Mobilité durable : réguler et innover ?

Edouard SIMON

Membre du conseil d’administration de Confrontations Europe

Souvent pointée du doigt pour son effet sur l’environnement et le climat, l’automobile est également porteuse de fortes promesses de mobilité durable pour demain. Encore faut-il que le cadre de régulation permette à celles-ci de se concrétiser.

Les termes du débat sur les liens entre régulation et innovation sont connus de longue date : la régulation du comportement des acteurs économiques est-elle nécessairement un frein à l’innovation ? Ou peut-elle, au contraire, permettre d’orienter les processus d’innovation vers la réalisation d’objectifs d’intérêt général ?

L’industrie automobile est actuellement au centre de telles interrogations et ce du fait de la combinaison de trois facteurs. Tout d’abord, l’automobile, qui est l’une des principales sources d’émission de gaz à effet de serre et de consommation d’énergie, est directement concernée par les efforts que doit entreprendre l’UE à la suite de la COP21. Par ailleurs, cette industrie connaît des mutations particulièrement profondes tant du point de vue technologique (voiture connectée, voiture autonome, voiture électrique) que de celui des usages (autopartage). Enfin, les enjeux économiques et sociaux sont extrêmement importants pour l’UE (l’industrie automobile représente environ 12 millions d’emplois directs et indirects, selon The European Automobile Manufacturers’ Association – l’ACEA) et posent le préalable du maintien de la nécessaire compétitivité de l’industrie européenne.

Or, se dessine une tension entre le besoin d’une orientation des processus d’innovation vers les objectifs sociétaux (l’avènement des voitures autonomes peut aussi bien permettre de diviser que de multiplier par deux l’intensité énergétique des véhicules, selon le think tank Transport & Environment) et la nécessité pour les acteurs économiques de tester de nouveaux modèles économiques en dehors de contraintes réglementaires trop fortes.

L’initiative Drive-me à Göteborg

Par ailleurs, différentes études(1) ont démontré que si les réglementations en matière environnementale dans le secteur automobile ont un effet positif indéniable sur l’innovation incrémentale, elles échouent à promouvoir l’innovation dite radicale ou de rupture. Or, ce sont bien des technologies de rupture qui bouleversent aujourd’hui – ou sont sur le point de bouleverser – le paysage industriel automobile (intelligence artificielle, par exemple). Il est essentiel, pour la compétitivité de l’industrie européenne, d’en promouvoir le développement en Europe.

Le développement d’initiatives comme Drive-me, menée par la Région de Göteborg (Suède), semble apporter une première esquisse de réponse à ce dilemme. Il s’agit, de fait, du projet pilote le plus important au monde en matière de voiture autonome. En associant industriels, pouvoirs publics, usagers, etc. en amont de la phase de commercialisation, ce type de démarche permet de valider les hypothèses en termes d’usages des innovations de rupture et d’identifier notamment les besoins d’encadrement. C’est cette pratique inclusive qui assure un co-développement synchronisé des processus d’innovation et des activités de régulation. Philippe Herzog plaide(2), « pour favoriser le développement de partenariats entre secteurs privé et public, afin de marier l’inventivité et l’innovation de l’un, l’expérience et la proximité du service aux populations de l’autre ». C’est cette association d’acteurs qui pourrait contribuer à l’avènement des biens publics du xxie siècle.

1) J. Crotty & M. Smith, Environmental regulation and innovation driving ecological design in the UK automotive industry, Business Strategy and the Environment, 17 (6), 2008, pp. 341-349 ; J. Lee, F. Veloso & D.A. Hounshell, Innovation and Technology Policy: Lessons from Emission Control and Safety Technologies in the U.S. Automobile Industry, Contribution to the Sloan Industry Studies Conference, 2007 (http://isapapers.pitt.edu/139/, consulté le 9 janvier 2017) ; A. Pilkington & R. Dyerson, Innovation in Disruptive Regulatory Environments: A Patent Study of Electric Vehicle Technology Development, European Journal of Innovation Management, 9 (1), 2006, pp. 79-91.

2) Cf.  P. Herzog, Une tâche infinie : fragments d’un projet politique européen, éditions du Rocher, 2010, p. 252.

À NOTER : Cet article est librement inspiré des échanges ayant eu lieu au cours de la réunion “Sustainable mobility & industrial revolution(s): the automotive case” qui s’est déroulée le 8 novembre 2016 à Bruxelles. Le compte rendu sera prochainement publié sur le site confrontations.org.

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