Vu de Hongrie, le choc

Goran BULDIOSKI et Peter NIZAK

Codirecteur de l’Open Society Initiative for Europe (OSIFE)
Directeur du projet pour la Hongrie, OSIFE

Le Brexit aura sans aucun doute un impact négatif sur la Hongrie, mais il ne provoquera pas de « Huxit », contrairement à ce que certains médias avancent déjà(1). Néanmoins, on peut facilement identifier des conséquences néfastes concrètes à court, moyen et long terme pour le pays.

Premier impact négatif du Brexit : le statut incertain des centaines de milliers de Hongrois qui travaillent au Royaume-Uni, et dont le nombre exact n’est pas connu. Les chiffres officiels du gouvernement hongrois font état de 112 000 travailleurs, mais l’office national des statistiques du Royaume-Uni évoque le chiffre de 150 000 pour 2014. La même année, György Matolcsy, le Gouverneur de la Banque nationale de Hongrie, est allé beaucoup plus loin en parlant de 300 000 Hongrois travaillant au Royaume-Uni(2). Quel que soit leur nombre, 100 000 travailleurs en moins représentent une perte de 2 % de la main-d’œuvre hongroise. En outre, la tendance s’accélère : depuis 2001, dix fois plus de Hongrois sont partis travailler au Royaume-Uni, et leur nombre a triplé au cours des cinq dernières années.
Autre point notoire, les Hongrois établis au Royaume-Uni constituent une source importante d’envoi de fonds, et de nombreuses familles ont été directement affectées par l’affaiblissement de la livre après le Brexit. Le plus préoccupant est le statut de ces travailleurs et l’incertitude qui plane sur leur capacité à demeurer au Royaume-Uni après sa sortie de l’Union européenne. C’est là un sujet sensible sur le plan politique, car l’économie et l’administration publique hongroises éprouveraient les plus grandes difficultés à gérer le retour en Hongrie d’un nombre aussi important de personnes. Cette crainte palpable a incité le gouvernement hongrois à diffuser dans les journaux britanniques, avant le référendum de juin, des publicités plaidant contre le Brexit(3).
L’impact négatif à moyen terme du Brexit prendra la forme d’une diminution des fonds européens. La sortie du Royaume-Uni, qui est le deuxième plus grand contributeur net au budget de l’UE, se traduira par une baisse des fonds européens alloués à des pays comme la Hongrie, qui en sont des bénéficiaires nets(4). En outre, à partir de 2020, l’absence du Royaume-Uni entraînera une réduction des fonds structurels de l’UE. Or, ces fonds financent la plupart des développements structurels en Hongrie, et leur diminution nuira gravement à l’économie nationale (les derniers calculs évoquent une baisse de 3 % à 4 % du PIB). Restons positifs néanmoins, le Royaume-Uni ne représentait qu’une part modeste des investissements directs étrangers, sa sortie de l’UE n’aura donc pas grand impact sur les investissements en Hongrie.

Perte d’un défenseur de l’État de droit
Mais, à long terme, le départ du Royaume-Uni risque d’accélérer l’inévitable déclin de l’État de droit en Europe, et d’affaiblir l’application des réglementations européennes. Au sein de l’Union européenne, le Royaume-Uni était un pilier de l’économie de marché et de la démocratie libérale, qui soutenait systématiquement la Commission dans le contrôle du respect de l’État de droit chez les États membres. Sans lui, l’Union européenne perd un fervent défenseur d’une Union réglementée. Le Brexit a déjà fortement secoué l’Europe, et les dirigeants hongrois, tout comme d’autres dirigeants européens de même sensibilité, pourraient profiter de l’occasion pour « remodeler » l’UE et affaiblir certaines de ses réglementations. Le gouvernement hongrois s’oppose régulièrement à l’UE, comme le prouve le prochain projet de ¬référendum sur le système européen de quotas de répartition de demandeurs d’asile(5). Le Brexit pourrait l’encourager à durcir ses revendications et à exiger davantage de concessions de la part de l’UE.
La Hongrie ne suivra pas l’exemple du Royaume-Uni et ne quittera pas l’UE. La population hongroise est favorable à l’Union, bien que ses sentiments soient ambivalents : sur le plan politique, il sera difficile pour le gouvernement ou tout autre force de la faire changer d’avis(6). En outre, l’adhésion à l’UE présente un fort intérêt économique pour le Fidesz, le parti au pouvoir, car elle est synonyme d’investissements privés et surtout de fonds structurels européens, sans lesquels le parti ne pourrait « alimenter » les entreprises qui lui sont proches. Le Brexit a et aura des impacts négatifs sur la Hongrie, mais il n’entraînera pas sa sortie de l’Union européenne.

1) http://journal-neo.org/2016/08/17/will-hungary-be-next-to-exit-the-eu
2) Les principaux pays cibles étaient l’Allemagne, l’Autriche et le Royaume-Uni.
3) www.politico.eu/article/viktor-orban-news-uk-brexit-newspaper-ads
4) http://bit.ly/2dCuhS8
5) http://reut.rs/29jSrBB
6) D’après un récent sondage mené par Zavecz Research, les Hongrois sont favorables à l’UE, mais ils ne sont satisfaits ni de ses performances ni de ses résultats. Ils perçoivent les migrations et la perte de souveraineté comme les deux problèmes majeurs de l’UE. Pour en savoir plus : http://bit.ly/2dGTSft

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