La santé, angle mort du plan de relance européen

Gaël Coron

Chercheur au laboratoire Arènes (UMR CNRS 6051), Ecole des Hautes Études en Santé publique (EHESP)

Les transformations engendrées par la crise de la Covid-19 sur les structures et les politiques de l’UE sont importantes. Mais il est un champ dans lequel les changements semblent assez faibles, surtout au regard de l’événement générateur de la crise, c’est celui de l’Europe sanitaire.

Un « MacGuffin », voici à quoi s’apparentent les questions de santé à l’échelle européenne. C’est-à-dire, pour reprendre l’expression d’Alfred Hitchcock, un élément déclencheur du scénario mais dont on oublie en cours de route l’existence pour se concentrer sur l’intrigue. Ceux qui espéraient un grand saut fédéraliste en ce domaine, n ‘ont pu qu’être déçus par les conclusions du Sommet européen de juillet, même si les constats faits ici ne sont que provisoires. 

La question de savoir si l’Union européenne va accorder plus de place aux questions de santé nécessite au préalable une mise en perspective de l’acquis communautaire en la matière. C’est là un lieu commun mais qu’il est bon de rappeler : l’UE n’a pas de politique de santé. Or, il va de soi qu’une grande partie des interventions publiques a un effet sur les composantes de la santé humaine. On parlera de santé publique pour évoquer cette idée qui est aussi présente dans le discours de l’OMS « Health in All Policies » et surtout dans l’article 168 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union ».

Scott Greer1 dans sa présentation de l’Europe de la santé distingue ainsi trois pans de l’Europe de la santé, chacun suivant des bases juridiques différentes :

– L’encadrement du marché intérieur (par exemple dans le champ du médicament où l’autorisation de mise sur le marché est une décision partiellement européanisée) ;

– La « gouvernance fiscale » européenne (Semestre européen…) par laquelle l’UE va produire des normes sur la bonne gestion des finances publiques et parmi celles-ci sur le financement des systèmes de santé ;

– Une action propre sur la santé (du consommateur, du citoyen, du travailleur) qui prendra par exemple la forme de la protection civile, de la lutte contre les épidémies, de la sécurité alimentaire, de la mise en commun de la recherche médicale… 

Pour Sébastien Guigner2, cette approche de la santé publique s’est aussi développée juridiquement pour contourner la clause de sauvegarde qui empêche l’UE d’interférer avec les systèmes de santé. Par ailleurs, il a mis en valeur le fait que les acteurs européens de la santé (fonctionnaires de la DG santé notamment) ont surtout légitimé leur action en montrant que les avancées de la santé pouvaient renforcer les autres politiques de l’UE, économiques notamment.

 

L’UE concentrée sur l’aspect économique de la crise

On voit qu’une telle approche de la santé va déterminer la réorientation des politiques européennes suite à la Covid. Soit on évalue la réponse au regard du renforcement d’une Europe sanitaire, de ses acteurs, de ses institutions propres, de ses compétences… Soit on cherche à savoir si les autres politiques de l’UE (notamment économiques) sont devenues plus « health friendly ».

La première approche se heurte aux freins juridiques et matériels que rencontre la mise en œuvre d’une politique spécifique à la santé : outre la question de la clause de sauvegarde, il est difficile de mettre en place une politique qui nécessite pour être perceptible sur le terrain des budgets conséquents et une administration déconcentrée. On n’imagine pas encore les citoyens européens applaudir à leurs fenêtres les fonctionnaires de la DG santé ou de l’ECDC, le Centre européen de prévention et de contrôlé des maladies basé à Stockholm !

La deuxième appelle un constat plus nuancé. La décision du 23 mars d’activer la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité et de croissance signifie que, jusqu’à nouvel ordre, les critères du Pacte de stabilité ne s’opposent pas à ce que les Etats injectent les sommes nécessaires pour lutter contre la crise.  Il en va de même des initiatives de la DG Marché intérieur3. Pour autant, les outils utilisés, si on entre dans le détail, semblent indiquer que c’est l’aspect économique de la crise qui concentre l’essentiel des efforts de l’UE. La situation n’est alors pas très différente de ce qu’a connu l’UE après la crise de 2008. Par exemple, le plan de relance prend comme clef de répartition entre Etats non les dégâts causés par la maladie sur les populations mais la chute des PIB. En témoigne la différence de traitement entre Etats membres : ainsi, à populations comparables, le Portugal bénéficie de trois fois plus de montants européens que la Belgique alors qu’il enregistre cinq fois moins de décès. 

 

Baisse d’ambition face à l’enjeu santé

Quelle est la part du volet sanitaire du plan de relance ? « RescUE », l’un des programmes, dédié à la protection civile et notamment à la lutte contre les épidémies, a été doté en mars de 1,9 milliards d’euros sur 7 ans dès mars dernier. Ce montant est en forte progression puisque pour la période 2014-2020, l’enveloppe financière destinée à la mise en œuvre du mécanisme de protection civile de l’Union était de 368 millions d’euros (décis. 1313/2013/UE, art. 19), puis de 574 millions d’euros (décis. 2019/420, art. 1er, pt 11). 

La différence entre la proposition de la Commission et l’accord intervenu le 21 juillet met en lumière la baisse d’ambition par rapport à la politique européenne de santé. En effet, dans sa proposition du 28 mai, la Commission avait proposé une très forte augmentation du budget du programme EU4Health, le programme dédié spécifiquement à la politique de santé européenne. Les montants prévus étaient de 10 milliards d’euros pour la période 2021-2027 dont 1,1 milliard provenant du Cadre financier Pluriannuel et 8,4 milliards issus du plan de relance4. Ces chiffres sont à rapprocher de  l’édition 2014-2020 (450 millions)5. Le programme allait au-delà de la seule réponse à l’épidémie puisqu’étaient aussi prévus un vaste plan cancer et un programme de lutte contre les inégalités de santé. Or, dans l’accord survenu en juillet, on trouve certes 1,7 milliards au titre du CFP mais plus rien dans le plan de relance qui fasse référence à ce programme. 

Certes, à ce stade, il est difficile d’aller plus avant dans l’analyse car l’attribution des fonds et la détermination des programmes financés reposent sur une gouvernance savante. Plus qu’un programme politique, le plan de relance ressemble à un appel d’offres où les futurs bénéficiaires-contributeurs ont déterminé le retour sur investissement pour chacun et le montant des enveloppes en fonction de critères thématiques. 

Il est cependant utile dans ce contexte de rappeler quelques enseignements des études européennes : les orientations politiques tracées par le Conseil européen restent assez souvent lettre morte puisque ce dernier ne dispose pas d’une administration pérenne6. Dans la construction de la gouvernance des fonds structurels les acteurs de la Commission ont progressivement réussi à passer d’une logique de répartition entre Etats à une communautarisation plus poussée de la décision7. Ceci invite à prêter la plus grande attention aux mécanismes et critères d’évaluation des plans nationaux : quel rôle la Commission, en mobilisant ses propres capacités d’expertise, pourra-t-elle jouer dans la mise en place du plan ? Dans les faits, la question de la santé illustre les ambiguïtés du projet de relance qui peut aussi être interprété comme une dé-fédéralisation des politiques européennes ou pour le moins un renoncement à l’approfondissement et au rééquilibrage de celles-ci. 

 

1 Greer, S. L., & European Observatory on Health Systems and Policies, 2019. Everything you always wanted to know about European Union health policies but were afraid to ask. https://www.euro.who.int/en/publications/abstracts/everything-you-always-wanted-to-know-about-european-union-health-policies-but-were-afraid-to-ask-2019

2 Guigner, S.,2016. De « la santé dans toutes les politiques » à « toutes les politiques dans la santé » : le régime de visibilité de la prise en compte de la santé dans les politiques de l’Union européenne : Commentaire. Sciences sociales et santé, vol. 34(2), 71-79. 

3 Vignon, J. « La politique européenne de santé, baptême du feu », revue Confrontations Europe, 20 mai 2020. 

https://confrontations.org/glaenderby-agency/la-politique-europeenne-de-la-sante-bapteme-du-feu/

4 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement d’un programme d’action de l’Union dans le domaine de la santé pour la période 2021-2027 et abrogeant le règlement (UE) n°282/2014 (Programme « UE pour la santé »), COM 2020 405 final.

5 European Commission, communication to the european parliament, the european council, the council, the european economic and social committee and the committee of regions, EU budget powering the recovery plan for Europe COM/2020/442 final 27.5.2020.

6 Smith A.,2004, Le gouvernement de l’Union européenne. Une sociologie politique, Paris, LGDJ.

7 Jabko, N.,2009, L’Europe par le marché: Histoire d’une stratégie improbable, Paris, Presses de Sciences Po.

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