Quel compromis européen sur le travail détaché ?

Gilles SAVARY

Ancien député PS de Gironde (9e circonscription)

La directive sur les travailleurs détachés déchaîne les esprits et a été maintes fois évoquée au cours d’une campagne présidentielle qui n’a pourtant que peu permis d’évoquer des sujets de fond. Le député Gilles Savary, dont le mandat vient de s’achever, revient sur les trois conditions qui pourraient permettre une vraie révision de la directive si controversée.

Le projet de directive Thyssen, modifiant la directive détachement des travailleurs de 1996, résoudra-t-il l’épineux enjeu des travailleurs détachés, objet de bien des prises de position démagogiques lors de la récente campagne présidentielle en France ?
De fait, le statut de « travailleur détaché » ne trouve pas son origine dans la construction européenne, qu’il a largement précédée, et reste indispensable à l’accompagnement des échanges commerciaux internationaux, dans l’intérêt primordial de grands pays expor¬tateurs comme la France. Il ne saurait donc être question de le supprimer purement et simplement comme plusieurs candidats populistes l’ont laissé entendre.
Comme les décisions européennes se prennent à 27 et que les intérêts des États membres demeurent très contradictoires, la proposition Thyssen sera le fruit d’un compromis, et non le fait d’un État, fût-ce la France, grand pays détacheur par ¬ailleurs ! Alors que des législations particulièrement contraignantes ont été prises par plusieurs grands pays européens – notamment la France et l’Allemagne – pour encadrer le travail détaché et lutter contre les fraudes complexes dont il fait l’objet, trois conditions restent nécessaires à l’obtention d’un accord raisonnable au Conseil européen.

Trois conditions
• La première condition, bien identifiée par la résolution de l’Assemblée Nationale du 11 juillet 2013, a trait au renforcement de la régulation communautaire. Il s’agit de faire prévaloir le principe de subsidiarité, qui, dans ce domaine, suppose un renforcement de la régulation communautaire à deux niveaux essentiels :
– Il s’agit, en premier lieu, de mieux contrôler la réalité de l’emploi permanent des travailleurs dans l’entreprise qui détache, et l’activité domestique substantielle de cette entreprise dans le pays d’origine. Ainsi il pourrait être envisagé de bannir les entreprises boîtes aux lettres (au même titre que la liste noire du secteur aérien). Au plan des outils, l’Assemblée Nationale française a préconisé la mise en place d’une carte européenne individuelle du travailleur détaché et la création d’une agence européenne du travail mobile permettant d’améliorer substantiellement la traçabilité du détachement intra-européen !
– Clarifier et préciser la définition du détachement dans le marché intérieur, en supprimant la possibilité de détacher un travailleur d’une entreprise d’intérim et en obligeant cette dernière à s’établir dans les pays d’accueil à leurs conditions fiscales et sociales. C’est aujourd’hui essentiellement le détachement d’intérim et ses sophistications difficilement contrôlables, qui nourrissent les fraudes les plus complexes et les plus coûteuses à démêler et à sanctionner ! Cette disposition serait, à elle seule, suffisamment robuste pour mettre un terme à la source essentielle des fraudes au détachement.
• La deuxième condition, la plus difficile à obtenir, est de convaincre les États membres à l’origine de l’essentiel des prestations de services internationales, qu’il est absurde que leur main-d’œuvre la mieux formée soit condamnée à se détacher à l’étranger, alors que leurs marchés du travail sont déjà menacés de dumping par un recours de plus en plus massif à des travailleurs low cost recrutés dans les pays tiers…
• Enfin, dernière condition, les pays d’accueil doivent cesser de faire de l’Europe le bouc émissaire de leurs propres problèmes internes. Si le recours à des travailleurs détachés européens se développe rapidement, c’est souvent pour pourvoir à des emplois que les travailleurs des pays d’accueil (les Français en l’occurrence) ne veulent plus occuper. Le recours à la prestation de service internationale, dans des secteurs comme l’agriculture, l’hôtellerie et la restauration, le BTP, la construction navale ou la chaudronnerie, trouve aussi sa source dans des pénuries de main-d’œuvre nationale.
Il est important que les Français, et en particulier la classe politique, regardent cette réalité en face, et se convainquent qu’une part de la solution au problème qu’ils imputent à l’Europe dépend de nos politiques de l’emploi.
C’est au prix d’un effort de vérité et de pédagogie publique contre les démagogies populistes et xénophobes que l’on aura quelque chance de convaincre nos partenaires européens de la nécessité d’un compromis raisonnable et solide sur cette question complexe !

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