TERRITOIRES AU COEUR DE L’EUROPE – Perspectives sur la construction d’une Europe sociale et le rôle des métropoles

Par Anne Hidalgo

Maire de Paris

Initiée dès le Traité de Rome en 1957, la construction de l’Europe sociale a jusqu’à présent été laborieuse. Il a fallu attendre 1985 pour que le volet social soit progressivement pris en compte dans les politiques européennes sous l’impulsion de la Commission Delors. Souvenons-nous par ailleurs que l’adoption par la Commission européenne, le Parlement et le Conseil d’un socle européen des droits sociaux date seulement de… 2017. Les engagements pris cette année lors du Sommet social européen de Porto permettront sa mise en œuvre.

Depuis des décennies, on explique cette lente construction de l’Europe sociale par la grande disparité existante entre les modèles sociaux des différents États membres, poussant ces derniers à conserver la maîtrise des questions sociales. Sans coordination et harmonisation, l’Europe sociale ne pourra se faire. Or, face à la montée des inégalités, observée bien avant la crise économique de 2008 et face à la crise climatique qui exacerbe encore les injustices et, désormais, la crise sanitaire, l’Europe sociale est plus que jamais nécessaire.

Certaines nouvelles sont réjouissantes. La Commission européenne a ainsi récemment réagi, grâce à l’activation des leviers à sa disposition. Le Green Deal, le Plan de relance et le Plan numérique suscitent quant à eux l’espoir des États, des collectivités locales mais aussi des citoyennes et des citoyens.

Il nous faut désormais un «Green Deal social», soit une véritable politique sociale au service des plus vulnérables et des classes moyennes, ces populations fragilisées par les crises qui se chevauchent. Il faut agir sur tous les fronts, en incluant systématiquement les citoyennes, les citoyens et les pouvoirs locaux, pour favoriser une relance européenne juste, écologique et locale, construire un nouveau pacte social dans le champ du travail, de l’emploi et de la formation.

C’est le message que j’ai porté le 7 mai dernier à Porto, aux côtés des chefs d’État et de gouvernement, des représentants des institutions européennes et de la société civile. C’est également le projet que nous portons avec l’ensemble des maires européens progressistes, au sein notamment des grands réseaux de villes et lors de nos échanges avec les institutions européennes qui se sont accélérés en 2021.

POURQUOI UN «GREEN DEAL SOCIAL»?

Commençons par quelques constats simples mais implacables: la crise sanitaire a agi comme un miroir grossissant des inégalités et des injustices sociales qui rongent notre pacte social depuis des décennies. Les jeunes, les femmes et les populations économiquement vulnérables ont été les plus touchés. Les classes moyennes, qui peinaient déjà à trouver leur place, se sentent désormais abandonnées. Partout en Europe, une partie d’entre elles se tourne vers le populisme, terrible danger pour notre démocratie.

Nous le savons, à cette crise sociale s’ajoute l’urgence climatique: ces deux crises sont étroitement imbriquées. La décennie 2020-2030 est cruciale si nous voulons éviter le pire. La crise climatique touche d’ores et déjà plus violemment les populations les plus vulnérables.

La révolution verte qui doit advenir aura des répercussions multiples et profondes sur nos sociétés, nos économies et nos politiques.

NE RATONS PAS LA RELANCE EUROPEENNE

Les plans de relance qui se dessinent doivent être l’occasion de repenser en profondeur notre modèle économique pour lutter à la racine contre ces injustices sociales et redonner espoir à la jeunesse et aux classes moyennes.

Pourtant, les villes et les collectivités n’ont pas pu bénéficier directement de ces financements. Ce n’est pas acceptable. De plus, dans un grand nombre d’États, les règles budgétaires n’ont pas été assouplies pour faire face à la dette générée par la crise sanitaire.

C’est pourquoi, avec les métropoles membres d’Eurocities, nous militons plus que jamais pour que les villes et les collectivités aient enfin toute leur place dans les plans de relance.

AGIR LOCALEMENT PAR LE BIAIS D’UN NOUVEAU PACTE SOCIAL EUROPEEN

Je le vois chaque jour en tant que maire : les politiques publiques construites dans la proximité sont les plus efficaces et les plus justes. C’est ce que j’appelle le «big bang de la proximité».

Au niveau européen, appliquer cette méthode consiste à mieux tenir compte de la situation locale, en rassemblant une large coalition réunissant la Commission européenne et les autorités locales, l’État et les syndicats, la société civile et les ONG, les entreprises et les universités.

Cette proximité est indispensable pour permettre le passage d’une économie carbonée à une économie décarbonée qui transformera, partout en Europe, le tissu industriel, les secteurs économiques et les bassins d’emploi.

À ce titre, ne répétons pas les erreurs des années 1980 durant lesquelles la création de Fonds structurels européens, bien que fort utile, s’est révélée insuffisante pour accompagner la désindustrialisation. Si l’Europe doit à nouveau proposer des mesures d’accompagnement il s’agit cette fois de le faire dans une ampleur inédite.

Parmi les pistes d’amélioration, il conviendra de mieux prendre en compte les besoins locaux et la spécificité de chaque bassin d’emploi pour éviter que leur destruction ne se concentre à nouveau dans certaines régions et leur création dans d’autres. Cette inégale répartition a provoqué un chômage structurel extrêmement élevé dans certains territoires.

Par ailleurs, ce nouveau pacte social européen devra mieux prendre en compte les mutations du travail. Aujourd’hui 40 % de l’emploi n’est pas salarié. Partout, le nombre de travailleurs pauvres – c’est-à-dire celles et ceux dont les revenus sont situés en-deçà de 60% du salaire médian – augmente. Dans nos villes, l’ubérisation de l’emploi induit par les plateformes fait naître des situations intolérables pour des travailleurs qui sont trop souvent des salariés déguisés et à temps partiel. Sur ce point, regardons vers l’Espagne qui a décidé de profiter du plan de relance européen pour réformer son code du travail afin de mieux protéger les travailleurs des plateformes.

Pour permettre à chacune et chacun de travailler dans des conditions dignes, il faut par ailleurs avancer sur la voie d’un salaire minimum européen. Il faut également faire preuve de plus d’ambition et de créativité: je pense à l’économie sociale et solidaire (ESS) qui redonne du sens au travail en créant tout à la fois du lien social et des emplois.

De l’audace, il nous en faudrait davantage, enfin, pour mieux prendre en compte les indicateurs sociaux et climatiques dans la mesure annuelle de la performance économique des États et de leur contribution au pacte de stabilité sur laquelle repose notre union monétaire. L’Union pourrait sur ce point s’inspirer de ce que les villes ont construit au sein des différents réseaux pour mesurer leur performance écologique et leur capacité à respecter la trajectoire des accords de Paris.

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