Garder une ligne exigeante vis-à-vis du Royaume-Uni

Hervé JOUANJEAN

Vice-président de Confrontations Europe,  ancien DG Budget à la Commission européenne

Affaiblie après la défaite des Conservateurs aux élections législatives anticipées du 8 juin dernier, Theresa May
est condamnée à mettre en place un gouvernement fragile. Un épisode difficile alors que les négociations
avec l’Union européenne sont en cours et que le futur statut du Royaume-Uni n’a toujours pas de contour clair.

Le résultat des élections générales du 8 juin au Royaume-Uni est venu ajouter aux incertitudes qui caractérisent le processus du Brexit depuis l’issue négative du référendum de juin 2016. Il en a surpris plus d’un même si en substance on peut considérer que ce nouveau message des électeurs britanniques est parfaitement en phase avec le sentiment de mal-être qui a conduit une partie de la population à s’exprimer en faveur d’une sortie de l’Union européenne.
Dans la phase précédant la campagne électorale et tout au long de celle-ci, l’Union européenne a été une nouvelle fois bien souvent dépeinte comme un repoussoir, et accusée d’être la source des maux d’un Royaume-Uni confronté à une alliance continentale qui ne songerait qu’à lui créer des difficultés et à lui faire payer sa décision. Tout observateur raisonnable sait que tel n’est pas l’état d’esprit des dirigeants européens qui souhaitent que cette regrettable affaire soit réglée au plus vite et qu’une nouvelle relation s’établisse avec un Royaume-Uni enfin apaisé dans ses relations avec l’Union européenne.
À bien des égards, cette négociation qui débute enfin, peut-être, constituera un test important de la volonté politique des États membres de l’Union de continuer groupés et attachés à un projet qui reste conduit par une volonté politique sous-jacente : il ne s’agit pas seulement de vivre ensemble au sein d’un grand marché mais aussi de vivre ensemble parce que ce qui nous réunit reste un grand projet politique de paix, de prospérité et de démocratie.
L’adoption récente des lignes directrices par le Conseil européen et des directives de négociation proposées par la Commission est un facteur d’espoir. Des éléments fondamentaux instituant ce que l’on pourrait qualifier de « souveraineté européenne » y sont énoncés à savoir, l’autonomie de l’Union en matière décisionnelle et le rôle de la Cour de Justice. Ce sont là des points tout à fait essentiels et qui constituent une réponse appropriée aux interrogations qu’ont soulevées certains aspects de la lettre du 29 mars 2017 par laquelle a été notifié le recours à l’article 50 du Traité.

Coopération loyale
En effet, si le Premier ministre britannique a reconnu d’un côté que son pays ne chercherait pas à demeurer membre du marché intérieur, elle a dans le même temps exprimé le souhait que les deux parties affichent le plus haut degré d’ambition pour les services financiers et les industries de réseau, ajoutant qu’il convenait de donner la priorité d’une part à l’évolution des cadres réglementaires pour maintenir un environnement commercial juste et ouvert et d’autre part à la manière de régler les différends. Il est évident qu’une coopération loyale et la plus complète possible devra être développée avec le Royaume-Uni lorsqu’il sera devenu un pays tiers mais cela ne pourra se faire au détriment de l’autonomie de décision et de gestion de l’Union européenne.
La possibilité pour le Royaume-Uni de rester membre de l’Union douanière ou du marché intérieur est à nouveau évoquée dans le contexte du résultat des récentes élections législatives. Il est difficile d’imaginer comment un État qui a souhaité recouvrer sa liberté d’action surtout au plan international pourrait se satisfaire d’une situation où, ayant perdu son statut d’État membre, il accepterait de mettre en œuvre la politique commerciale de l’Union européenne ou sa législation sans avoir pris part à son élaboration. Si les circonstances devaient nous mener dans la direction d’une organisation de nos relations bilatérales selon un schéma de ce type, la plus grande vigilance s’imposera.
Quel que soit l’accord qui sera négocié, il conviendra bien entendu de ne pas perdre le lien entre les quatre libertés(1), mais il faudra en outre s’assurer que le triangle marché intérieur, budget, législation/Cour de justice ne soit à aucun moment mis en cause. Il y a un élément d’équilibre essentiel entre ces trois dimensions. Il n’y a pas de marché intérieur sans législation appliquée par tous sous le contrôle de la Cour de Justice. Il n’y a pas non plus de marché intérieur sans un mécanisme de solidarité entre les États membres à même d’assurer que les plus faibles qui ont ouvert leur marché aux autres États membres et notamment aux plus puissants bénéficient d’un soutien suffisant (par le biais des fonds structurels) pour atteindre le niveau moyen de développement des États membres de l’Union. C’est probablement ce que le Conseil européen a voulu souligner en se référant à l’équilibre entre droits et obligations comme un principe fondamental.
En adoptant une ligne exigeante à l’égard du Royaume-Uni pour ce qui concerne ses relations futures avec l’Union européenne, la Commission et le Conseil ont confirmé leur engagement en faveur d’une Union forte et souveraine qui ne se limite pas au seul grand marché. C’est une bonne nouvelle pour tous. Il conviendra de s’assurer, tout au long de l’exercice, que cet engagement ne faiblira pas. La nouvelle donne politique en France et les ambitions européennes affichées devraient y contribuer.

1) Il s’agit, dans le cadre de l’Union européenne, des libertés garanties par le marché unique, à savoir les libertés de circulation des biens, des capitaux, des services, des personnes.

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