Quelles devraient être les deux priorités de la stratégie numérique européenne ?

Benoît THIEULIN

Président du Conseil national du numérique

Au terme de six mois de discussions, le rapport « Ambition numérique » a été remis au gouvernement français par le Conseil national du numérique. À travers soixante-dix propositions, il définit les lignes d’une politique française et européenne de la transition numérique.

Six mois de concertation en ligne et de rencontres sur le territoire ont abouti aux soixante-dix propositions du rapport « Ambition numérique ». Remis, au mois de juin, au gouvernement français par le Conseil national du numérique, ce rapport définit les lignes d’une politique française et européenne de la transition numérique. À court terme, deux axes apparaissent prioritaires : la reconsidération de la structure du financement de l’économie de l’innovation et la garantie de la loyauté des plateformes.
Manque d’expertise des nouveaux modèles économiques
Pourquoi faut-il se pencher sur les structures de financement de l’économie digitalisée ? Car, ce type d’économie implique pour les entrepreneurs d’innover en permanence, de croître rapidement et de se positionner dès leur création sur un marché international. Tout cela exige un accès au capital. Or, les entreprises européennes se financent essentiellement par de la dette bancaire, alors que les PME américaines se financent à 80 % par du capital. Les acteurs traditionnels du financement de l’économie doivent ainsi s’adapter aux nouveaux modèles économiques. De nombreuses adaptations sont possibles : les banques, si elles sont les acteurs majeurs du financement, doivent créer des produits et services bancaires plus adaptés. Les pouvoirs publics peuvent également faire évoluer les règles de fiscalité de l’épargne afin de la rediriger vers le financement de long terme et apporter des garanties supplémentaires en volume de liquidités. Par ailleurs, le manque d’expertise technique des analystes financiers et des bourses nationales en matière de numérique et d’innovation pousse trop souvent des entreprises de croissance à se tourner vers les États-Unis ou l’Asie pour réaliser leur introduction en bourse ou pour se faire acquérir par un géant industriel. Le scénario qu’a connu la société de publicité numérique, Criteo, désormais cotée à Wall Street, risque de se reproduire si l’Europe ne se dote pas d’une meilleure expertise en matière d’analyse des nouveaux modèles économiques.
Créer un réseau européen d’agences de notation
Le Conseil national du numérique propose par exemple la construction de places de marché dédiées au financement de l’innovation en ciblant des secteurs dans lesquels l’Europe a déjà un vivier d’entreprises de croissance, comme les objets connectés, la e-santé ou la gestion des données. Ces propositions concernent directement le projet européen Union des Marchés de Capitaux, qui ambitionne de faire de l’Europe une place de marché attractive au niveau mondial.
Autre axe majeur, la mise en place d’un système de régulation fiable. Il est en effet indispensable de mieux comprendre ce modèle de développement qui bouscule les schémas classiques de régulation économique, interroge la protection des droits individuels et qui va investir demain les banques, les transports, etc. Nous avons proposé d’exiger la loyauté de leur comportement et de créer un réseau européen d’agences de notations chargées de noter cette droiture. Nous sommes convaincus qu’il faut, dans une économie de l’audience, une régulation plus sociale et davantage poussée par le marché. Faire remonter des faits et évidences sur les pratiques, bonnes ou mauvaises, exige une pluralité de compétences – ergonomie des interfaces, compétences techniques, etc. – qui ne peuvent être assumées uniquement par des juristes. Notre concertation avec les acteurs français concernés par le cas Google Search a montré le besoin d’objectiver les difficultés auxquelles font face les utilisateurs professionnels et particuliers des plateformes. La Commission dispose d’une expertise technique importante mais qui reste en interne. Il y a pour- tant un intérêt à fournir des informations utiles à la société civile, au marché et aux investisseurs pour se positionner. Ce travail pourrait s’appuyer utilement sur les utilisateurs de services eux-mêmes et sur les fortes communautés d’ingénieurs, chercheurs et associations qui font déjà une partie du travail en vulgarisant par exemple les conditions générales d’utilisation (CGU) des plateformes. Nous espérons que cette proposition sera étudiée à l’issue de la consultation de la Commission européenne sur les plateformes. Il y a sur ces enjeux un besoin de coordination et nous pourrons déjà bénéficier d’une convergence des préoccupations en Allemagne, en France et désormais en Italie avec la Commission Rodota. Il faut enfin saluer l’action déterminée de la Commission Juncker en faveur du Marché unique numérique mais l’Europe va rapidement devoir faire plus et proposer des options claires pour un modèle de développement soutenable vis-à-vis des deux grandes transitions que sont le numérique et l’environnement.

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