Titrisation, potion magique ou philtre maléfique ?

Marie-France BAUD

Directrice du bureau de Bruxelles, Confrontations Europe

A la demande du Conseil Ecofin, la Commission européenne s’efforce, avec prudence, de donner un nouvel élan à la titrisation comme canal additionnel de financement de l’économie. Les débats débutent au Parlement européen. Le scandale des subprimes aux États-Unis ne doit pas nous conduire à condamner ce mécanisme, mais à veiller aux conditions à mettre en place pour concilier la stabilité avec les besoins massifs d’investissement en Europe.

p.23-TitrisationLa titrisation est une technique qui poursuit un double objectif : permettre aux entreprises en croissance où qu’elles soient d’investir en élargissant l’offre de financement fournie aux trois-quarts par les banques en Europe ; permettre aux banques, alors que les nouvelles règles de solvabilité bancaire (Bâle III, CRD IV) risquent de restreindre leurs possibilités de financement de l’économie, de libérer leur bilan et continuer à prêter en reconfigurant les crédits qu’elles octroient en titres financiers qui sont ensuite regroupés et revendus. Elle rend aussi possible, sous certaines conditions, une meilleure répartition des risques auprès d’un large éventail d’investisseurs.
La titrisation suscite débats et appréhensions après le scandale des subprimes de 2007-2008 aux États-Unis dont est partie la crise financière. En 2008, certaines institutions financières américaines (pas nécessairement des banques) ont octroyé des crédits (immobiliers) et transféré immédiatement les risques à d’autres en cédant ces créances sur les marchés financiers, sans garder une part de ces risques – ce qui les aurait incitées à mieux analyser les risques au moment d’accorder les crédits. En outre, ces créances ont été mutualisées dans des « pools » d’actifs diversifiés de manière si opaque que les investisseurs ne parvenaient pas à refléter dans les prix des risques qu’ils appréhendaient mal. La titrisation en Europe est, elle, restée très éloignée des excès américains : le taux de défaut des produits européens n’a jamais dépassé 0,2 % alors qu’il a culminé à 62 % pour les titrisations américaines.
Pour jouer pleinement son rôle, la titrisation doit respecter trois conditions : que les banques gardent une partie du risque, que les investisseurs institutionnels aient des garanties de transparence, de sécurité et de comparaison sur la structuration des « pools de crédit », que le traitement prudentiel de ces produits structurés ne bride pas l’investissement. Confrontations Europe apportera sa contribution au débat avec un position paper sur l’opportunité de stimuler ce marché et les écueils à éviter.

Label de qualité, STS

La Commission européenne, dans le cadre de l’initiative Capital Markets Union, souhaite relancer la titrisation également parce que toutes les entreprises en croissance, notamment dans les pays périphériques, n’ont pas accès au crédit, et ne peuvent investir. Elle a émis deux propositions législatives( 1) pour mettre en place un marché de la titrisation plus transparent, et répondant à des normes exigeantes en matière de sécurité juridique et de comparabilité des instruments. Après le label paneuropéen PCS2(2) créé par l’industrie en 2012, l’institution propose un label de qualité, STS, trois lettres pour une titrisation Simple, Transparente et Standardisée. Ce label doit permettre d’établir des pratiques saines et durables qui se différencient des opérations spéculatives et opaques. STS est globalement bien accueilli, notamment en raison de l’obligation de rétention d’une partie des risques pris par l’originateur, il renvoie à une structuration qui n’invalide pas le devoir de vigilance des investisseurs qui doivent comprendre les risques qu’ils prennent. Son approche s’inspire des travaux techniques de l’Autorité bancaire européenne (ABE), de la Banque centrale européenne (BCE), du Comité de Bâle, de la Bank of England, de l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO) et de consultations publiques. Le nombre de critères a été ramené de 55 – nombre préconisé par l’Autorité bancaire européenne – à 20. Sont également prévus un traitement prudentiel favorable en révisant les exigences en fonds propres de la participation des banques dans les titrisations STS ainsi qu’un ajustement des calibrations applicables aux assureurs.
Le Conseil a marqué son accord le 2 décembre dernier. Les débats, qui démarrent au Parlement européen, s’annoncent structurants sur ce sujet complexe, stratégique pour l’initiative Capital Markets Union, et qui doit rassurer à l’appui de calibrages fondés sur le profil de risque réel. Ce débat offre aussi une forme de reconnaissance des atouts du modèle français de titrisation, dont le cadre juridique est réputé plus robuste et plus sûr. Certains de ses éléments pourraient être repris.

1) Règlement sur une titrisation transversale qui s’appliquera à l’ensemble du secteur financier (banques, gestion d’actifs, assurance) et proposition d’amendement dans CRR (règlement sur les exigences en fonds propres bancaires) pour les banques qui investissent dans la titrisation.
2) Prime Collaterised Securities.

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