Restaurer la confiance

Stefan SEIDENDORF

Directeur adjoint du Deutsch-Französisches Institut

Quelles sont les conditions à réunir afin de renforcer la gouvernance de la zone euro ? Quel rôle
pour le tandem franco-allemand ? Analyse de Stefan Seidendorf de l’Institut Franco-Allemand de Ludwigsburg.

L’élection d’Emmanuel Macron a suscité une forme d’enthousiasme en Allemagne qui n’est pas sans rappeler les moments extraordinaires que furent les rencontres entre le général de Gaulle et le chancelier Adenauer dans les années 1960. Cependant, on peut se demander si au-delà de l’euphorie, les conditions sont à présent réunies pour permettre au couple franco-allemand de jouer un rôle constructif et d’avant-garde pour l’Union européenne, et d’abord pour la zone euro. Aujourd’hui, après l’élection présidentielle en France et avant les élections en Allemagne en septembre, beaucoup de chemin reste à parcourir, ne serait-ce que pour rattraper l’effet dévastateur qu’a eu la crise financière et économique (et surtout sa gestion politique par les États membres de l’UE) sur la confiance autant entre acteurs politiques qu’entre citoyens en France et en Allemagne.
Pourtant, on peut affirmer que cette « construction inédite, jamais vue », pour reprendre les mots de François Mitterrand, a aujourd’hui une réelle chance de se ¬transformer à nouveau et de répondre aux attentes des citoyens. De manière assez étonnante, on retrouve quatre éléments qui, dans le passé, ont pu expliquer les moments où l’importance prépondérante de la relation franco-allemande faisait avancer l’Europe. Et tout ne s’explique pas, ou seulement en deuxième lieu, par le poids économique et politique des deux pays, ou l’« amitié franco-allemande ». Après tout, « il n’y a pas de grand pays en Europe », et les États continuent à avoir des intérêts, plutôt que des amis…
Le premier élément, au niveau géopolitique, concerne l’incertitude quant au rôle futur des États-Unis, incertitude qui a toujours joué en faveur d’un rapprochement entre Européens, et avant tout entre Français et Allemands. Un tel rapprochement, et c’est le deuxième élément, passerait par un grand compromis franco-allemand et européen : à l’intérieur de la zone euro, cependant, la France et l’Allemagne s’opposent sur un point fondamental qui peut se résumer en deux mots : « austérité » ou « relance ». La réalité derrière les paroles est bien plus compliquée, et comme souvent, les deux positions peuvent se comprendre, à condition de bien vouloir se mettre à la place de l’autre. S’il semble aujourd’hui admis que la zone euro nécessite d’autres instruments d’amortissement de chocs externes, de (re-)distribution et de soutien financier que ceux qui existent actuellement, il est tout aussi évident que le problème de la zone euro n’est certainement pas un endettement insuffisant de ses pays membres, bien au contraire…

Compromis acceptable pour tous

Comme souvent dans le passé, un compromis entre les deux positions serait d’abord un compromis franco-allemand. Il deviendrait ensuite acceptable pour les autres pays européens à condition que chacun s’y retrouve et que la solution européenne propose « un plus » bénéfique à tous – et qu’elle soit garantie par un acteur neutre, européen, plutôt que par les deux plus grands pays, qui peuvent rapidement changer d’avis. C’est seulement entre l’Allemagne et la France qu’existent les instruments institutionnels qui obligent les acteurs politiques en permanence à se rencontrer et à confronter leurs points de vue, précondition pour trouver un compromis.
Pour transformer la confrontation des préférences nationales en compromis franco-allemand, et c’est la troisième condition du succès du moteur franco-allemand, il faut ensuite une volonté politique. Au-delà de leur intérêt national, les acteurs-clés doivent prendre en compte l’intérêt commun européen. Pour la chancelière allemande ainsi que pour le président français, ceci comporte évidemment le risque de s’attirer les défaveurs de leurs opinions publiques. Lors des élections nationales, il n’est pas surprenant que le soi-disant intérêt national prime. Il est toujours difficile et coûteux de convaincre les électeurs de la responsabilité particulière qu’ont la France et l’Allemagne à consolider une Union qui les dépasse. Pourtant, les deux protagonistes affichent aujourd’hui des positions ouvertement pro-européennes. Ce qui, surtout pour la chancelière, est le reflet d’une évolution assez étonnante : lors de la première visite du nouveau président français, Angela Merkel allait même jusqu’à affirmer que ¬désormais, l’Allemagne serait prête à envisager un changement des traités si nécessaire, étape qu’elle avait jusqu’ici catégoriquement écartée.
Comment expliquer un tel revirement ? Sans doute est-il à chercher du côté de l’opinion publique des deux pays. C’est ici que nous pouvons observer un changement majeur, et c’est le quatrième élément qui peut expliquer le succès (ou l’échec) du « moteur franco-allemand ». Après des années où les populismes anti-européens et souvent réactionnaires avaient le champ libre, les tenants d’une société ouverte, libérale et pro-européenne assument enfin leur choix avec enthousiasme et émotion. Ils découvrent qu’on peut même gagner des élections en faisant une déclaration d’amour à l’Europe. Les réseaux sociaux révèlent la vigueur d’une société civile franco-allemande que beaucoup pensaient morte et qui, au contraire, continue à interpeller les acteurs politiques des deux pays sur leurs responsabilités (la « levée de boucliers » lors de la suppression des classes bilangues par le précédent gouvernement, promptement rétablies par le gouvernement Macron, est le dernier exemple en date).
Si Angela Merkel a suivi de très près l’aventure singulière du candidat Macron, elle scrute, en bonne tacticienne, d’aussi près l’épopée de son challenger Martin Schulz. En tant qu’ancien président du Parlement européen, ce dernier n’est nullement prédisposé à lâcher son sujet de prédilection. Fait assez rare, les deux candidats à la chancellerie se livrent donc à un concours pro-européen, qui passe pour les deux camps par la démonstration de leur relation privilégiée avec les acteurs français. On ne peut que s’étonner devant le ballet de ministres (et de leurs collaborateurs) qui font actuellement le déplacement (dans les deux sens), affirmant leur volonté de travailler ensemble.
Si tous ces éléments peuvent aider à reconstruire une confiance perdue entre Français et Allemands, il ne faut pas se tromper : le processus sera long, et le résultat incertain, du moins jusqu’à ce que les deux parties soient convaincues du sérieux de l’autre et de sa volonté de travailler ensemble, au prix de choix parfois douloureux. Les compromis laborieux suivront, mais avoir l’impression de pouvoir compter sur un partenaire sérieux, fiable et solide restera la précondition pour s’engager dans les grands chantiers communs.

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