Industrie 4.0, l’Allemagne loin devant !

Patrice PÉLISSIER

Président d’une entreprise industrielle familiale allemande pendant 17 ans, senior advisor pour des groupes industriels européens et des fonds d’investissement anglo-saxons

Au sein de l’Union européenne, c’est en Allemagne que l’industrie 4.0 est la plus développée. Depuis 2015, l’Allemagne a pris conscience de l’importance de cet enjeu crucial pour son économie et tout particulièrement dynamisé par son Mittelstand(1).

Question économique bien sûr, la transition numérique est (aussi) un enjeu sociétal et politique, qui peut légitimement être débattu au niveau communautaire. Elle touche tous les acteurs économiques, sociaux, culturels et l’ensemble des citoyens, et ce dans les 27 pays de l’Union européenne.
L’industrie 4.0 ne constitue toutefois qu’une partie de la transition numérique, qui, bien qu’importante, en raison de sa dimension éminemment stratégique ne concerne qu’un nombre limité de secteurs d’activité et donc d’entreprises. Concrètement, l’industrie 4.0 correspond à la numérisation de l’usine. Elle révolutionne le rapport homme-machine et permet le dialogue entre équipements industriels, outils de production et produits finis. Il s’agit donc d’un enjeu sectoriel, certes fondamental pour l’univers manufacturier, mais sans véritable portée sociétale et politique. L’industrie 4.0 ne concerne de fait qu’un nombre restreint de pays, à savoir ceux qui disposent d’une industrie de fabrication de biens d’équipements et d’un vrai tissu d’entreprises qui exploitent lesdits équipements. Au sein de l’Union européenne, force est de constater que la majorité des pays membres ne sont donc que peu concernés par l’industrie 4.0.
Pour dire les choses de façon un peu caricaturale, l’industrie 4.0 est un enjeu crucial pour l’Allemagne du fait de sa forte position industrielle (et, dans une moindre mesure, pour l’Autriche et l’Italie), c’est un sujet pertinent pour un nombre limité d’entreprises dans les autres pays.
L’Allemagne a, pour sa part, de sérieux atouts pour réussir la transition numérique appliquée à l’industrie et étant donné l’importance de la production de biens d’équipements dans son économie, elle n’a en quelque sorte pas le choix. Il a fallu cependant quelques années pour que l’Allemagne en général, et tout particulièrement son Mittelstand mesure l’importance de l’enjeu, mais, depuis 2015, les énergies se mobilisent pleinement et les initiatives concrètes se multiplient.

Dynamique des initiatives
L’atout décisif de l’Allemagne, pour réussir la numérisation de son industrie, réside dans l’intensité et la qualité du dialogue mené entre les principaux acteurs concernés : les grands groupes (Siemens, Bosch…), le Mittelstand, les Centres de recherche universitaire et les Fraunhofer-Instituten (spécialisés dans la recherche en sciences appliquées), les syndicats (IG Metall) et les décideurs politiques (au niveau de l’État fédéral et des Länder). Rarement un sujet d’une telle envergure aura fait l’objet d’un tel consensus, les syndicats patronaux et de salariés ayant joué – ensemble ! – dès le début un rôle essentiel de sensibilisation auprès des pouvoirs publics. Signe de l’importance concrète prise par l’industrie 4.0, tous les cabinets de conseil de renom y voient leur nouvel eldorado.
La dynamique des initiatives favorisant la diffusion de l’industrie 4.0 est immense. Mais elle risque d’être obérée par deux obstacles, le premier d’ordre technique, le deuxième juridico-culturel. Première pierre d’achoppement, les fabricants d’équipements disposent plus ou moins chacun de leur propre système d’exploitation informatique, ce qui rend le « dialogue entre machines » conçues par différents fabricants souvent compliqué, car « elles ne parlent pas la même langue ». Le développement de standards pour l’échange des données et d’outils performants de « traduction » des informations à échanger constitue un levier majeur au développement de l’industrie 4.0. Il est vital de lever au plus tôt cet obstacle.
Deuxième écueil, alors que le fondement même de l’industrie 4.0 repose sur l’échange d’informations, il n’existe toujours pas de cadre juridique sur la sécurisation des échanges entre parties concernées, et à l’égard des tiers. Par ailleurs, l’échange de données se heurte aussi parfois à la culture du secret que partagent encore bien des patrons du Mittelstand allemand, très soucieux de préserver leur savoir-faire. C’est peut-être là que se trouve aujourd’hui le principal frein au développement de l’industrie 4.0 en Allemagne, alors que c’est justement au niveau du Mittelstand que se joue sa réussite.
Malgré ces entraves, l’Allemagne reste le pays de l’Union européenne où l’industrie 4.0 est la plus avancée. Elle joue donc un rôle pilote. Faisons en sorte de dynamiser cet essor, dont le succès ne manquera pas d’entraîner d’autres pays européens et de générer une dynamique pour l’UE dans son ensemble.

1) Terme qui désigne les entreprises familiales allemandes et qui correspond, si l’on recherche une équivalence avec la France, au secteur des PME/ETI.

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