L’impact de la Covid-19 sur le monde du travail

Sangheon Lee

Directeur du Département des politiques de l’emploi de l’OIT

La pandémie a frappé l’ensemble des pays, et n’a pas épargné l’Union européenne, mais, partout, elle a touché plus durement les populations plus fragiles. A court terme, les conséquences de la crise économique sont presqu’entièrement négatives, mais Sangheon Lee revient sur les changements qui affectent le monde du travail et préfigurent des tendances plus positives.

Les discussions sur l’avenir du monde du travail occupaient déjà le débat public avant la crise sanitaire actuelle. Selon un consensus général, son évolution va dépendre de quatre variables fondamentales : la technologie, la démographie, le changement climatique et la mondialisation. De même, il est généralement admis que les effets de ces variables pourront être aussi bien positifs que négatifs. Il y aura des gagnants et des perdants (et parmi ces derniers, on comptera sans doute une grande part d’emplois sous-qualifiés, de ménages modestes et de groupes défavorisés).

C’est, dans ce contexte, que la pandémie s’est déclenchée, avec des conséquences significatives sur la santé de millions de gens et – par le biais des confinements qui ont suivi – sur l’économie.

Les récentes avancées en termes de vaccinations laissent espérer que la crise s’achève courant 2021. Voilà pourquoi les questions relatives à son impact sur les variables mentionnées précédemment se font de plus en plus pressantes, surtout dans un contexte où la majorité des gouvernements se sont engagés à créer un avenir meilleur, plus inclusif, plus durable et plus juste.

Pertes colossales en temps de travail et en revenus

À court terme, les conséquences de la pandémie sont presque entièrement négatives. Et également universelles, puisque presque tous les pays ont été touchés, les pays développés comme ceux en voie de développement. La première phase de la crise, début 2020, s’est caractérisée par une vague de fermetures radicales des bureaux, de confinements, des pertes colossales en temps de travail et en revenus, de hausses du chômage, de l’inactivité et de la pauvreté.

Dans tous les pays, les plus durement frappés furent les groupes déjà défavorisés avant la crise : les jeunes, les personnes âgées, les femmes, les migrants, les handicapés et les travailleurs peu qualifiés.

Sur le plan mondial, le nombre d’heures de travail perdues au premier trimestre 2020 (comparé au premier trimestre 2019) est estimé par l’OIT à 5,6%, soit 160 millions d’emplois à temps plein de 48 heures par semaine. Au second semestre, ce chiffre a grimpé à 12,1 % (345 millions d’emplois). L’UE a été durement touchée. Les 27 Etats membres de l’UE ont subi une perte de 4,8 % au premier trimestre (soit 7,4 millions d’emplois à temps plein), 16,4% (25,2 millions d’emplois) au second, et 9,8% (15,1 millions d’emplois) au troisième. Heureusement, grâce aux dispositifs de chômage partiel mis en place dans la plupart des économies européennes, les heures de travail perdues ne se traduisent pas automatiquement par du chômage.

Tout indique pourtant que si de nombreuses personnes ne pointent pas au chômage, elles sont quand même inactives, ce qui veut dire qu’elles ont renoncé à trouver du travail et donc à en chercher. Les crises passées ont montré que plus les gens sont inactifs, plus il est difficile pour eux de retrouver une place sur le marché du travail.

Trois tendances positives

Mais le tableau n’est peut-être pas aussi noir qu’il en a l’air. Les changements, qui s’opèrent dans trois domaines bouleversés par la crise, pourraient déboucher, à moyen et long terme, sur des tendances plus positives :

  1. L’accélération du télétravail

Le travail à distance n’est pas un phénomène nouveau, mais la pandémie a entraîné son développement massif. Cela pourrait provoquer des changements à long terme dans de nombreux domaines, à commencer par l’organisation et la localisation du travail. Les enquêtes menées dans de nombreux pays européens indiquent que la majorité des salariés considèrent le télétravail comme une expérience positive. Parmi les raisons invoquées : davantage de liberté vis-à-vis des superviseurs directs, d’indépendance, de flexibilité, un meilleur équilibre travail/vie privée et moins de temps passé dans les transports. Si cette pratique se poursuivait à une telle échelle, les gens pourraient habiter loin de leur lieu de travail. Il est difficile de savoir quel en serait l’impact exact, mais on observe déjà une augmentation des prix de l’immobilier en milieu rural.

  1. Un bond technologique

Les employés contraints au télétravail et les étudiants suivant des cours en ligne ont dû acquérir les outils et compétences technologiques appropriés. Ce qui a non seulement diminué la défiance et les résistances à l’encontre des nouvelles technologies, mais aussi stimulé la demande et l’investissement dans le domaine technologique au sein de nombreux pays.

Pour certains, le numérique est pourtant resté un fossé infranchissable. De nombreuses personnes âgées se sont retrouvées littéralement coupées de la vie quotidienne parce qu’elles ne disposaient pas de l’équipement requis ou se montraient incapables de l’utiliser. Les problèmes d’accès à Internet dans certaines régions – notamment rurales – peuvent également représenter un obstacle au changement. La pandémie a néanmoins permis de mettre en lumière ces manques, et de montrer clairement où des investissements étaient nécessaires pour assurer un accès global à Internet. De nombreux gouvernements ont ainsi annoncé de nouveaux investissements destinés à combler ces lacunes. Les avancées technologiques en matière d’éducation et de formation conduisent également à repenser la façon dont doivent s’opérer les transferts de savoir.

  1. Une meilleure prise de conscience des défis environnementaux

Quand la pandémie est apparue, la prise de conscience des problèmes environnementaux était déjà aigue aussi bien dans le monde politique que dans l’opinion publique, comme on a pu le voir au cours des manifestations comme les « Fridays for Future ». Le débat s’est poursuivi pendant la pandémie et semble avoir poussé plusieurs pays à se demander sérieusement comment agir en faveur d’un avenir plus vert. L’analyse des réponses politiques apportées par certains gouvernements européens montre que leur intérêt pour les questions environnementales s’est accru.

Alors que les réponses à la crise ont tenté de jouer sur trois des grandes variables évoquées précédemment, la quatrième – l’évolution démographique – a reçu relativement peu d’attention, peut-être parce qu’il y a moins de raisons d’espérer dans ce domaine.

Les sociétés vieillissantes ont un défi à relever : la baisse tendancielle de la proportion de la population occupant un emploi. Le ratio devrait même continuer à se dégrader à court terme, compte tenu de l’augmentation du chômage et de l’inactivité, et à long terme, car les jeunes et les vieux auront plus de mal à entrer ou retourner sur le marché du travail. Autre facteur aggravant : le nombre de femmes sorties du marché du travail qui auront elles aussi sans doute du mal à y retourner. Tous ces éléments tendent à renforcer la pression sur ceux qui travaillent.

Les systèmes de retraites seront mis à l’épreuve, du fait du haut niveau d’endettement résultant des aides fiscales et des dispositifs de soutien à l’économie. Ce sera un autre défi spécifique pour les sociétés vieillissantes – soit la majorité des pays d’Europe.

Les sociétés plus jeunes, qui devraient en récolter les dividendes démographiques, seront confrontées à un autre type de défi : comment trouver des emplois décents pour leurs jeunes, en particulier si nombre d’entre eux ont connu une interruption dans leur éducation ou leur formation. Il y a un vrai risque d’avoir une génération perdue.

Les évolutions démographiques sont également dépendantes des mouvements de populations. De nombreux travailleurs immigrés ont perdu leur travail à cause de la pandémie. D’autres, ayant réussi à rentrer chez eux, n’ont pas pu trouver d’emploi ou ont dû repartir. L’avenir de ces travailleurs migrants dépendra beaucoup de la façon dont les Etats les intègrent dans leurs réponses de soutien au pouvoir d’achat à court terme et leurs politiques structurelles à long terme : extension de la protection sociale pour les travailleurs migrants, régularisation de leur statut, amélioration de leur accès à la formation et reconnaissance des risques spécifiques liés au fait de vivre en habitat collectif ou sur son lieu de travail.

La crise a ouvert nos yeux sur la vulnérabilité de plusieurs groupes. Nous devons profiter de cette prise de conscience pour faire en sorte qu’à l’avenir ils soient mieux intégrés et mieux traités et qu’ils puissent profiter des processus de transformations structurelles. Dans le cas contraire, le retour à la normale n’aura pas le visage humain que les Etats membres de l’OIT imaginaient lorsqu’ils ont adopté la Déclaration du Centenaire pour l’Avenir du Travail.

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Chiffres de la sixième édition de l’Observatoire de l’OIT : https://www.ilo.org/global/topics/coronavirus/impacts-and-responses/WCMS_755910/lang–en/index.htm

https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_protect/—protrav/—migrant/documents/publication/wcms_743268.pdf )

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