’habitants d’ici une quinzaine d’années. Dès 2035, il n’y aura plus qu’un actif par retraité, avec des conséquences financières catastrophiques, d’ores et déjà calculables, pour le système de protection sociale. En quoi la création d’un ministre des Finances européen pourrait-elle aider l’Allemagne à affronter cet enjeu ?

L’autre défi majeur est migratoire. L’Allemagne a accueilli, entre 2013 et 2016, 1,7 million de migrants. Aucun autre État membre n’a fait preuve d’une telle solidarité. Sur un objectif de 160 000 « relocalisations » fixé par Bruxelles, seuls 35 000 migrants ont effectivement été relocalisés au sein de l’UE. Aujourd’hui, l’Allemagne doit intégrer l’essentiel de ces migrants et a la ferme intention de renvoyer les déboutés du droit d’asile. Nul n’imagine que la transformation du Mécanisme européen de stabilité (MES) en un FMI européen serait d’une utilité quelconque pour résoudre la question migratoire. Et si Bruxelles envisage de verser 4,8 milliards d’euros à l’Allemagne en guise de compensation pour l’absence de solidarité des autres pays de l’Union, cette aide pourra être versée dans le cadre actuel de l’UE sans nécessité de réforme.

Le troisième sujet de préoccupation des Allemands est la crise du logement. Du propre aveu de la Chancelière, il manque 1,5 million de logements dans le pays, ce qui conduit à une explosion des loyers, notamment dans les grandes villes, avec un impact significatif sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier des jeunes. Il manque en Allemagne, depuis plus d’une décennie, entre 100 et 150 000 logements chaque année. Et si l’arrivée massive de migrants a aggravé le problème, elle ne l’a pas provoqué. Or l’Allemagne souffre d’un triple déficit foncier constructible en zone urbaine, en efficacité bureaucratique et surtout en main-d’œuvre. En quoi un budget propre pour la zone euro règlerait-il ce problème ?

Autre frein à la croissance économique du pays : le retard des infrastructures tant traditionnelles que technologiques. Le réseau routier s’est fortement détérioré en raison de la restriction des investissements décidée par le Chancelier Schröder dans l’agenda 2010 : de nombreux ponts sont fermés à la circulation, de grands axes sont mal entretenus et ne répondent pas à l’accroissement massif du trafic, notamment du fret. Il faudra attendre le milieu de la prochaine décennie pour une remise à niveau complète.

L’Allemagne a aussi pris un retard énorme dans l’Internet à haut débit. Seuls 7,3 % des territoires en bénéficient, un niveau bien inférieur, non seulement à la moyenne européenne, mais aussi aux pays baltes ou à l’Espagne. Un quart des entreprises, notamment les ETI (le « Mittelstand »), souvent implantées en zone rurale, pâtissent de la lenteur désespérante de l’internet, poussant même certaines sociétés à déménager ! En quoi une réforme des institutions européennes serait-elle d’un secours quelconque à l’Allemagne pour lui permettre une remise à niveau de ses infrastructures étant entendu que ce problème ne résulte pas d’un déficit de financement ?

Pour les populistes, l’Union européenne est la source de (tous) leurs maux. Pour les Allemands, plus mesurés, l’Union est utile et doit être préservée, éventuellement adaptée pour en conserver les avantages réels, mais elle ne semble pas pouvoir résoudre leurs problèmes actuels. Dans les deux cas, l’UE n’est pas en phase avec les préoccupations citoyennes. Et les électeurs allemands ne voient pas bien en quoi les projets de réforme visionnaire y changeraient quelque chose. Le travail pédagogique s’annonce donc compliqué…

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