Et l’Europe dans nos débats électoraux ?

Marcel GRIGNARD

Président de Confrontations Europe

Les candidats à l’élection présidentielle ne parlent d’Europe que de façon incidente et, la plupart du temps, pour critiquer une institution mal connue, mal aimée, mal en point. Les électeurs attendent qu’émerge un débat, porteur d’une vision d’avenir et traitant en profondeur les questions européennes.

Qu’attendons-nous des candidats à la présidentielle française ? Des débats de qualité qui éclairent l’avenir et de fait ne peuvent éluder la question européenne. L’Europe ne peut être un bouc émissaire censé « expliquer » les ratés nationaux, ni un simple ajout plaqué sur un programme se limitant à l’hexagone. Mais elle doit être cette vision proposant les voies, offrant les moyens de dépasser les crises et de donner aux citoyens des raisons d’espérer. L’emploi et ses conditions sociales sont, avec les enjeux de sécurité face au terrorisme, les priorités des Français, comme de la plupart des Européens. La France a besoin de réformes profondes pour relever les défis auxquels elle est confrontée au sein d’une économie ouverte et en plein bouleversement. Les leaders politiques ne peuvent faire comme si notre pays pouvait assurer seul la maîtrise de ces mutations, redoutables par leur ampleur. Les interdépendances sont croissantes. La croissance et l’emploi sont dorénavant corrélés à une évolution vers une économie décarbonée, soucieuse de la protection des ressources naturelles. Il s’agit là d’un impératif pour que les générations futures ne paient le prix fort de dérèglements déjà largement entamés. La population mondiale subit le résultat des comportements cumulés sur la surface du globe. Et aucun État, si puissant soit-il, ne peut en être seul maître du jeu. La numérisation de l’économie progresse rapidement et, avec elle, les incertitudes quant au nombre et à la qualité des emplois qui vont en découler. Quel usage sera fait des données personnelles ? Comment en garantir la protection ? Alors qu’un petit nombre de plateformes captent la création de valeur, comment assurer la redistribution des nouvelles richesses produites ? Le terme « enjeux de société » prend ici tout son sens.

Rôle crucial de l’Europe

La réussite des réformes que la France engagera pour améliorer sa compétitivité et son niveau d’emploi dépendra aussi de son environnement économique. L’instabilité financière peut réduire à néant ses efforts de maîtrise des finances publiques. Comment la France pourrait-elle obtenir, à elle seule, que les multinationales paient leurs impôts pour les activités qu’elles déploient sur notre territoire, si chaque pays développe ses propres règles sur fond de concurrence fiscale ? Dans l’ensemble de ces domaines, le rôle de l’Europe est crucial. Certes, des progrès ont été accomplis, mais que proposent les candidats pour franchir un cap supplémentaire ? Peser sur ce que sera notre futur, c’est-à-dire exercer notre souveraineté, se pose aujourd’hui de manière radicalement différente. Vouloir agir à l’échelle d’un seul État ou, ce qui revient au même, laisser se déliter la construction européenne aboutira à constater que nous ne maîtrisons pas les évolutions qui s’imposent à nous. Cela ne fera que conforter la déprime d’un pays nostalgique du temps où il était une grande puissance. Au contraire, agir avec les autres Européens, c’est se donner les moyens de participer à construire notre destin commun dans un monde qui doit se réinventer. C’est par la force de leurs coopérations que les sociétés humaines ont pu se développer et prospérer au fil de leur histoire. C’est aussi en assumant ce choix de la dimension européenne que les leaders politiques parviendront à dénouer une des causes majeures de la crise du politique à savoir l’écart grandissant entre la complexité et la globalisation des problèmes et les limites des moyens mis à la disposition des dirigeants pour y faire face. Fossé qui conduit à une forme d’impuissance et décrédibilise l’action politique.

La France ne peut fuir sa responsabilité

Garantir la sécurité intérieure, gérer les frontières, assurer la sécurité extérieure sont indissociables et nécessitent la mise en place de politiques cohérentes et de long terme. Ces défis nous imposent de choisir entre une stricte consolidation des solutions nationales ou un renforcement de l’efficacité de dispositifs européens communs. Revenir aux frontières nationales est onéreux : aux frais liés à la protection des frontières (bien plus élevés que la quotepart nationale d’un Schengen amélioré) s’ajoute le surcoût économique lié à leur fermeture : la suppression de Schengen coûterait 10 milliards par an à la France… Si la solution nationale permet de maîtriser totalement les moyens mis en oeuvre, l’efficacité en est limitée à l’heure de la cybercriminalité et de la porosité des frontières. Opter pour une solution européenne exige, en revanche, de jouer le jeu de la mise en commun des données, de la coopération entre services de renseignements, de lutte contre le terrorisme et la criminalité. Les tragiques événements berlinois de décembre dernier nous ont une nouvelle fois rappelés que la coopération européenne ne doit pas rester un vain mot. La sécurité extérieure doit être conjuguée à une force militaire et une diplomatie puissante. L’assumer seul est voué à l’échec alors que le siège permanent de la France au Conseil de sécurité apparaît de plus en plus comme l’héritage d’une histoire de plus en plus lointaine. Mais sommes-nous prêts à promouvoir une industrie de défense européenne et à placer une partie de nos forces diplomatiques au service de l’Union européenne ? Souhaitons-nous que l’Europe puisse parler d’une seule voix pour contrebalancer le poids des Russes et des Américains ? Des questions, qui peuvent paraître simples, n’en sont pas moins essentielles : Que voulons-nous faire ensemble ? Quels risques sommes-nous prêts à assumer ? Dans quels domaines entendons-nous partager notre souveraineté ? Les Européens doivent répondre à ces interrogations, qui se traduisent dans une multitude de questions précises portant sur l’emploi, l’économie, l’éducation, la sécurité… s’ils veulent redonner corps à une politique européenne. Les sommets européens – indispensables certes – se succèdent, mais déçoivent, les États membres restant prisonniers du climat de défiance mutuelle qui s’est peu à peu instituée et de leur incapacité à dépasser les intérêts nationaux de court terme. Repenser le fonctionnement institutionnel de l’Europe n’est pas d’actualité tant l’Union européenne semble éloignée des citoyens et de leurs préoccupations quotidiennes et parvient mal à prendre en compte la diversité culturelle des peuples qui la composent. Il est urgent de relancer de véritables processus de délibération associant les citoyens et de repenser les liens entre les États membres et l’Union, notamment en y associant les Parlements nationaux. Les candidats à la présidentielle doivent éclairer leur vision de l’Europe de demain et dire comment ils entendent mener les chantiers de rénovation de la politique européenne. Quel marché unique ? Quelle Union économique et monétaire ? Comment articuler Union européenne, Union économique et monétaire et voisinage ?

Le besoin de confiance

L’Europe, ce n’est pas 27 fois la France. Pourquoi les autres pays accepteraient-ils de se laisser dicter des mesures qui apparaîtraient relever d’un intérêt strictement national ? Sans faire l’effort de connaître les autres Européens, sans poser, dans le débat, le fond des désaccords, nous n’avancerons pas. Une politique européenne n’est pas le résultat d’un simple rapport de force entre États où les plus nombreux l’emportent à l’image de l’enjeu électoral national. Elle résulte d’un consensus recouvrant un intérêt commun en construction permanente. Retrouver la confiance entre Européens est le passage obligé pour y parvenir. La France a sa part de responsabilité dans le climat de défiance qui s’est installée entre les États membres. Elle n’a pas la réputation d’être celle qui tient toujours ses engagements et met en oeuvre les réformes qu’elle sait devoir conduire (quand elle ne renvoie pas sur l’Europe les responsabilités qui sont les siennes). L’appartenance à L’Union européenne, à l’Union économique et monétaire a ses atouts et ses contraintes. Elle oblige à observer les règles décidées en commun et à mettre tout en oeuvre pour les faire évoluer quand nécessaire. Qu’appelons-nous de nos voeux ? Des Européens agissant ensemble dans le domaine du numérique afin d’en faire une opportunité. Une « économie sociale de marché » à même de soutenir un développement économique prenant en compte les enjeux sociaux et sociétaux, faisant de leur monnaie commune un moyen de peser dans l’équilibre de la finance mondial… Une Europe référence en matière de solidarité, de démocratie, de paix. Cet horizon semble lointain, voire inaccessible tant l’Europe semble aujourd’hui enfoncée dans les crises. Mais c’est aujourd’hui qu’il nous faut poser ces balises. Que l’ensemble de ces enjeux européens soient abordés de façon constructive dans la campagne qui s’annonce serait une étape. C’est là l’attente de la grande majorité des citoyens en France, mais aussi en Europe, dans cette période de transition entre un monde finissant et un futur incertain que nous voulons porteur de progrès.

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