Pour une transition numérique sans perdants

Franca SALIS MADINIER

Secrétaire nationale CFDT Cadres et rapporteure de l’avis du CESE européen « La gestion des transitions dans un monde de travail numérisé » (SOC/578), juillet 2018

Dans son rapport remis au Comité économique et social européen sur la gestion du travail dans un monde numérisé, Franca Salis-Madinier revient sur les défis à relever en Europe et surtout esquisse des pistes pour y répondre.

À la demande de la présidence autrichienne (juillet-octobre 2018), un avis exploratoire portant sur « la gestion des transitions, dans un monde de travail numérisé » a été rendu par le Comité économique et social Européen (CESE), expression de la voix de la société civile en Europe.
Le CESE affirme qu’une transition numérique juste ne doit pas exclure de citoyens ni faire de perdants. Pour bénéficier à l’ensemble des citoyens, travailleurs et entreprises européennes, une transition numérique doit prendre en compte un certain nombre d’enjeux.
L’urgence existe alors que 47 % de citoyens en Europe sont des « analphabètes digitaux ». Ce sont des citoyens qui ne maîtrisent pas les outils numériques et qui ne peuvent pas exercer un métier qui requiert des compétences numériques. La question des compétences à assurer pour que les citoyens puissent faire face à la transformation des métiers et des emplois sous l’impulsion des évolutions et ruptures numériques est urgente. Pour ce faire il est nécessaire de transformer les formations initiales et continue afin de développer non seulement les aptitudes numériques mais aussi les compétences créatives et critiques indispensables dans le monde de demain. Mais les citoyens européens ne sont pas exposés d’une manière égale au risque d’automatisation et de robotisation. Les différences entre pays, face à ces phénomènes, sont profondes. Le risque d’automatisation est en effet plus ou moins important en fonction des entreprises et de leur anticipation (ou pas) et investissement dans les nouvelles technologies, des secteurs industriels du pays, des qualifications des travailleurs. Le CESE propose que les aides soient en priorité orientées vers les pays les plus exposés.

Le deuxième enjeu est posé par les nouvelles formes de travail, notamment celles créées par les plateformes qui remettent en question la pérennité du système collectif de protection et de sécurité sociale européen, basé sur des formes de travail traditionnel et des contributions salariales. La désintermédiation du travail de plateformes fait éclater ce fondement et pose le problème – pour les travailleurs qui tirent leur revenu principal de ce type de travail – de l’accès aux protections sociales, au droit à la représentation et à la négociation collective, du droit à la formation, à la santé et à la sécurité au travail.

Sous-représentation des femmes

Le troisième défi est celui de l’égalité hommes-femmes. Tous les pays en Europe sont confrontés à une sous-représentation des femmes (17 %) dans les filières à forte composante numérique. Ces emplois, qui seront davantage reconnus demain, risquent d’accroître les écarts en matière d’égalité tant salariale que d’évolution professionnelle et de qualité de l’emploi.
Quatrième défi : le développement de l’intelligence artificielle (que l’évolution numérique avec la surpuissance des calculateurs et le stockage des données massives rend opérationnelle) et de ses utilisations. Si l’intelligence artificielle offre de magnifiques opportunités (pour les personnes à mobilité réduite, pour l’apprentissage, pour libérer les travailleurs des tâches routinières et pénibles…) elle représente aussi d’énormes enjeux pour la sécurité des citoyens, pour la préservation de leurs données personnelles et de la vie privée, pour la place de l’humain dans les lieux de décision (lieux de travail ou dans la société civile). Elle constitue également un défi majeur pour notre démocratie et pour la place de l’Europe dans l’échiquier mondial.

Le CESE suggère quelques pistes :
– assurer des fonds de financement suffisants pour accompagner la transition numérique : seul 0,3 % des dépenses publiques totales de l’UE sont destinées aux politiques sociales. Des ressources suffisantes dans le cadre du plan budgétaire de l’UE post-2020 doivent être mises à disposition ;
– revoir les contenus des formations afin qu’elles assurent les bonnes compétences aux travailleurs pour un niveau d’emploi élevé et durable, de bonnes conditions de vie et de travail ;
– promouvoir et favoriser l’accès des femmes dans les secteurs à forte composante numérique et adopter des mesures adéquates pour le favoriser ;
– raviver le dialogue social, instrument indispensable pour assurer une transition qui ne laisse personne au bord de la route, qui anticipe et réponde aux enjeux de précarité, d’exclusion, de formation et pour garantir le contrôle de l’humain sur la machine.

Afin que l’intelligence artificielle soit réellement au service des travailleurs et des citoyens !

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