Le stockage de l’énergie, un enjeu industriel européen stratégique

Auteur : Gabrielle Heyvaert

chargée de mission Énergie et Numérique à Confrontations Europe

En avril 2019, la Commission européenne a dévoilé son plan stratégique pour les batteries, identifiées comme une chaîne de valeur stratégique pour l’Union européenne. Et entend ainsi rattraper le retard industriel européen en matière de stockage de l’énergie face à la concurrence internationale. Retour sur le séminaire « How to achieve a European industrial policy for energy storage ? » organisé le 27 juin à Bruxelles, autour de Richard Hardy, manager principal à la Cour des comptes européenne et coauteur du rapport « EU support for energy storage »(1).

L’Union européenne, signataire de l’accord de Paris en 2015, s’est engagée à réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. La production et l’utilisation d’énergie représentant près de 80 % des émissions de CO2 au sein de l’UE, le recours aux sources d’énergies non carbonées est devenu un impératif catégorique pour honorer les engagements européens. Les technologies de stockage de l’énergie, comme les batteries, en sont le corollaire : elles permettent la stabilisation du réseau électrique européen, qui intègre une part croissante d’énergies renouvelables intermittentes. En outre, les batteries rendent à présent possible l’essor de la mobilité électrique. L’enjeu, pour le secteur du transport, responsable à hauteur de 30 % des rejets de CO2 européens(2), est majeur, d’autant plus que plusieurs États membres envisagent de bannir les voitures à moteur thermique à l’horizon 2030-2040 : le marché européen pour les voitures électriques pourrait s’élever jusqu’à 250 milliards d’euros par an à partir de 2025(3). Entre 50 et 200 millions de véhicules équipés de batteries lithium-ion devraient être en circulation en 2028, pour atteindre les 900 millions en 2040(4). Contrôler la chaîne de production des batteries s’avère dès lors stratégique, celles-ci représentant environ 35 % du coût total du véhicule(5). Dans cette perspective, l’Alliance européenne pour les Batteries lancée par la Commission en 2017 vise à faire de l’Europe « un chef de file mondial de la production et de l’utilisation de batteries durables », en intégrant notamment les principes de l’économie circulaire dans sa stratégie industrielle.

 Des composants aux mains d’une poignée d’acteurs non Européens

Engagées plus tôt que les Européens dans la production de batteries, les entreprises asiatiques dominent le marché mondial des batteries lithium-ion. La production de ces dernières nécessite des matières premières spécifiques, les terres rares, dont certaines, comme le cobalt et le lithium, sont concentrées dans un petit nombre de pays. Le raffinage de ces terres rares et la production de composants sont détenus par une poignée d’acteurs non européens. Les chiffres sont édifiants : l’UE représente 3 % de la capacité mondiale de production, contre 84 % pour l’Asie-Pacifique et 12 % pour l’Amérique du Nord(6). De ce fait, de nombreux constructeurs automobiles européens ont d’ores et déjà noué des partenariats extra-européens afin d’acheter des batteries, faute de fournisseurs locaux.

En termes de durabilité, les activités minières et de raffinage des terres rares soulèvent des inquiétudes : l’extraction et leur traitement provoquent des fuites de produits chimiques toxiques dans les zones environnantes. Ces opérations entraînent également des pénuries d’eau dans certaines zones. En outre, la production de batteries consomme de grandes quantités d’énergie, aussi bien pour l’extraction de minéraux qu’au cours des différentes étapes de la fabrication. Proposer un modèle alternatif européen durable, intégrant toute la chaîne de valeur de production, a donc pour objectif de s’affranchir de la dépendance extérieure, de créer de nouveaux emplois qualifiés en Europe, mais aussi de mettre au point des batteries parfaitement recyclables, aux empreintes carbone et environnementale les plus faibles possibles.

De la circularité dépendra sans doute le succès de la stratégie industrielle européenne : on estime que d’ici 2030, environ 11 millions de tonnes de batteries lithium-ion usagées(7) inonderont les marchés. Développer la filière du recyclage en Europe préviendrait notamment la pollution par les déchets toxiques et assurerait un approvisionnement sûr en matières premières. Une autre solution, complémentaire, serait en outre de reconditionner les batteries usagées et de les réutiliser en « deuxième vie » dans des applications moins exigeantes telles que le stockage stationnaire : les contraintes sur les réseaux électriques seraient réduites, tandis que la sécurité de l’approvisionnement énergétique se verrait renforcée. La seconde moitié du xxe siècle a été marquée par l’avènement de la consommation de masse et du tout-jetable ; avec une politique industrielle adéquate, le xxie siècle pourrait devenir celui de l’économie circulaire.

1) https://www.eca.europa.eu/lists/ecadocuments/brp_energy/brp_energy_en.pdf
2) Émissions de CO2 des voitures : faits et chiffres (infographie), Parlement européen.
3) Mise en œuvre du plan d’action stratégique sur les batteries : créer une chaîne de valeur stratégique des batteries en Europe, Commission européenne.
4) Environmental and Energy Study Institute (2017). Factsheet – Plug-in Electric Vehicles.
5) The European Battery Alliance is moving up a gear, édito de l’IFRI de Carole Mathieu, mai 2019.
6) Li-ion batteries for mobility and stationary storage applications, Centre commun de recherche, novembre 2018, p. 24.
7) Rise of electric cars poses battery recycling challenge, Financial Times, 3 septembre 2017.

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