Pour un budget européen de notre temps

Hervé JOUANJEAN & Carole ULMER

Vice-président de Confrontations Europe et ancien DG Budget à la Commission européenne

Directrice des études à Confrontations Europe

Créer un budget pour la zone euro est un sujet à la une. Mais ne risquons-nous pas de passer à côté de cette autre bataille clé qu’est le budget européen ? Technique, ce budget commun est mal connu des citoyens et pourtant vouloir réformer l’Union européenne passe nécessairement par cette bataille budgétaire.

Historiquement, le budget européen constitue un bon indicateur de l’ambition européenne des États membres aux divers stades d’évolution de la construction européenne. Concentré dans un premier temps sur la Politique agricole commune (PAC), il s’est progressivement ouvert aux défis des disparités régionales considérablement amplifiées par les élargissements successifs. Compte tenu du poids respectif des intérêts de chaque État membre et de la priorité donnée à la réduction de la dépense depuis la crise, le budget s’est d’une certaine façon « fossilisé » sur les acquis du passé. Dans l’Union européenne d’aujourd’hui, les enjeux européens vus par les citoyens dépassent largement ceux de l’agriculture et de la cohésion. Le système doit reprendre un nouveau souffle.

Le sujet est éminemment politique. Pour qu’un budget européen de notre temps voie le jour, les États membres doivent accepter qu’un meilleur exercice de leur souveraineté passe par des actions communes au niveau communautaire.

À quoi devrait servir ce budget commun ? Une première priorité serait de construire des « Biens communs » qui viendraient compléter l’approche du Marché intérieur par des moyens dédiés dans des champs d’intérêt commun. Cela comprendrait notamment une PAC renouvelée, de nouvelles politiques communes financées (défense, politique migratoire, secteurs industriels clés, économie décarbonée…) mais aussi les enjeux en termes de construction d’infrastructures communes, d’investissements dans la sphère trop délaissée de la formation.

En deuxième lieu, nous retiendrions l’idée d’une fonction « solidarité » afin d’accompagner les réformes structurelles menées par chaque État. L’Union européenne est hétérogène, les besoins de l’Allemagne ne sont pas ceux de la Grèce. Être ensemble dans l’Union pousse chaque État à faire des pas dans divers domaines, il faut les soutenir, les fonds de cohésion devraient accompagner ces réformes. La Pologne doit revoir son mix énergétique, il faut l’aider et non la stigmatiser. Si la Grèce fait de difficiles réformes internes, il faut encourager l’investissement dans son économie pour l’aider à faire repartir sa croissance.

Une troisième fonction porterait sur la stabilisation. Nous ouvririons un chapitre en faveur d’actions conjoncturelles. Face à la crise, la politique monétaire ne peut pas tout ; un budget de stabilisation permettrait le financement d’actions visant à lutter contre les chocs en favorisant l’action d’un multiplicateur budgétaire. Un tel fonds de stabilisation pourrait avoir le Mécanisme Européen de Stabilité pour embryon, mais un véritable contrôle parlementaire devrait s’y ajouter.

Enfin, un quatrième étage de la fusée devrait être lié à la création d’une Union bancaire et avec elle d’une garantie commune des dépôts, et d’une Union des marchés de capitaux : cela pose la question d’un budget « fédéral » activable en dernier recours.

Ne pas verrouiller le budget

Moderniser le budget commun passe aussi par une révision de ses principes. Nos différentes « sections » sont poreuses et des chevauchements réels existent : la flexibilité entre les années et entre les catégories de dépenses doit être améliorée. Qui sait que Galileo n’aurait jamais vu le jour si les prévisions sur le niveau de la dépense agricole n’avaient pas été surévaluées sur la période 2006/2013, laissant ainsi des marges qui ont permis de sauver le projet ? La clause de révision à mi-parcours du cadre financier ne devrait plus être contrainte par un vote à l’unanimité, mais bénéficier d’un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, ce qui permettrait de réviser le cadre financier pour tenir compte de l’évolution des besoins deux ou trois ans après sa mise en œuvre, au lieu de verrouiller le budget pour 5 ou 7 ans.

La crise économique l’a prouvé, la contribution budgétaire des États membres occupe une place beaucoup trop importante dans le financement du budget européen. Il est essentiel de revenir à un système de financement qui soit construit sur de vraies ressources propres. Quelle nouvelle ressource privilégier ? Le rapport Monti a ouvert la voie : une part de l’impôt sur les sociétés ; une taxe sur la libre circulation des capitaux, une taxe sur la libre circulation des données, bref une recette dont le produit serait directement lié au fonctionnement du marché intérieur dans l’esprit de la démarche qui a conduit à faire des « droits de douane » une ressource propre.

L’opinion publique semble majoritairement avoir repris goût à l’Europe. Elle peut faire bouger les choses dans la mesure où les politiques ne pourront que l’écouter et devront agir. Dans ce contexte, la tenue de « Conventions démocratiques » pourrait être un instrument utile. Faisons du budget commun un sujet de débat démocratique pour les citoyens européens !

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