Les pays de Visegrad et les réfugiés

Zuzana STEVULOVA

Avocate, Directrice de la Ligue des Droits de l’Homme (Slovaquie)

Du fait de leurs positions contre la relocalisation, les pays du « Groupe de Višegrad » (Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie) ont acquis une mauvaise image pendant la crise des migrants. Néanmoins, la région n’est pas aussi homogène qu’il n’y paraît.

Le nombre de demandeurs d’asile qui sont ou qui étaient dans la région est très faible. Comparé au nombre de réfugiés que la France ou l’Allemagne reçoivent, les chiffres de la Slovaquie ont été en déclin constant depuis 2005.

En 2015, il n’y avait que 330 demandeurs d’asile en Slovaquie. Sur le premier semestre 2017, il y a eu 65 demandeurs d’asile. La Slovaquie accorde à très peu de personnes une protection internationale. La seule exception est l’année 2016 : 167 personnes ont alors obtenu le statut de réfugié, parmi lesquels 149 Irakiens qui étaient à ce moment-là déplacés sur le territoire irakien. Il ne s’agissait en fait pas de réfugiés, mais la Slovaquie s’était mise d’accord avec les organisations caritatives américaines pour réinstaller ces chrétiens assyriens d’Irak sur son territoire, ainsi qu’en République Tchèque et en Pologne. Autrement, le nombre de réfugiés aurait été encore bien plus faible.

Jusqu’alors, la Slovaquie a relocalisé 16 personnes, dont 5 mères et 11 enfants. Cela peut poser problème pour leur intégration puisque les groupes risquant le plus de tomber dans la pauvreté sont justement les mères seules et leurs enfants, le nombre de crèches étant insuffisant. Cependant, le gouvernement a pensé qu’il était important de se focaliser sur ce groupe de demandeurs d’asile. La Slovaquie n’a réinstallé aucun réfugié et n’a pris aucun engagement sur des objectifs de réinstallation. Le gouvernement slovaque estime que la relocalisation de ces 149 Irakiens répond à son engagement pris en 2015 de réinstaller 100 réfugiés et d’en relocaliser 100 autres.

En ce qui concerne le profil des migrants, les Syriens ne sont pas le groupe le plus important de demandeurs d’asile ou de réfugiés présents en Slovaquie. Ainsi, début 2017, les Afghans représentent le premier groupe de demandeurs d’asile (13), suivis des Iraquiens (9), des Vietnamiens (7), des Syriens (7) et enfin des Libyens (5) et des Iraniens (5). Le taux de reconnaissance en 2017 le plus élevé concerne les Syriens (7 réfugiés et 1 personne sous protection subsidiaire) et les Ukrainiens (1 réfugié et 6 personnes sous protection subsidiaire).

Dans les trois autres pays du « Groupe de Višegrad », la situation est très différente. En 2015, la Hongrie a reçu un grand nombre de demandeurs d’asile (177 135) qui tentaient de traverser le territoire. Plus tard, les arrivées ont diminué du fait des contrôles de la police hongroise aux frontières. En 2017, 1 495 demandeurs d’asile sont arrivés dans le pays. La Hongrie n’a procédé à aucune relocalisation.

La Pologne enregistre un peu plus de migrants mais ceux-ci viennent majoritairement de Russie. En 2015, il y a eu 12325 demandeurs d’asile en Pologne, alors qu’en 2017 ils étaient 2 553. En République Tchèque, il y avait 1 525 demandeurs d’asile en 2015, 1 475 en 2016, et 450 à la mi-2017. 52 ont été réinstallés dans le cadre de l’accord UE/Turquie et 12 ont été relocalisés.

La situation politique globale de ces pays doit être prise en compte pour comprendre les différentes réactions qui peuvent être observées par rapport aux réfugiés. En Slovaquie, la crise des réfugiés de 2015 était présente sur la scène politique, d’autant plus que le pays était en période électorale. Après les élections en Mars 2016, le discours a complètement changé. Un des résultats de ces élections fut l’entrée au Parlement du parti néo- Nazi, favorisée par la rhétorique xénophobe des leaders d’autres mouvements, notamment du parti au pouvoir SMER (parti social-démocrate). Cependant, les politiciens ont dû adoucir leur propos lorsque la Slovaquie prit la présidence du Conseil de l’Union Européenne au deuxième semestre 2016.

En Hongrie, la situation n’est pas la même. Viktor Orban a assis son pouvoir sur une propagande d’Etat qui met à mal le travail des ONG et des organisations soutenant les réfugiés.

A l’inverse, en Pologne, le contexte est dominé par les discours identitaires. Mais au niveau régional, des initiatives citoyennes ambitieuses voient le jour et certains maires de grandes villes ne relaient pas la position du gouvernement et ont adopté des politiques en faveur des réfugiés.

La République Tchèque doit faire face à un contexte politique interne très délicat. Le Premier Ministre a annoncé à la mi-Juin qu’il ne se représenterait pas, alors qu’il venait d’annoncer qu’il ne se conformerait pas au plan européen de relocalisation et de réinstallation.

Le groupe de Višegrad est perçu à la fois à l’étranger et au sein des pays comme une région de transit. Cette vision empêche les parties prenantes et les décideurs d’appréhender différemment l’enjeu migratoire. A moins de faire évoluer cet état d’esprit, on ne peut s’attendre ni à un changement de politique, ni à une évolution des comportements favorisant la venue de demandeurs d’asile dans la région. Afin d’éviter les déplacements secondaires des demandeurs d’asile, il faudrait rendre plus positive l’image de la région et garantir aux réfugiés des perspectives d’accueil décentes.

Un autre facteur-clef de l’enjeu des migrations dans la région est la notion de sécurité des frontières de l’UE. Pour entrer dans l’espace Schengen, la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne ont dû remplir des critères stricts relatifs à la sécurité des frontières extérieures de l’UE. Cela a conforté leur rôle de garants de la sécurité des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine.

Selon moi, l’objectif devrait être est de bâtir une forme de confiance en mettant en place un système d’asile plus ouvert, permettant d’accueillir les réfugiés arrivant dans la région. L’intégration des réfugiés passera par des politiques plus volontaristes.

LA SLOVAQUIE, UN PAYS PEU ATTRACTIF POUR LES RÉFUGIÉS ?

Le marché du travail slovaque est très réduit et les salaires très bas, ce qui peut être peu attractif pour les réfugiés qui par conséquent ne souhaitent pas rester dans le pays. En ce qui concerne les demandes l’asile, nous sommes à la traîne dans l’UE. En revanche, les migrations économiques ont eu tendance à augmenter ces dernières années. Fin 2016, environ 90 000 migrants vivaient en Slovaquie, parmi lesquels seuls 40.000 étaient originaires de pays hors de l’UE. Mais l’intégration des placés sous protection internationale est difficile. La majorité des réfugiés ou des personnes placées sous protection subsidiaire se trouvent à Bratislava. Dans la capitale, il est facile de trouver un emploi non qualifié dans une usine ou un fast-food, ce qui attire les hommes les plus jeunes. Mais quand il s’agit d’emplois qualifiés, la situation devient plus difficile. Le slovaque est une langue difficile à apprendre. Par exemple, les programmes actuels d’intégration ne permettent pas d’apprentissage intensif de la langue pour des réfugiés qui reçoivent pourtant un soutien financier suffisamment important pour développer la connaissance de la langue et acquérir d’autres compétences. A titre d’exemple, des médecins qui ne parvenaient pas à trouver un emploi en Slovaquie auraient eu de bonnes perspectives dans des pays voisins, comme l’Autriche. Malheureusement c’est légalement impossible : les réfugiés n’ont pas le droit de choisir l’Etat membre dans lequel ils souhaitent s’installer. Ce qui pose un vrai problème d’intégration des réfugiés dans les petits pays de l’UE.

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