Relancer la croissance en Europe en investissant pour le climat

Michel Aglietta

Professeur émérite
à l’université Paris Ouest et conseiller
scientifique au CEPII et à France Stratégie

La transition vers une économie bas carbone passe par une double valorisation du carbone : un prix du carbone en hausse et une valeur de référence du carbone à long terme à même de susciter de nouveaux investissements.

P.11 argent qui pousse_xlDepuis la grande crise financière, l’Europe a connu plusieurs rebonds sans lendemain. Le marasme persistant de l’investissement productif a entravé le cercle vertueux entre la hausse des revenus et celle de la productivité. Le problème va au-delà de l’insuffisance de la demande. La rentabilité perçue des investissements accessibles est trop faible pour les exigences financières, alors même que l’aversion au risque reste élevée. Aussi d’énormes montants d’épargne liquide restent-ils l’arme au pied, entraînant les rendements des titres « sûrs » jusqu’à des valeurs négatives.
Dans le même temps l’urgence climatique devient pressante et met les gouvernements au pied du mur. Il leur faut définir des objectifs capables de renforcement mutuel. Pour cela il faut qu’ils s’inscrivent dans des finalités plus larges de développement soutenable de manière à entraîner des acteurs publics territoriaux (municipalités, communautés rurales), mais aussi des entreprises et des associations de citoyens. Bref il est grand temps que la COP21 donne le signal d’une mobilisation de l’épargne pour des investissements d’infrastructures et des innovations technologiques bas carbone, provoquant des répercussions en chaîne dans de multiples secteurs d’activité.
Pour cela, il faut établir des modes de financement suffisamment souples pour pouvoir s’adapter à des projets d’investissement variés, mais avec une structure à même d’évaluer et de partager les risques de manière transparente. Ces investissements doivent être l’amorce d’un régime de croissance soutenable. La conjonction du marasme économique, de l’urgence climatique, d’un coût de financement très bas et d’un programme d’acquisition d’actifs par la Banque centrale européenne est l’occasion d’intégrer les objectifs climatiques dans la politique économique.

Instituer une valeur sociale du carbone

Le dispositif doit contenir un principe général et des garanties publiques pour cibler des investissements bas carbone dans un vaste ensemble de secteurs, ainsi que des incitations pour surmonter les risques qui résultent des externalités environnementales et du profil temporel d’investissements à coûts fixes élevés et revenus futurs éloignés. Son organisation financière doit enfin être propice au financement immédiat et faciliter les transferts de risques.
Le principe général consiste à faire une transition par une double valorisation du carbone. D’une part, un prix du carbone, inclus dans le stock de capital installé et les biens et services produits, s’élèverait progressivement pour décourager les pollueurs. D’autre part une valeur de référence du carbone à long terme serait une incitation pour les nouveaux investissements. L’institution d’une Valeur sociale du carbone (VSC) élevée pour les nouveaux investissements est un signal de la puissance publique sur l’importance que la société accorde aux réductions d’émissions de CO2.

Certifier un « actif carbone »

La garantie publique sur les financements des investissements bas carbone donne une crédibilité au principe en engageant l’État ou mieux l’ensemble des États membres de l’Union européenne sur une politique de réduction d’émissions sur une durée prédéfinie. Pour être crédible et efficace, elle doit être assortie d’une procédure de certification par des agences indépendantes de l’abattement effectif de CO2eq par les investissements réalisés. La délivrance de la certification à des entreprises sur des investissements réalisés associée à la valeur sociale du carbone représente un « actif carbone » : la valeur de la réduction d’une externalité négative.
Il est possible de construire le dispositif financier sur cette base. Les entreprises remboursent aux banques avec leurs certificats la part de leur crédit qui est la contrepartie de l’actif carbone produit. Comme il s’agit de crédits liés à des investissements dans de multiples secteurs et territoires, ils se prêtent à la titrisation. Des banques publiques de développement peuvent organiser des pools de crédits vendus par les banques commerciales pour les structurer en émettant en contrepartie des obligations vertes. Les titriseurs bénéficiant de la garantie publique conservent les tranches inférieures. Les tranches seniors sont vendues à des investisseurs institutionnels comme une nouvelle classe d’actifs dans leur portefeuille. Un marché secondaire des obligations vertes peut se créer. La banque centrale peut réguler le prix de ce marché en insérant ces actifs dans sa politique quantitative.

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