Next Generation EU : un plan de relance européen ambitieux

Luc Tholoniat

Conseiller principal à la DG ECFIN de la Commission européenne

La crise sans précédent de la Covid-19 a conduit l’Union européenne et ses Etats membres à prendre des mesures inédites pour protéger et soutenir leurs économies. Le plan de relance « Next Generation EU » approuvé en juillet 2020 constitue une avancée majeure à l’échelle européenne. L’ambition est double : permettre une reprise économique rapide et forte pour l’Union européenne dans son ensemble, tout en accélérant la transition verte et numérique essentielle à son avenir.

La crise économique provoquée par la Covid-19 est sans précédent pour l’Union européenne (UE). Dans ses prévisions de juillet 2020, la Commission européenne estime que l’UE sera confrontée à une contraction de près de 8% du PIB en 2020, la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale.

Même si une reprise forte est attendue dans un scénario où la crise sanitaire resterait globalement sous contrôle, les conséquences économiques seront majeures et durables : de nombreux secteurs et entreprises sont confrontés à une perte d’activité très significative ; le taux de chômage repartira à la hausse, alors qu’il avait atteint son niveau le plus bas au début de l’année 2020 ; le niveau d’endettement public bondira et pourrait dépasser 100% du PIB en moyenne dans la zone euro.

Tous les pays européens sont fortement touchés mais certains le seront davantage en raison de leur plus forte exposition à la pandémie et de leur structure économique. Ces divergences créent des risques de fragmentation et de déséquilibres au sein du marché intérieur et de la zone euro, alors même que l’UE devra continuer à faire face aux évolutions de la pandémie, aux conséquences négatives du « Brexit » et à un contexte international fragile.

 

« Les trois étages de la fusée européenne »

Face à cette crise, la réponse économique de l’UE s’est déployée de façon extrêmement rapide et déterminée, sur une période de quelques semaines à peine. Trois temps principaux – certains ont parlé des « trois étages de la fusée européenne » – peuvent être distingués.

Dès le début du mois de mars, alors que la gravité de la pandémie se confirmait à travers l’Europe, l’UE a procédé à une flexibilisation sans précédent de ses instruments afin de permettre aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires et d’agir comme premiers remparts face à l’urgence. En quelques jours, à l’initiative de la Commission européenne, qui proposait une première réponse économique coordonnée mi-mars, l’UE a autorisé la pleine mobilisation des fonds structurels européens disponibles, l’adoption d’un cadre temporaire exceptionnel pour les aides d’Etat et l’activation de la clause dérogatoire du Pacte de stabilité et de croissance permettant de dévier des trajectoires budgétaires agréées auparavant.

Au cours des semaines qui ont suivi, les Etats membres ont ainsi pu mobiliser près de 4% de PIB en mesures budgétaires discrétionnaires et près de 25% de PIB sous forme de garanties et de soutien à la liquidité. Ces dispositifs sont venus s’ajouter aux mesures fortes annoncées par la Banque centrale européenne dès la mi-mars.

Dans un deuxième temps, au cours du mois d’avril, les efforts ont porté sur la création de trois nouveaux pare-feux, entérinés lors de la réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement du 23 avril. Pour les travailleurs, la Commission européenne a mis en place un mécanisme inédit (connu sous l’acronyme SURE pour « Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency ») afin de soutenir les dispositifs nationaux de chômage partiel et de soutien à l’emploi s’y rattachant. Pour les entreprises, notamment les PME, la Banque européenne d’investissement a mis en place un fonds de garantie paneuropéen. Pour les Etats membres, le Mécanisme européen de stabilité a été autorisé à activer une ligne de crédit permettant de financer des dépenses liées aux mesures de santé. Ces trois nouveaux dispositifs – qui auraient sans doute pris des mois voire des années à être négociés en temps normal – ont été approuvés au cours du printemps. Leur force de frappe combinée s’élève à 540 milliards d’euros sous forme de prêts bonifiés.

Le troisième temps de la réponse européenne a consisté à la mise en place du plan de relance, dont les grands contours ont été finalisés dès le mois de mai. En dépit d’incertitudes persistantes concernant la pandémie, plusieurs travaux – tels les prévisions économiques de printemps de la Commission européenne – permettaient alors de mieux appréhender l’ampleur de la crise. Par ailleurs, les consultations menées au niveau européen permettaient de structurer les efforts collectifs de relance, à l’instar de l’initiative franco-allemande du 18 mai.

 

Next Generation EU : « réparer » et « préparer »

La Commission européenne a ainsi présenté ses propositions pour un plan de relance européen, intitulé Next Generation EU, le 27 mai. Son contenu complète les décisions mentionnées ci-dessus, ainsi que les propositions pour le futur cadre financier pluriannuel (CFP) de l’UE pour la période 2021-27, qui étaient encore en cours de négociation à l’époque. 

Dans sa présentation au Parlement européen le jour même, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a insisté sur la double ambition du plan de relance : non seulement « réparer » les dégâts majeurs provoqués par la crise, mais aussi « préparer » l’avenir, en renforçant la résilience de l’UE face aux chocs et en s’engageant résolument dans la voie d’une transition verte et numérique ambitieuse.

Après un sommet des 17-21 juillet lui aussi sans précédent par sa durée et par l’ampleur des montants en jeu, les chefs d’Etat ou de gouvernement sont parvenus à un accord qui précise les grands éléments du plan proposé par la Commission européenne.  

Le plan de relance européen permettra de mobiliser 750 milliards d’euros (390 sous forme de subventions et 360 sous forme de prêts) en plus des 1 074 milliards d’euros désormais prévus pour le CFP 2021-27, lui aussi agréé à l’occasion de ce sommet. Le Parlement européen a adopté une première résolution sur le sujet lors de sa séance plénière du 23 juillet.

Le caractère historique du plan de relance européen a été souligné à juste titre. Son financement sera assuré par un emprunt qui pourra être remboursé jusqu’en 2058. Cette possibilité d’emprunt sera créée grâce à l’augmentation temporaire du plafond des ressources propres du budget européen, garanti par l’ensemble des Etats membres en cas de besoin. Le remboursement pourrait s’effectuer grâce à la création de nouvelles ressources propres venant soulager les contributions nationales au budget européen : taxe sur les déchets plastiques non recyclés, redevance numérique ou mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières européennes.

Le principal élément du plan sera la création d’une Facilité pour la reprise et la résilience qui sera dotée de 672,5 milliards d’euros sur les 750 annoncés (312,5 sous forme de subventions et 360 sous forme de prêts). Pour activer ces financements, les Etats membres seront invités à présenter des plans détaillant leurs priorités pour les prochaines années. Ces plans tiendront compte de l’impact de la crise, mais aussi des objectifs européens de transition verte et numérique, ainsi que des recommandations économiques adressées à chaque pays au cours des années récentes. Ces plans seront donc au cœur des stratégies de relance nationales et de l’effort de coordination qui devra se poursuivre au niveau européen.

Le reste du plan de relance européen servira à renforcer des programmes qui ont fait la preuve de leur grande utilité face à la crise, tels les fonds structurels (à travers l’initiative REACT-EU), le programme européen de recherche (Horizon Europe) et le mécanisme de protection civile (RescEU). Ces programmes continueront de jouer un rôle d’appui pour l’acquisition et le partage d’équipements de santé, pour le suivi de la pandémie et la recherche d’un vaccin, ainsi que pour la coopération entre autorités publiques et personnels concernés à travers l’Europe.

L’accord obtenu en juillet sur Next Generation EU trace donc la voie d’une relance européenne coordonnée pour les années à venir. Au cours de l’automne, le législateur européen devra encore trouver un accord sur la trentaine de programmes qui composent le futur cadre financier européen. Chaque Etat membre devra également approuver formellement l’augmentation du plafond des ressources propres du budget de l’UE afin de permettre à la Commission européenne de mobiliser le financement nécessaire.

Une mise en œuvre rapide sera essentielle pour soutenir une reprise forte. Dans son analyse des besoins, la Commission européenne estime qu’un plan de relance de cette magnitude – plus de 5% du PIB européen – profitera à l’Union européenne dans son ensemble en termes de croissance et d’emplois, mais aussi à chacun de ses Etats membres, sans les endetter outre mesure. Par ailleurs, le plan devrait avoir un impact positif en termes de convergence et donc de cohésion et de solidarité au sein de l’UE. Enfin, au-delà de son impact macroéconomique, Next Generation EU est une occasion unique – et historique – pour accompagner et accélérer les mutations de l’économie européenne vers un modèle de croissance plus durable. 

L’auteur s’exprime à titre personnel. Ses propos n’engagent pas son institution. 

1 Le texte de l’accord est accessible sur le site du Conseil européen : 

https://www.consilium.europa.eu/media/45125/210720-euco-final-conclusions-fr.pdf

Derniers articles

Articles liés

Leave a reply

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici