Défense et sécurité : déni ou sursaut ?

Nicole GNESOTTO

Professeur au CNAM et présidente du conseil d’administration de l’IHEDN (Institut des Hautes études de Défense nationale)

L’Europe n’a jamais été autant menacée par les crises à ses frontières et par les attentats djihadistes sur son propre territoire, l’attentat de Berlin de fin décembre en est le dernier exemple. Il est temps que l’Europe réponde à ces défis en mettant en place une politique étrangère et de défense commune.

Rarement depuis la guerre froide, ­l’Europe s’est trouvée à ce point menacée. Alors que sa politique visait à consolider, dans son voisinage, des zones de prospérité et de stabilité plus ou moins démocratiques, c’est l’inverse qui se produit : ce sont les crises et l’insécurité du voisinage qui se répercutent en Europe et fragilisent sa propre sécurité. L’Union européenne se trouve en effet confrontée à des crises durables, multiples, sans solution évidente ni rapide. Les menaces viennent à la fois des rapports de force classiques, la Russie contestant l’ordre européen et s’évertuant à perpétuer une zone grise de conflits et d’insécurité entre elle et l’Union. Les menaces viennent également des États du Sud, au Moyen-Orient comme dans la bande sahélienne, en proie à des conflits. Le tout alimentant, sur le territoire même de l’Europe, des terroristes djihadistes très actifs depuis 2015, alors que des centaines de milliers de réfugiés fuient également les guerres du Sud pour chercher asile sur le continent européen. Au final, bien des éléments – la peur de l’adversité, la menace terroriste, les difficultés d’accueil de réfugiés très nombreux, sur fond de crise économique ou encore le vieillissement des classes moyennes inquiètes de leur possible paupérisation –, nourrissent des mouvements populistes et d’extrême droite de plus en plus puissants. On peut même se demander si la plus grande menace sur la sécurité des démocraties européennes ne réside pas dans la remise en cause croissante, voire banale, des valeurs mêmes de la démocratie.
Dans ce contexte déjà fortement dégradé, trois chocs extérieurs viennent assombrir encore un peu plus l’avenir : le Brexit qui remet en cause l’intégrité physique de l’Europe ; la victoire de Donald Trump aux États-Unis qui fait chanceler l’Alliance atlantique et les valeurs démocratiques qui la fondent ; et l’autoritarisme croissant en Turquie, bafouant les droits de l’homme élémentaires. Avec, à terme, cette question effrayante : que devient l’OTAN si ses États membres ne sont plus « déterminés à sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit » ?
 
Échelon européen pertinent
L’Europe se trouve face à deux options : le sursaut ou l’attentisme. Le sursaut suppose une relance rapide et déterminée de la politique étrangère et de défense commune de l’UE, avec les États qui le souhaitent et le peuvent sous impulsion française, et avec en toile de fond une vision commune du rôle de l’Union dans la mondialisation et du bon degré de complémentarité avec l’OTAN. L’attentisme, lui, se nourrit d’une propension systématique au déni, au refus de croire à la réalité du Brexit ou de l’évolution politique inquiétante des États-Unis. Les Européens refusent de se prendre en main, par peur de précipiter ce qu’ils ont toujours voulu éviter : l’indifférence, voire l’abandon ­stratégique des États-Unis.
Si le monde était raisonnable, le volontarisme européen serait d’ores et déjà en marche, empreint de résilience stratégique et de vigilance, voire de résistance, démocratique. Mais, comme l’irrationnel domine un peu partout, c’est plutôt la tentation du déni et de l’immobilisme qui semble l’emporter.
Et pourtant, plusieurs arguments militent en faveur d’un sursaut européen. D’une part, la nouvelle équation stratégique de l’Europe semble très simple : les crises sont de plus en plus nombreuses, l’Amérique de moins en moins présente, ce qui ne peut, logiquement, qu’entraîner plus d’Europe. D’autre part, l’échelon européen s’affirme bien plus pertinent que l’échelon national : ni la lutte contre le terrorisme, ni la pacification des crises extérieures ne peuvent désormais être menées à l’échelle nationale. Enfin, la valeur ajoutée de l’Union pour les phases de stabilisation post-crises est sans équivalent : aucun État seul ne peut en effet mobiliser des dizaines de milliards d’euros pour la consolidation de la paix, comme le peut le budget européen.
Ne pas laisser s’imposer le renoncement stratégique et politique de l’Europe est vital. Car l’un va avec l’autre : si l’Union européenne renonce à prendre en main sa propre sécurité, ne renoncera-t-elle pas aussi à défendre ce qui reste le fondement même de son existence : la démocratie politique représentative et la liberté d’entreprendre et de penser ?

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