Politique commerciale de l’Union européenne

Hervé JOUANJEAN

Vice-président de Confrontations Europe, ancien directeur général à la Commission européenne et Of Counsel auprès du cabinet Fidal

Faute d’être parvenue à introduire les dimensions environnementales et sociales à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Union européenne a choisi la voie d’accords bilatéraux comme avec le Canada (CETA) pour tenter d’orienter les règles internationales.

Il aura fallu l’épisode wallon autour du CETA pour que la problématique des accords commerciaux avec les pays tiers revienne sur le devant de la scène, alors qu’étaient oubliées les tensions de l’Uruguay Round qui a donné naissance à l’OMC. Paul Magnette, le ministre-président de Wallonie, a été largement critiqué pour s’y être opposé. Pourtant, le Parlement wallon ne s’est pas prononcé brutalement contre le libre-échange dont il a reconnu publiquement les mérites. Le débat s’est concentré sur le fond et, un an après cet événement, il est avéré qu’il a probablement contribué à cristalliser une évolution de la politique commerciale déjà engagée par l’Union européenne mais jusqu’ici peu appréhendée par une opinion publique réticente.

Au sein du GATT établi en 1947 pour offrir un cadre stable aux échanges, la méthode suivie a consisté à conclure des accords visant, sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels, à la réduction substantielle des tarifs douaniers et des autres obstacles au commerce et à l’élimination des discriminations en matière de commerce international. Les principes de base étaient très simples : respect de la clause de la nation la plus favorisée assuré par toute Partie Contractante aux autres Parties Contractantes et traitement national pour tous les produits originaires d’autres parties contractantes du GATT vendus au sein du territoire d’un membre.

C’était du bon sens permettant de mettre fin aux errements de la période d’avant-guerre. La valeur des concessions de chaque Partie était établie en calculant le montant de droits de douane perçus qui seraient éliminés. Les avantages commerciaux étaient donc exprimés uniquement en termes financiers. Des disciplines étaient mises en place pour encadrer la gestion des barrières dites « non tarifaires » et le recours aux instruments de protection commerciale (anti-dumping, antisubventions). Des exceptions étaient prévues à la règle de la clause de la nation la plus favorisée pour permettre la mise en place d’unions douanières ou de zones de libre-échange. En bref un système conçu de manière étanche autour des flux commerciaux, même si le GATT ouvrait la porte à des exceptions relatives à la santé des personnes ou des animaux, dispositions restées très marginales et dont l’utilisation était très contrôlée par les ­Parties Contractantes.

Si l’on examine les procédures de règlement des différends intervenus au cours de la vie du GATT, il faut attendre un cas relatif à la pêche au thon (1992) initié par le Mexique contre les États-Unis pour que les Parties s’intéressent à des sujets « en marge ». Il faudra aussi attendre l’année 1991 pour qu’un groupe de travail sur les mesures relatives à l’environnement et le commerce international créé initialement en 1971 se réunisse enfin. La question environnementale restera de fait traitée en marge de l’Uruguay Round qui donna naissance à l’OMC. Encore une fois, les futurs membres de l’OMC se sont d’abord préoccupés de mettre en place des règles favorisant leurs intérêts commerciaux dans les secteurs des services et de la propriété intellectuelle, en cohérence, il est vrai, avec le mandat qu’ils s’étaient donné. Une décision sera adoptée sur la relation entre commerce et environnement dans un esprit principalement défensif par rapport aux objectifs de libéralisation du commerce mondial. Quant à la question des relations entre le respect des normes sociales et le commerce international, elle sera soigneusement mise de côté.

La déclaration de Doha, de novembre 2001, a certes constitué une avancée dans la mesure où il y est reconnu que le maintien d’un système commercial multilatéral ouvert et une action en faveur de l’environnement et du développement durable pouvaient être mutuellement bénéfiques.

Force est de constater que le cycle de Doha, dit du développement, est bloqué ; le système multilatéral ne progresse plus. Il demeure cependant fondamental pour le bon ordre du commerce international mais suscite en même temps une frustration profonde. Pourquoi ? D’une part, parce que les relations commerciales restent uniquement évaluées à travers le prisme de l’argent et, d’autre part, parce que nombre de pays, en particulier les pays en développement et notamment les plus avancés, considèrent toute ouverture sur de nouveaux sujets comme de possibles menaces protectionnistes de la part des pays développés. Comme en témoignent les positions prises encore récemment par les États-Unis, certains y voient enfin une organisation qui met en péril leur souveraineté nationale. L’OMC ne parvient donc pas à devenir le lieu de gouvernance globale qu’elle aurait pu devenir à travers le commerce.

Qu’attendre de l’Union européenne ?

Face à ce blocage, quel rôle l’Union européenne peut-elle jouer ? Historiquement, c’est elle qui a tenté d’introduire dans les discussions au GATT, puis à l’OMC, les questions liées à l’environnement, à la dimension sociale et plus généralement à la maîtrise de la globalisation. Ses nombreuses tentatives se sont heurtées à un mur malgré quelques succès limités comme l’accord sur l’accès aux médicaments. Dans un tel contexte, rien d’étonnant à ce qu’elle ait choisi de privilégier l’approche bilatérale avec pour objectif de faire du « WTO+ ». Les accords bilatéraux de libre-échange ne sont pas une nouveauté en soi pour elle qui y a eu souvent recours pour des raisons initialement plus géopolitiques que commerciales. Les récents échecs de l’OMC ont favorisé l’émergence progressive d’une nouvelle politique commerciale bilatérale, en faveur de tous les pays tiers, « façonnée » de manière plus ambitieuse, mieux articulée et répondant plus aux attentes de citoyens de plus en plus déboussolés par la mondialisation.

La déclaration commune adoptée le 4 décembre dernier à l’issue de la première réunion du Comité ministériel conjoint (CMC) UE-Canada est porteuse de cet espoir. Elle réaffirme la volonté commune de mettre en place un programme progressiste pour un commerce libre et équitable et de lutter contre le protectionnisme. Elle souligne l’importance de cet accord pour orienter les règles du commerce mondial et faire progresser des normes élevées en matière de commerce et d’environnement. Ce sont des mots certai­nement déjà lus dans des déclarations passées, mais le contexte ­politique a changé.

Cette déclaration traduit l’évolution en cours au sein de la Commission qui, dans une récente communication(1), s’est engagée sur plusieurs points : le respect des objectifs de politique publique et des principes clefs en matière de gouvernance mondiale, notamment concernant le développement durable ; une transparence fortement accrue avec la publication des directives de négociations, transmises aux Parlements nationaux en même temps qu’au Conseil, le recours plus systématique aux consultations publiques, le renforcement des études d’impact, et enfin la mise en place d’un dialogue avec la société civile. Durant les négociations, des documents d’information et de négociation seront aussi mis en ligne. Toutes ces initiatives devraient permettre une participation active et en temps utile des parties intéressées au débat.

Au-delà des soubresauts du quotidien, une nouvelle approche de la politique commerciale prend forme au niveau européen. Beaucoup de travail reste à accomplir pour persuader les opinions publiques que l’ouverture reste la bonne approche pour protéger leur niveau de vie et leurs emplois. Une ouverture conditionnée à un renforcement de la gouvernance mondiale et au partage de valeurs communes. Les tensions actuelles au niveau mondial offrent paradoxalement de vraies opportunités pour avancer. La voie des accords bilatéraux est la bonne. L’Union européenne devra s’assurer que les engagements pris sont respectés et il conviendra qu’elle dispose des bons instruments et de volonté politique pour agir, le cas échéant. Les récentes évolutions en matière d’instruments de défense commerciale sont un bon indicateur.

1) Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des Régions. COM(2017) 491 Final « Pour une politique commerciale novatrice qui maîtrise la mondialisation ».

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