Promouvoir l’accueil et l’intégration des réfugiés : l’affaire de tous

Jean-Christophe Dumont

Chef de la division des migrations internationales à l’OCDE

Les camps rassemblant des milliers de migrants dans les îles grecques, les tentes de fortune installées à Paris ou à Calais, les exilés errant sans toit dans le froid en Bosnie… Les images nombreuses témoignent de la politique de non-accueil qui prévaut dans un certain nombre de pays de l’Union européenne. Jean-Christophe Dumont décrypte les conditions qui pourraient permettre un accueil et une intégration réussie des réfugiés, et qui passe par une coopération internationale renforcée rassemblant des acteurs du privé comme du public.

La population mondiale de réfugiés atteint aujourd’hui le niveau le plus élevé jamais observé – selon les derniers chiffres du HCR, on compte mi-2020, 26.3 millions de réfugiés de par le monde, soit près de 250 000 de plus qu’à la fin 2019. Un quart d’entre eux environ, soit plus de 6 millions, sont installés dans les pays de l’OCDE. À ceux-ci s’ajoute plus de 4 millions de demandeurs d’asile dans le monde. En 2019, 1.2 million de nouvelles demandes d’asile ont été enregistrées dans les pays de l’OCDE avec pour principales nationalités, par ordre d’importance, l’Afghanistan, le Venezuela, le Honduras, et la Syrie.

Ces chiffres doivent toutefois être remis en perspective. Chaque année on compte en effet plus de 5 millions de migrants permanents qui s’installent dans les pays de l’OCDE, autant de travailleurs temporaires, et environ 1.5 million d’étudiants en mobilité internationale. Les migrations humanitaires ne représentent donc qu’une fraction des flux migratoires annuels.

L’accueil et l’intégration des réfugiés n’en demeure pas moins une question cruciale pour les pays de destination, et ce pour deux raisons principales. La première est que l’accroissement de l’employabilité permet aux réfugiés d’être mieux acceptés par la population locale et favorise leur insertion sociale. La seconde est qu’en améliorant l’employabilité de ces personnes, les pays d’accueil peuvent les aider à réaliser leur plein potentiel économique. Un échec de leur intégration entraînerait, a contrario, des coûts en termes d’exclusion sociale, de tensions et de creusement des inégalités dans la société.

Mais quelles sont les conditions primordiales d’une intégration réussie ? Quels sont les principes fondamentaux guidant l’action publique dans ce domaine ? L’expérience récente des pays de l’OCDE permet d’éclairer quelque peu ces questions.

Rôle essentiel des employeurs dans l’intégration des réfugiés

En premier lieu, il s’agit de mettre en œuvre des procédures équitables et rapides pour établir les vulnérabilités des immigrés récemment arrivés et faciliter la prise de décision sur les dossiers de demande d’asile. Les délais excessifs, observés dans certains pays, compromettent l’intégration durable des réfugiés ou le retour des déboutés du droit d’asile.

Des modalités d’accès au marché du travail transparentes, simples et rapides sont également essentielles. Le droit européen prévoit un délai maximal de neuf mois suivant le dépôt de la demande d’asile mais certains pays offrent des conditions plus favorables, voire un accès immédiat. Au-delà du droit au travail, il s’agit de faciliter l’accès aux services d’aide à l’emploi, aux procédures d’évaluation et de validation des compétences acquises à l’étranger, et aux services de conseil personnalisés.

La non-maîtrise de la langue est souvent un obstacle majeur ; c’est pourquoi le soutien linguistique – lié à la profession notamment – doit figurer parmi les premières mesures d’intégration. Les cours de langue doivent être adaptés au profil de leurs bénéficiaires et à leurs perspectives d’emploi. La qualité de la formation doit cependant être évaluée et harmonisée sur le territoire.

Les employeurs ont un rôle essentiel à jouer pour faciliter l’intégration des réfugiés, mais ont été en grande partie tenus à l’écart des politiques mises en place dans de nombreux pays. Les autorités peuvent les inciter à recruter des réfugiés en leur garantissant une sécurité juridique et en leur prêtant appui après l’embauche.

L’entrepreneuriat offre également aux immigrés un moyen de s’insérer sur le marché du travail. Cette voie est cependant étroite pour les réfugiés, compte tenu des barrières linguistiques et de la difficulté à obtenir des financements. Des dispositifs d’accompagnement et de parrainage ainsi que des financements solidaires peuvent aider certains d’entre eux à développer leurs projets professionnels.

Au-delà du marché du travail, l’insertion scolaire des enfants réfugiés est une question épineuse dans la mesure où ils ont besoin de temps pour s’adapter au nouveau système d’enseignement, et présentent souvent des vulnérabilités supplémentaires, liées aux traumatismes subis et à de longues périodes de non-scolarisation. Les systèmes scolaires et les enseignants sont souvent mal équipés pour relever ces défis.

Face à afflux soudain de personnes vulnérables la résilience des systèmes de santé est fondamentale. Outre les violences auxquelles ils ont été confrontés dans leur pays d’origine, bon nombre de ces réfugiés ont subi des traumatismes au cours de leur exode, voire à l’arrivée dans le pays d’accueil, ce qui complique leur état de santé. Une meilleure coordination des prestataires de santé est souvent nécessaire pour améliorer l’efficience des services. Une offre adaptée en termes de soins psychiatriques et un accès fluide aux dispositifs d’interprétation font parfois défaut. Dans ce cadre, la valorisation des compétences des réfugiés diplômés dans le domaine de la santé peut s’avérer un atout.

Principes fondamentaux d’une intégration réussie

Dans un contexte de pénurie de logements bon marché, dans les zones urbaines notamment, il a parfois été difficile de trouver des solutions de logement pérennes pour les réfugiés. La dispersion sur le territoire, l’une des principales mesures appliquées pour gérer l’afflux de réfugiés, vise à limiter la ségrégation et l’encombrement des services dans les régions où la demande est concentrée. Cependant, elle risque également d’empêcher la constitution d’une masse critique d’usagers pour les services d’assistance, et d’éloigner les réfugiés des territoires riches en opportunités professionnelles. Une coordination avec les autorités locales s’impose donc pour renforcer leur adhésion à ces dispositifs en tenant compte de la réalité du terrain et en veillant à ce que le financement soit à la hauteur des besoins.

Au-delà de ces leçons sectorielles, il convient de rappeler quelques principes fondamentaux pour une intégration réussie. En premier lieu, l’intégration des réfugiés est un engagement de longue haleine, qui présente plus de difficultés que l’accueil initial. L’insertion sur le marché du travail des réfugiés ne progresse en effet pas naturellement au même rythme que celle des autres immigrés, et nécessite donc un accompagnement spécifique, dans la durée, sur une multitude de questions.

Qui plus est, aucun pays ne peut faire face seul au défi complexe de l’intégration des réfugiés. L’intégration n’est d’ailleurs pas uniquement une question domestique et il existe des arguments forts pour une coopération internationale renforcée dans ce domaine. Il convient notamment de renforcer la cohérence de l’aide humanitaire, au développement et à la paix dans les pays en développement ou de premier asile ainsi que les dispositifs de réinstallation et autres voies de migration légales complémentaires. On rappellera qu’en 2019, seulement 60 000 places de réinstallation étaient offertes par les pays de l’OCDE, contre près de 130 000 en 2016.

Dans le même ordre d’idées, il convient de souligner qu’aucune administration centrale ne peut assurer l’intégration sans coopérer avec d’autres acteurs. Les Pactes mondiaux de l’ONU sur les réfugiés et pour des migrations sûres, ordonnées et régulières reconnaissent d’ailleurs le rôle primordial des autorités locales, de la société civile et du secteur privé. Une approche qui répartit les responsabilités sur l’ensemble de la société s’impose donc, selon les mécanismes de gouvernance multi-niveaux appropriés.

Comme on le voit c’est d’une action publique holistique, coordonnée, durable et ouverte à la société civile qu’émergent les meilleures pratiques. Cette action publique à un coût, estimé selon les pays entre 0.1 % et 1 % du PIB. Celui-ci doit cependant être considéré comme un investissement dans la réussite et la contribution future des réfugiés à l’économie du pays d’accueil. Plus fondamentalement, c’est notre regard qui doit évoluer, en considérant les réfugiés non plus seulement comme des personnes vulnérables bénéficiant de notre protection mais comme des membres à part entière de la communauté d’accueil, susceptibles de l’enrichir culturellement et économiquement.

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