Réviser Schengen

Catherine WIHTOL DE WENDEN

Directrice de recherches au CNRS (CERI), spécialiste des questions de migrations internationales

La crise migratoire de l’été 2015 a mis à mal les accords de Schengen puisque plusieurs États membres ont décidé de rétablir temporairement les contrôles à leurs frontières. Face à l’afflux de migrants, l’Union européenne s’est révélée désunie et ses réponses ont été dictées par la peur. Fermer les frontières ne peut être la solution…

Les accords de Schengen, signés en 1985 à Schengen, au Luxembourg, ont été adoptés pour préparer l’Europe de la liberté de circulation intérieure et de la sécurité extérieure. Ils ont été accompagnés d’une convention Schengen, approuvée par les États signataires en 1990. Tous les pays de l’Union européenne ne l’ont pas signée : le Royaume Uni, l’Irlande et le Danemark n’en font pas partie, mais ce dernier participe aux négociations. Certains États, comme la Suisse et la Norvège, ont adhéré à Schengen sans être un État de l’Union. La conséquence de ces accords a été l’adoption de visas pour entrer dans l’espace Schengen pour les ressortissants de pays tiers en 1986. Les visas dits « Schengen » sont valables pour tout le territoire des pays signataires et pour une durée inférieure à trois mois. Pour les séjours de plus longue durée, les visas sont nationaux, valables pour un seul État européen d’accueil. Le dispositif Schengen est assorti d’un système informatisé, le SIS (Système d’information Schengen) qui sert à l’identification des sans-papiers entrés à nouveau dans le territoire européen, des déboutés du droit d’asile et des délinquants qui n’ont plus le droit de pénétrer dans les pays de l’espace Schengen.

Européaniser l’asile
Les accords de Schengen ont été assortis, depuis les années 2000, de multiples instruments supplémentaires de contrôle des frontières : le Système intégré de vigilance externe (SIVE). Ce système de contrôle des frontières aux abords de l’Europe s’exerce sur les côtes méditerranéennes, notamment au large de l’Espagne, et a été adopté suite au sommet européen de Séville de 2002. En 1990, les accords de Dublin sur l’européanisation de l’asile à l’échelle européenne ont été adoptés pour éviter les candidatures multiples à l’asile adressées à plusieurs États européens (« asylum shopping ») et empêcher la diversité des réponses selon les États. Ces accords ont été complétés en 2002 par Dublin II, accord en vertu duquel l’examen du dossier doit être traité dans le premier pays de l’Union européenne dans lequel les demandeurs d’asile ont mis le pied, en vertu du principe « one stop one shop ». Enfin EURODAC, un système de dactyloscopie des empreintes digitales des demandeurs d’asile dans l’Union européenne, a été adopté en 2000. Il a pour objectif de dissuader les fraudeurs en détectant les demandes effectuées par un même candidat sous des noms différents.

Les accords de Schengen ont été élaborés à une époque où l’on pensait que les grandes migrations de main-d’œuvre étaient terminées, après la crise industrielle, que les migrants du Sud retourneraient dans leur pays et que les Européens, grâce à leur mobilité, viendraient remplacer les migrants non européens. Aucun de ces scenarii ne s’est vérifié, et les accords de Schengen, expérimentaux à l’origine, ont été maintenus. Ils permettent le développement de frontières à distance, une externalisation des frontières avec les visas accordés dans les consulats européens des pays de départ.
La crise migratoire a été l’occasion de suspendre les frontières ouvertes entre les pays européens signataires de Schengen, en 2011 et 2015 (Italie/France, à Vintimille), et dans l’Europe de l’Est et les Balkans en 2015 où plusieurs pays membres de Schengen comme la Hongrie, la République tchèque ou la Pologne ont fermé leurs frontières Schengen pendant une période limitée, une clause prévue par le code Schengen en cas de sécurité menacée.

Le fait que certains pays européens ne soient pas membres de Schengen, comme le Royaume Uni et l’Irlande, que d’autres aient attendu avant de mettre en œuvre l’accord comme l’Italie et l’Espagne, que d’autres aient fermé leurs frontières pendant la crise de l’accueil des réfugiés a conduit à nombre d’effets pervers : attractivité de l’Europe du Sud pour les sans-papiers jusqu’en 1997, manque de solidarité entre pays européens en 2015, drame de Calais depuis 1998, liens de plus en plus manifestes entre l’obligation de visas et le développement d’une économie du passage contournant les visas en Méditerranée.
Faut-il supprimer Schengen ? Non, car ces accords permettent la liberté de circulation, d’installation et de travail, prélude à la citoyenneté européenne, instituée en 1992, un progrès considérable pour tous ceux qui vivent en traversant les frontières en Europe (frontaliers, étudiants, commerçants, touristes, seniors au soleil en Europe du Sud). Mais il faut remettre à plat la politique européenne de contrôle des frontières externes de l’Europe, inefficace et mortifère.

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