« Agissons dès maintenant pour une politique d’asile plus efficace et plus humaine »

Fabienne Keller

Députée au Parlement européen, membre du groupe Renew Europe

Le règlement de Dublin, pierre angulaire de la politique européenne d’asile, est critiqué presqu’unanimement tant son fonctionnement fait peser sur un petit nombre d’Etats – les pays dits de première entrée – la gestion des demandes d’asile. Investie sur les sujets d’asile et de migration en commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE), la députée européenne Fabienne Keller a mené une étude durant une année afin d’évaluer la mise en œuvre du règlement de Dublin III, qu’il convient de réformer et nous livre ici son analyse.

Un double échec pour l’Europe. Face à l’arrivée de 2,3 millions de demandeurs d’asile entre 2015 et 2016 sur les côtes grecques et italiennes, en majorité des Syriens et des Afghans fuyant les conflits, l’Europe a révélé ses faiblesses. Cette crise a, tout d’abord, mis en avant les fragilités et lacunes du système européen d’asile face à un tel afflux de personnes. Les États membres n’ont pas réussi à assurer un accueil humanitaire digne, notamment aux personnes qui relevaient de la protection internationale au titre de la Convention internationale sur le statut de réfugiés. Autre manquement : les Européens ne sont pas parvenus à réformer la politique commune d’asile, en dépit des propositions présentées par la Commission dès 2016.

En septembre 2020, la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a affiché sa volonté de prendre un « nouveau départ » en dévoilant les contours du Pacte sur l’Asile et la Migration. J’avais moi-même engagé, au début de l’année dernière, un travail d’évaluation de la législation actuellement en vigueur, en concentrant mon attention sur l’une des failles principales du système : le principe d’une demande d’asile unique en Europe. Le règlement de Dublin III, qui se trouve au cœur du dispositif européen d’asile, fixe les critères déterminant l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile.

Au terme d’une année de travail, rythmée par des missions de terrain dans les services d’asile en France, Allemagne, Roumanie et aux Pays-Bas, au fil des tables rondes et rencontres avec de nombreux acteurs, ainsi que d’une étude menée par le service de recherche du Parlement européen, nous avons dressé un bilan très critique de la mise en œuvre de Dublin III, dans un rapport largement adopté par le Parlement européen en décembre dernier.

Absence de solidarité européenne

En premier lieu, nous constatons que le Règlement de Dublin exige des des États dits de « première entrée » une responsabilité disproportionnée : un petit nombre d’Etats (la Grèce, l’Italie, Malte, Chypre et l’Espagne) assument seuls  la charge de l’examen d’asile. Alors que la quasi-totalité des demandeurs d’asile débarquent dans les ports de ces pays situés sur les bords de la Méditerranée, aux frontières extérieures de l’Europe, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de mécanisme de solidarité entre les États membres capable d’assurer un partage équitable de la responsabilité en matière d’asile, notamment en cas de crise. La situation déplorable dans les hotspots des îles grecques témoigne de cette absence de solidarité européenne.

Dans ce contexte, de nombreux demandeurs d’asile sortent du champ légal imposé par Dublin et se déplacent d’eux-mêmes vers l’État membre dans lequel ils souhaitent se rendre. Les règles actuelles les poussent même à se maintenir dans cette « fuite administrative », et donc à se trouver en situation irrégulière, puisqu’au terme d’une période de 18 mois, c’est au pays dans lequel ils se trouvent qu’il revient d’examiner leur demande d’asile. La France et l’Allemagne reçoivent à elles seules les deux-tiers de ces « mouvements secondaires » de demandeurs d’asile.

Dans le même temps, les « transferts Dublin » – l’un des outils phares du règlement de Dublin fondé sur le principe d’une demande d’asile unique – ne sont exécutés en moyenne que dans 11% des cas. En d’autres termes, le transfert des personnes de l’État membre dans lequel ils se trouvent vers l’État responsable de l’examen de leur demande d’asile est très peu appliqué. Ce qui impacte notamment le droit à la réunification familiale des demandeurs d’asile.

Ce bilan résulte en partie d’un manque de confiance mutuelle entre les États européens. Je plaide pour une gouvernance renforcée de la gestion de l’asile en Europe. Nous avons besoin d’instances de dialogue et de coordination pour gérer au quotidien, et à différents niveaux, l’asile. Il s’agit aussi d’ouvrir les fonctionnaires de l’asile, souvent rattachés au Ministère de l’Intérieur dans les 27 Etats membres, à la dimension européenne de cette politique et de les préparer au dialogue avec leurs homologues dans les différents pays européens.

Face à des règles jugées inégales ou inapplicables, un certain nombre d’États ont choisi de ne plus les appliquer. On recense ainsi de nombreuses entraves aux droits des demandeurs d’asile, en particulier le droit à l’information, l’accès à un interprète, une assistance juridique ou à un recours effectif.

Au cours de mes missions de terrain, j’ai rencontré de nombreux personnels dévoués dans les administrations nationales de l’asile, mais j’ai aussi constaté une grande complexité dans le parcours administratif du demandeur d’asile et des délais d’attente interminables. Cessons de penser que ces conditions dégradées découragent les mouvements migratoires.

Le 23 septembre dernier, la Commission européenne a présenté un texte très attendu dans la mesure où aucune avancée sur la question migratoire n’a été possible depuis quatre années en raison des fortes divisions entre Etats membres : le Pacte Asile-Migration doit pouvoir répondre aux dysfonctionnements actuels et dépasser le blocage au niveau des États. Ce Pacte adopte une vision globale bienvenue et se fonde sur trois objectifs complémentaires : le dialogue avec les pays tiers, le contrôle des frontières extérieures de l’Union et la solidarité dans la politique d’asile.

Il convient d’améliorer sensiblement la coopération avec les pays d’origine et de transit des migrants afin d’instaurer un dialogue constant sur la migration, d’ouvrir des voies légales de migration de travail, de lutter contre les réseaux de passeurs et d’améliorer les retours.

Je défends également un renforcement du contrôle aux frontières extérieures pour réduire les flux irréguliers dans l’Union. Cela passe par un enregistrement obligatoire des demandeurs d’asile dans les pays de première entrée, et par une procédure rapide à la frontière pour les personnes qui ne sont manifestement pas éligibles aux critères d’asile.

Nous devons enfin répondre à un défaut de conception majeure de la politique européenne d’asile en intégrant des mécanismes de solidarité adaptés entre les États membres, en particulier en temps de flux migratoires plus importants. Si le Pacte Asile-Migration va dans le bon sens, une incertitude principale réside : celle de la volonté des gouvernements nationaux à adopter une réforme. De toute évidence, il se peut que cette réforme n’intervienne pas avant plusieurs mois, voire plusieurs années.

Agir dès aujourd’hui

Dans ce contexte, n’attendons pas l’adoption de ce nouveau Pacte pour améliorer dès maintenant la prise en charge des demandeurs d’asile. Si certaines règles sont inadaptées, d’autres semblent plutôt mal appliquées, faute de moyens adéquats dans les administrations d’asile.

Je propose d’engager dès 2021 plusieurs initiatives :

  • mettre en place une gouvernance renforcée entre les administrations nationales et les acteurs européens de l’asile, par le biais d’un dialogue régulier et institutionnalisé. L’objectif étant de bâtir une confiance mutuelle entre les États.
  • mieux appliquer la réunification familiale des demandeurs d’asile,
  • travailler à la reconnaissance mutuelle entre États membres des décisions d’asile, afin de réduire les mouvements secondaires et améliorer les retours,
  • développer plusieurs « projets pilotes » pour mettre en place des centres d’accueil et d’examen des demandes d’asile selon une procédure accélérée, aux points de tension principaux aux frontières extérieures de l’Union. Je pense en particulier aux hotspots grecs et italiens, aux îles Canaries en Espagne ou encore à Malte et Chypre. Ces projets devraient être massivement financés par le budget européen et permettre de soulager les pays de première entrée.

L’échec de la politique européenne d’asile est en partie liée à des règles inadaptées aux divers défis de la migration en Europe. Toutefois, si le Pacte Asile-Migration est une nouvelle occasion de repenser notre modèle d’asile, il apparaît clairement qu’une amélioration est déjà possible à court terme en renforçant, dès à présent, les efforts et les moyens dédiés par les États membres à la politique d’asile.

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Ces mouvements secondaires désignent les départs du premier pays d’arrivée dans l’UE ou du lieu de présentation de la première demande à un autre État membre avant que le statut du demandeur n’ait fait l’objet d’une décision.

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