Transition énergétique : attention au déficit démocratique

Michel CRUCIANI

Conseiller Énergie-Climat à Confrontations Europe, chargé de mission au CGEMP – Université Paris-Dauphine

En cet automne 2017, les institutions européennes consacrent une grande partie de leur temps à débattre du « Paquet Énergie Propre » destiné à orienter l’activité du secteur énergétique entre 2020 et 2030. Des centaines de milliers d’emplois seront concernés, des centaines de milliards d’euros seront engagés, et pourtant on ne trouve guère d’écho des discussions en cours dans les médias nationaux, ni en France ni dans les autres pays.

Un silence inquiétant. Les discussions sur le « Paquet Énergie Propre » ne sont guère relayées par les médias. L’ampleur du dossier – les propositions de la Commission européenne atteignent près de 1 000 pages, et les études associées totalisent plus de 3 000 pages, entièrement en anglais – expliquerait en partie ce phénomène. Même les rapporteurs du Parlement européen confessent ne pas avoir tout lu et la technicité des dispositions rend l’appropriation très difficile pour de nombreux élus, a fortiori pour le grand public. En outre, le calendrier déroute le lecteur : le Paquet Énergie Propre est censé mettre en œuvre l’accord de Paris sur le climat, mais les textes visant les émissions de gaz à effet de serre seront mis au point avant les textes régissant l’énergie… Ces derniers font l’objet d’amendements par grands thèmes (efficacité énergétique, énergies renouvelables, marchés…), de la part des députés d’un côté et des États de l’autre, mais qui garantit que les interactions entre les diverses politiques sont bien prises en compte ?

La barrière constituée par la complexité du Paquet laisse craindre des réveils douloureux. Les États ont certes mesuré les transferts de souveraineté qui leur sont demandés, et vont sans doute s’employer à les cantonner, qu’ils concernent les pouvoirs des autorités nationales de régulation ou ceux des gestionnaires de réseaux. Cependant, le rôle accru dévolu au marché va conduire de facto à des renoncements plus insidieux, par exemple sur la responsabilité en matière de sécurité d’approvisionnement, sur la liberté tarifaire, et même sur le mix électrique, si l’objectif visant 45 % de sources renouvelables est confirmé.

Seul 10 % des investissements pour l’Europe de l’Est

Les États vont donc perdre des marges d’action alors que le Paquet Énergie Propre appellera des arbitrages nouveaux. Les plus flagrants visent les effets redistributifs. Jusqu’ici, la politique en faveur des énergies renouvelables a surtout bénéficié aux citoyens les plus aisés, détenteurs d’une capacité d’épargne leur permettant d’investir dans les nouveaux projets. Ceux-ci dégagent une rentabilité confortable, alimentée par des majorations tarifaires que paient tous les consommateurs, y compris les plus pauvres. Ce phénomène de subvention croisée pourrait s’accentuer avec la volonté d’encourager l’autoconsommation, prévue par les propositions de la Commission, une pratique qui profitera surtout aux propriétaires d’un logement individuel. Il faudra beaucoup de détermination aux gouvernements pour préserver des dispositions tarifaires conservant un minimum de solidarité entre régions et entre consommateurs.

En appréciant mieux les conséquences des décisions en préparation, les États et le Parlement européen pourraient soit en éviter certaines en retouchant les propositions de la Commission, soit préparer dès maintenant leur prise en charge, par des programmes extérieurs au Paquet. En premier lieu, il serait nécessaire de faciliter l’accès au capital pour les pays d’Europe de l’Est, car sans mesures correctrices, les simulations indiquent qu’ils ne recevront qu’environ 10 % des investissements prévus dans les énergies renouvelables d’ici 2030, les 90 % restants étant concentrés en Europe occidentale. En second lieu, ces investissements s’accompagnent de promesses en faveur de l’emploi, mais les nouveaux emplois ne correspondront pas aux compétences des travailleurs dans le parc de centrales conventionnelles, qui verra la fermeture de près de 30 % de ses unités nucléaires, gaz et charbon. En dernier lieu, les emplois promis supposent que l’industrie européenne produise les équipements nécessaires, mais l’ampleur des objectifs et le court délai imposé pour leur mise en œuvre laissent craindre que les investisseurs se tournent vers du matériel importé d’Asie, toujours moins cher.

La transition énergétique peut constituer un projet communautaire enthousiasmant pour toute une génération et revitaliser l’ardeur en la construction européenne. Mais sans débat approfondi au sein de la population, sans perception partagée des changements à venir, elle peut virer au cauchemar pour des millions d’habitants, qui accuseront facilement « Bruxelles » de tous les maux.

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