Question de conscience

Philippe Herzog

Président Fondateur, Confrontations Europe

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Vivre dans la mondialisation soulève de formidables problèmes de conscience. Tous interdépendants comme jamais, les peuples de la planète doivent apprendre à se connaître, à s’extraire de leurs violences réciproques et à construire leur unité.
Je reviens de Tirana où j’ai entendu l’appel des « périphéries » pour que le « centre » les accueille(1). La perspective fondamentale est de faire de notre humanité un bien commun. La question des réfugiés est à cet égard un test majeur. Écrasés par Assad et Daech, complices du crime, les Syriens sont réfugiés par millions dans des camps au Liban, en Jordanie, en Turquie, et maintenant une vague humaine traverse une Europe repliée sur elle-même. C’est l’Allemagne qui donne l’exemple. Elle a grand ouvert ses portes. Mais sa capacité d’accueil atteint ses limites. La solidarité doit être partagée.
La France a fait peu. Elle a manqué son rendez- vous avec la mondialisation. L’étroitesse de notre conscience sociale et politique me frappe. À l’école, l’État veut enseigner les valeurs de la République mais cela sonne creux quand notre démocratie n’est pas inclusive et n’éduque pas à connaître et recevoir autrui. Nous dénonçons l’ampleur des inégalités dans le monde et proclamons la valeur égalité, mais ici-même l’ampleur croissante des exclusions et des précarités – chômage massif, échecs scolaires… – n’est-elle pas le produit de nos défaillances institutionnelles, de l’élitisme républicain et de carences éthiques ? Gardons- nous de faire la leçon aux autres quand nous sommes défaillants.
J’ai rédigé un petit essai, Identité et valeurs : quel combat ? Imaginaire d’une renaissance culturelle(2), pour contribuer à faire de la formation de la conscience des Européens un enjeu de débat public et politique. Nous devons partager des valeurs et des raisons qui transcendent et mobilisent, à ne pas confondre avec nos intérêts étroits. Contrairement à son combat pour l’État de droit, l’Europe des États-nations est égoïste dans une mondialisation égoïste. Elle ne veut plus s’élargir alors qu’en son sein les peuples des Balkans, l’Ukraine, espèrent encore. Les valeurs qui transcendent se découvrent dans l’échange, or les échanges humains qui pourraient créer des liens transfrontaliers fraternels se heurtent à des obstacles institutionnels et sociaux considérables.
La mondialisation n’est pas en soi responsable de la misère, puisqu’en dépit des graves manquements de la régulation commerciale et financière, l’ouverture a permis à de nombreux peuples de s’extraire d’une misère profonde. Mais le mouvement s’inverse maintenant et la croissance mondiale ralentit. Certains prônent la démondialisation au nom de la protection des populations, alors qu’avec la rupture des liens de production et d’échange internationalisés, l’égoïsme et la détresse redoubleraient.
Nous pouvons maintenant concevoir un développement solidaire, allant au-delà de la seule régulation des marchés. La grande perspective est la construction de biens publics régionaux et mondiaux essentiels, accessibles à tous sans exclusions : l’éducation, la santé, l’offre de travail. Ainsi, organiser un grand marché européen du travail et de la formation qui valoriserait les parcours de mobilité serait le socle de solidarités productives ; les immigrés pourraient alors déployer leurs potentiels. En France et dans d’autres pays européens, on a séparé le social de l’économie. L’éducation à l’économie est insuffisante et on n’apprend pas à prendre soin de celle-ci. On a délégué la protection sociale à l’État. Ceci ne fonctionne plus et nourrit l’exclusion. Nous avons besoin d’investissements humains et productifs massifs, dans une perspective de long terme, faisant appel à une vaste mutualisation de ressources et à la multiplication des partenariats entre les acteurs publics et privés. Les États rivaux sont eux-mêmes les protagonistes d’une compétition mondiale exacerbée, et s’ils doivent aussi coopérer, ils le font avec une extrême lenteur et beaucoup d’œillères. Les institutions internationales sont trop faibles et la création d’un gouvernement mondial manque d’assise. De là surgit la nécessité de reconcevoir la démocratie. La citoyenneté nationale est exclusive, une citoyenneté plurielle doit émerger, avec des dimensions européenne et mondiale. De nouveaux acteurs de société civile organisés en réseaux transfrontières doivent fleurir et se conjuguer. Pour amplifier et féconder un mouvement qui a déjà commencé, nous sommes nombreux à tenter d’imaginer et d’enraciner une renaissance culturelle de l’Europe : pour sa dignité, pour sa capacité d’œuvrer à un monde solidaire. Est-ce trop demander ?

1. J’ai été invité à participer à la conférence internationale annuelle de la Communauté Sant’Egidio, présente dans 73 pays, espace de partage et d’inspiration.
2. Dans la collection « L’Europe après l’Europe », Éditions Le Manuscrit, sept. 2015.

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