Titrisation : une composante-clé de la Capital Markets Union

Jean-Marie ANDRES

Senior fellow, EUROFI

Malgré la défiance qu’elle suscite auprès de l’opinion publique suite au scandale des subprimes, la titrisation fait néanmoins partie des instruments de relance du financement de l’économie. La Commission en fait une priorité et travaille à établir des critères de transparence et de qualité.

La titrisation est un complément nécessaire au financement bancaire classique, notamment des entreprises, dans le contexte de la désintermédiation des banques. Quelles sont ses principales composantes ? Les titrisations sont des émissions de titres d’investissement effectuées par des structures financières qui regroupent et isolent des financements bancaires – financements hypothécaires, des entreprises ou de la consommation des ménages, etc. Selon la nature de ces sous-jacents, les titres s’appellent des RMBS (Residential Mortgage Backed Securities) pour les prêts immobiliers des ménages, ABS (Asset Backed Securities) pour les crédits à la consommation et les crédits automobiles, CDO (Collateralised Debt Obligations) pour les obligations d’entreprises… La titrisation permet d’alléger les bilans des banques et leur évite le recours coûteux aux fonds propres et aux liquidités, prévu par la nouvelle réglementation bancaire. Cet allégement permet aux emprunteurs de continuer à bénéficier des réseaux capillaires de financement des banques, indispensables pour évaluer les risques individuels sur la base des spécificités économiques locales, et donc la solvabilité réelle des emprunteurs.
En outre, la titrisation devrait favoriser les transferts de risques transfrontaliers, et ainsi limiter l’impact sur les systèmes financiers nationaux d’un éventuel choc susceptible de se produire au sein d’un État membre. Cette dimension transfrontalière devrait également contribuer à réduire les écarts entre les coûts d’emprunt. Enfin, la titrisation permettrait de centrer davantage les politiques monétaires quantitatives sur l’achat de titres finançant directement l’économie.
Il est utile de comprendre les spécificités du marché américain
Au-delà du fait que l’ensemble des titrisations émises dans l’UE ne représente que 20 % de leurs homologues américaines, l’une des différences frappantes entre les États-Unis et l’Europe réside dans le volume prépondérant de ces titres, émis directement par des GSEs, les Government Sponsored Enterprises(1) : 70 % ! Une telle pratique présente l’avantage d’exonérer les banques américaines du besoin de se doter de ressources prudentielles pour assurer le financement de l’accession à la propriété. La titrisation directe par les GSE des financements « originés » par les banques permet aussi de les libérer des ressources prudentielles requises en vis-à-vis des portions de titrisation (5 %) que les banques doivent retenir dans leur bilan pour garantir l’alignement de leurs intérêts d’émetteur avec ceux des investisseurs finaux.
Si l’UE adoptait une approche similaire, cela reviendrait à transférer les risques hypothécaires sur les bilans des États. Il faudrait tenir compte du niveau d’endettement du secteur public des États, ainsi que du risque potentiel à lier le financement du secteur immobilier à celui du secteur public. Autre spécificité intéressante : la titrisation des prêts accordés aux PME est très limitée aux États-Unis. Le ciblage explicite en Europe des actifs sous-jacents est un élément crucial, car les compétences requises chez les investisseurs varient grandement en fonction de ceux-ci. En effet, il y a une différence entre investir dans les titrisations de prêts aux PME et acheter une tranche de titres RMBS émis par une GSE américaine, qui bénéficie d’une garantie fédérale…
Et mieux calibrer les réglementations prudentielles
Autre différence, en Europe, les taux de défaillance des titrisations sont systématiquement et significativement plus faibles : de mi-2007 au 4e trimestre 2010, 0,95 % pour l’ensemble des produits de financement structuré contre 7,71 % aux États-Unis. L’UE doit en tenir compte pour calibrer sans excès les contraintes réglementaires imposées aux investisseurs dans la définition de la « titrisation de bonne qualité ». Enfin, un calibrage correct des réglementations prudentielles doit aussi tenir compte de la place souhaitée pour l’industrie bancaire dans le financement des titrisations. Aux États-Unis, les GSEs titrisent directement ce que les banques originent, puis les banques investissent en titrisations. Si en Europe, il s’agit de centrer les banques à la fois sur l’origination des sous-jacents et leur titrisation, et moins de les voir investir, il faudra alors adapter la calibration de leurs charges prudentielles.
En Europe, des investissements conséquents dans les technologies de l’information seront essentiels, en particulier pour donner suffisamment de transparence au marché en communiquant des informations indispensables sur les actifs sous-jacents. L’harmonisation et l’industrialisation y seront aussi de nature à favoriser l’émergence d’un marché secondaire des produits titrisés, et contribueraient à améliorer la fluidité et la rentabilité de ces outils de financement.

1) Les deux GSEs les plus connues sont la Federal National Mortgage Association, Fannie Mae et la Federal Home Loan Mortgage Corporation ou Freddie Mac.

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