Le « Plan Juncker » en test dans les Pays de la Loire

Marie-France BAUD

Directrice du Bureau de Bruxelles, Confrontations Europe

Confrontations Europe a choisi, en organisant un forum régional à Nantes le 3 juin, de décrypter la déclinaison possible sur le terrain du plan d’investissement initié par Jean-Claude Juncker, président de la Commission. Retour sur les débats du forum : « L’Europe et vos projets d’investissement : la parole aux acteurs et aux territoires »

Revue-110-P31- Nantes
© Confrontations Europe

Le “Plan Juncker” engage un élan sur les territoires en leur offrant les marges de manœuvre nécessaires pour agir. Les territoires, leurs acteurs, ont la volonté d’y participer active- ment. » Dès l’ouverture du forum, le ton est donné par Frédéric Béatse, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire.
Le projet du « Plan Juncker » est né d’un constat alarmant mais bien identifié : l’Europe souffre d’un déficit d’investissements tant au niveau des entreprises que de la sphère publique. La nouvelle Commission a donc souhaité déclencher une dynamique d’investissements pour retrouver le chemin de la croissance et inverser la courbe du chômage en offrant des facilités financières. Le « Plan Juncker » s’articule autour du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), censé attirer sur les trois prochaines années, par un effet de levier, 315 milliards d’euros d’investissements qui viennent en complément des programmes de l’Union européenne et des activités de la Banque européenne d’investissement (BEI).
La Banque européenne d’investissement, partenaire naturel des institutions depuis 1958, sera l’instrument de sa déclinaison. « On peut parler de cogenèse entre la Commission et la BEI », affirme Antoine Quero-Mussot, expert en instruments financiers auprès de la Direction générale du budget à la Commission. Mais le budget européen, déjà programmé pour la période 2014-2020 au prix d’âpres négociations, n’offrait aucune marge de manœuvre financière. La Commission a donc proposé à la BEI un partenariat pour établir un mécanisme de garantie distinct pour les investissements générés par la BEI et soutenus par le budget de l’Union qui devient incitateur pour des projets à risques. Sur les 315 milliards d’euros qu’il devrait générer, à raison d’une centaine de milliards par an, environ 240 milliards d’euros seront consacrés aux investissements d’intérêt européen notamment dans les domaines des infrastructures stratégiques (numérique, énergie, transport), dans l’éducation, la recherche et l’innovation. 75 milliards d’euros seront dévolus au financement des PME, et, par là même à la création d’emplois. La Commission a souhaité ne pas pré-allouer les fonds par secteur ou zone géographique.
Outre le fait que l’effet de levier paraît optimiste, il ne pourra être atteint que si les investisseurs privés se mobilisent. Ils ne le feront que si un potentiel de rentabilité leur est assuré. Ce qui, par ricochet, induit une responsabilité de la part des porteurs quant à la solidité et la viabilité économique de leurs projets. Et un certain nombre de questions ont surgi : quelle ingénierie financière mettre en place ? Quelle sera l’interaction avec un système bancaire en profonde mutation et les dispositifs communautaires existants (fonds structurels, COSME, Innovfin) ? Comment susciter une coopération concrète et tangible avec les banques publiques de développement ? Ainsi, en France, le groupe Caisse des Dépôts intervient au bénéfice du financement du secteur public local, mais sa filiale à 50-50 avec l’État, Bpifrance, est, elle, tournée vers le monde entrepreneurial. Cette coopération est donc à structurer alors que l’ambition qui se fait jour avec la BEI est d’optimiser les ressources, de mutualiser et coordonner les interventions pour accompagner les projets soit en dettes, soit en fonds propres. Des instruments financiers ajustés devront permettre d’absorber plus de risques.
Dernier questionnement de taille : l’enjeu de terrain. « Comment localiser et territorialiser les projets ? », s’est interrogée Claire Charbit, responsable du dialogue avec les autorités locales et régionales à la direction de la gouvernance publique et du développement territorial de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pour les acteurs régionaux, le caractère territorial n’est pas très probant alors même que les gouvernements infranationaux représentent beau- coup pour la vie des citoyens en comptant pour 70 % de la commande publique. Il s’agit d’enrayer la chute rapide de l’investissement infra- national depuis 2010 dans un contexte de consolidation des dépenses publiques et de coupe des dotations des collectivités territoriales. L’investissement public est devenu la variable d’ajustement alors que, compte tenu de son rôle majeur dans les réseaux d’infrastructures, de communication et d’énergie, il devrait être le poumon du développe- ment et le levier de la productivité. Le député européen Jean Arthuis, ancien ministre de l’Économie et des Finances, a relevé un lourd paradoxe : « Il existe une offre abondante de ressources financières prêtes à être investies et une demande très importante des PME et des gouvernements mais cela ne s’équilibre pas spontanément ». Claire Charbit explique ce phénomène par le fait que par le passé « l’aversion au risque des financeurs est d’autant plus forte que les plans de relance de l’investissement public pris dans l’urgence pour maintenir l’emploi n’ont pas forcément apporté des leviers de compétitivité, d’inclusion sociale et d’équilibre environnemental dans la durée ».
Quels projets alors rendre prioritaires ? Bien sûr, les projets permet- tant d’améliorer la compétitivité et la création d’emplois. Mais comment s’assurer que les projets sélectionnés serviront l’intérêt commun ? Pour Isabelle Mercier de la CFDT, « le “Plan Juncker” offre la possibilité de changer la vision de l’Europe, perçue comme technocratique, si son objectif est bien de construire un nouveau modèle de développement qui préserve l’humain et l’écologie et qui respecte les critères d’investissement social et de solidarité ». Il faut qu’il y ait solidarité entre grands groupes et PME, entre territoires réactifs et zones en difficulté. Le risque existe qu’il en soit autrement. « Les investisseurs pourraient ne privilégier que les territoires où les conditions de rentabilité sont assurées », a souligné Philippe Herzog, président fondateur de Confrontations Europe. Or, il faut choisir des investissements vitaux pour les territoires et pour l’Europe fondés sur d’autres critères que la seule rentabilité financière. Il faut sélectionner des projets dans lesquels il n’y ait pas de contradiction entre les attentes de profit d’un entrepreneur, celles de ses salariés et la préservation de l’environne- ment. Sans omettre les nouveaux indicateurs régionalisés de l’OCDE qui créent un référentiel commun pour définir des projets d’avenir dont la rentabilité sera assurée par l’effort de tous. De même, « la notion de capital humain, qui associe actionnaires, salariés et clients ne doit pas être mise de côté dans l’appréciation d’une entreprise », a noté Philippe Troesch, membre du comité exécutif de Meeschaert Asset Management spécialisé dans les critères RSE.
Le « Plan Juncker » traduit une prise de conscience du long terme et ouvre de nouveaux concepts. Des nouveaux indicateurs apparais- sent tels la soutenabilité globale, la préservation de l’environnement ou encore la qualité des services produits et des relations au travail. Ils viennent compléter les critères classiques de croissance et de productivité. Les porteurs de projets ont exprimé le souhait que le mode d’emploi définitif du plan soit simple. Et se sont interrogés sur les critères de sélection qui seront choisis par le comité d’investissement logé à la BEI. Cette dernière est-elle à même de choisir l’intérêt public à notre place ? « La démarche de la BEI repose sur des analyses socio- économiques et inclut le critère de l’intérêt général. Pour faciliter le dialogue, une plate-forme d’assistance technique est d’ailleurs mise à la disposition des acteurs », a tenu à rassurer Tanguy Desrousseaux, chef de division à la BEI. De fait, l’une des grandes opportunités du « Plan Juncker » pour les régions réside dans les partenariats entre territoires et groupement de PME qui sont d’autant plus intéressants que la BEI n’examinera que les projets dotés d’au moins 25 millions d’euros. Le cluster Neopolia, qui fédère 180 entreprises des Pays de la Loire dans le domaine maritime et des énergies marines renouvelables, est déjà un bel exemple de réussite.
Le « Plan Juncker prend son envol. Le 22 juillet dernier, un accord technique a été signé entre la Commission et la BEI. Sur le terrain, des projets voient le jour. Mais « comment faire pour que ce début de bonne solution, qui vise à redynamiser le développement économique, réponde à l’élaboration d’une vraie stratégie donnant un sens à l’horizon porté par l’Europe et à nos choix collectifs d’avenir ? », a conclu Marcel Grignard, président de Confrontations Europe. C’est là toute la question d’un gouvernement de la zone euro.

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