Roumanie : ne laissons pas la société civile livrée à elle-même !

Ovidiu VOICU

Chercheur, activiste et consultant, directeur du Centre pour l’innovation publique (CPI) à Bucarest, un mouvement qui mène un travail politique et de lobby sur des thèmes comme la démocratie, les droits, l’ouverture gouvernementale et la migration

En Roumanie, la marge de manœuvre de l’action civique se réduit de plus en plus alors même que les passerelles entre autorités publiques et société civile sont en train d’être coupées. Autant de signes que les tendances antilibérales de la majorité politique actuelle gagnent encore du terrain sur une société civile qui a du mal à les contrecarrer.

Problème dominant : la corruption. Avec un nombre impressionnant de personnalités politiques de haut rang sous le coup d’une enquête, la ­Roumanie a bien du mal à lutter contre la corruption, qui gangrène encore la sphère publique. En décembre 2015, suite à un violent incendie dans une boîte de nuit de Bucarest qui a fait 64 morts et de nombreux blessés, des manifestations ont permis de renverser le gouvernement. Les manifestants dénonçaient les pratiques de corruption ayant permis à l’établissement de rester ouvert au mépris des normes de sécurité.

Mais, un an plus tard, la majorité politique issue des élections de 2016 a tenté de contrôler les magistrats et de mettre un terme aux enquêtes pour corruption, en essayant de modifier le Code pénal par le biais d’un décret d’urgence. Cela a déclenché les plus grandes manifestations de rue de l’histoire récente de la Roumanie. Cette tentative s’est soldée par un échec, mais des propositions similaires sont encore à l’étude au Parlement.

Les politiques se retournent contre la société civile. Face à la résilience des citoyens, la majorité politique s’en prend aux ONG et aux associations caritatives, officielles ou non. Au nom de la « transparence », au nom de la « lutte contre le blanchiment d’argent et les délits fiscaux » ou de la « gestion du terrorisme et des autres menaces pour la sécurité », les politiques proposent des mesures qui, de fait, ne font qu’alourdir la charge administrative, complexifier l’organisation et la participation aux manifestations, et qui accroissent la vulnérabilité des organisations face aux abus de l’État.

Des militants discrédités par le pouvoir

Les mesures législatives s’accompagnent de campagnes de diffamation diffusées sur les chaînes de télévision contrôlées par des oligarques proches de la majorité et qui ont eux-mêmes des démêlés avec la justice. La pro­pagande du parti s’appuie sur des « fake news » pour tenter de discréditer les militants. Comme notamment en Hongrie, les activistes roumains sont dépeints comme vendus à des intérêts étrangers, payés et contrôlés par le philanthrope milliardaire, George Soros. Les hommes politiques roumains semblent prêts à suivre les tendances antilibérales des pays voisins.

Quels sont les moyens de défense de la société civile ? Sous la pression politique, la société développe de nouveaux anticorps contre la corruption et les abus. Les immenses manifestations ont permis de faire échouer les amendements les plus scandaleux. D’autres mesures ont dû être reportées. Mais le rétrécissement de l’espace civique suscite une inquiétude réelle.

Des citoyens mus par la même colère choisissent aujourd’hui de passer à l’action. Ainsi, des groupes de défense civique sont actifs dans plus de 20 villes, ainsi que dans de nombreuses villes européennes où la diaspora roumaine est présente. Le réseau national Contract Romania joue un rôle actif dans le débat public.

Et l’Internet reste libre. De grandes ­communautés comme Coruptia Ucide (« La corruption tue », 110 000 membres) ou Rezistența (« Résistance », 35 000 membres) organisent des manifestations et luttent contre la désinformation. Florin Bădiță, le fondateur de Coruptia Ucide, a récemment été distingué par le prix de la Personnalité européenne de l’année lors de la cérémonie ELA2018.

Des professionnels des secteurs de l’informatique, des médias et de la publicité sont également prêts à s’investir. Le groupe Geeks for Democracy (« Geeks pour la démocratie ») a été créé pour soutenir les actions civiques à tous les niveaux. Les « geeks » lèvent également des fonds récurrents afin d’établir un Fonds pour la démocratie, destiné à accorder de petites subventions aux groupes communautaires.

Mais ce n’est pas fini. Certes, la menace de ­l’antilibéralisme a éveillé de nouvelles consciences civiques en Roumanie, mais les politiciens corrompus sont loin d’avoir perdu. Le Parlement continue de proposer de scandaleux amendements au Code pénal qui ont pour but de mettre un coup d’arrêt à la lutte contre la corruption. La législation à l’encontre des ONG est toujours à l’étude. La majorité menace de démettre le président de la République de ses fonctions et de faire passer en force l’ensemble des textes. Les discours des politiques prennent des accents natio­nalistes et anti-européens. Livrée à elle-même, la société civile roumaine ne pourra vraisemblablement pas résister à la nou­velle vague d’antilibéralisme qui déferle en Europe.

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