Défense européenne, surtout n’allons pas trop vite !

Général(2s) Jacques FAVIN LEVEQUE

Membre du Bureau d’EuroDéfense-France

Le Conseil Européen s’est réuni le 15 décembre 2016 et a, de nouveau, brillé sur les questions de défense par… son attentisme (1).

Les conclusions du dernier Conseil sont, hélas, assez révélatrices des lourdeurs et de la lenteur du processus décisionnel au niveau le plus élevé de l’Union européenne. Le Conseil européen aurait-il oublié qu’il lui incombe de prendre des décisions pour l’avenir de l’Union, et dans le cas présent, pour sa défense à court, moyen et long terme? Les citoyens que nous sommes, de France, d’Allemagne ou de Lituanie, peuvent-ils se satisfaire du fonctionnement actuel de l’instance suprême qui a la charge d’assumer leur défense dans le contexte d’un monde aux multiples menaces?
Il se trouve qu’une disposition du Traité de Lisbonne, offerte aux Etats membres de l’UE depuis déjà 2008 et toujours inusitée, permettrait de concrétiser la volonté si souvent affichée et si peu suivie d’effets de donner un élan significatif à la Politique de Sécurité et de Défense Commune. Il s’agit de la « Coopération Structurée Permanente », terme obscur qui cache en fait l’idée de créer au sein de l’Union un noyau de pays réellement décidés à aller de l’avant dans l’intégration opérationnelle de leurs forces armées et dans la coopération de leurs industries de défense.

Proposition franco-allemande
La France et l’Allemagne ont fait part, par le truchement d’une lettre commune de leurs ministres de la Défense, en date du 11 septembre 2016, de leur souhait d’initier ce processus de coopération. Les traités européens précisent que l’adoption d’une telle proposition relève d’une décision à la majorité qualifiée (55% des Etats membres représentant 65% de la population) au sein du Conseil Européen. Chacun s’attendait donc à l’adoption le 15 décembre ou, éventuellement, au rejet de la proposition franco-allemande, qui avait pourtant reçu d’ores et déjà un accueil favorable de l’Espagne et de l’Italie. Amère déception … La question semble n’avoir pas été réellement posée, probablement par peur d’un échec, et le Conseil, dans sa grande sagesse ou plutôt dans une triste frilosité, a placé sur les épaules, certes larges et responsables, de Federica Mogherini la suite à donner à cette proposition franco-allemande qu’elle devra, avec une multitude d’autres missions mal définies, présenter au Conseil en 2017…
Et pourtant il ne serait pas difficile de prendre rapidement des décisions pour progresser en direction d’une défense commune… ne serait-ce qu’en partant de ce qui existe pour l’amener de façon pragmatique à satisfaire les exigences d’une défense européenne plus efficace ?

60000 hommes déployés dans la durée
Tenez par exemple : pourquoi ne pas tirer parti de l’initiative lancée dès 1992 là encore par la France et l’Allemagne et qui a abouti à l’existence de l’EuroCorps, tel qu’il existe aujourd’hui avec son Quartier Général à Strasbourg, capitale Européenne, ses 6 pays participants –France, Allemagne, Espagne, Belgique, Luxembourg et Pologne, sans oublier les 4 pays associés, ses 4 divisions ou brigades dédiées et sa brigade franco-allemande intégrée ?
Ne serait-il pas judicieux de prendre au niveau du Conseil Européen la décision d’emploi de ces 60 000 hommes pour la défense autonome de l’Union dans la durée ? Ne pourrait-on pas faire de l’Etat-major de cet EuroCorps, certes à condition de l’élargir à la dimension interarmée, la capacité opérationnelle permanente de planification et de conduite qui fait défaut à l’Union depuis des décennies ?
De même, pourquoi ne pas prendre au niveau du Conseil Européen la responsabilité de l’engagement effectif des Battle Groups dans les OPEX (ou opérations extérieures) de l’UE, quitte à leur donner une existence organique permanente et à en colocaliser les éléments constitutifs de chacun d’eux ? La capacité d’intervention rapide de l’Union existe, même si elle est perfectible, seules restent à arrêter les conditions d’engagement de ses unités légères dans des délais compatibles avec l’urgence inhérente au contexte international d’instabilité et d’incertitude.

Tout cela est possible à court ou moyen terme et la défense de l’Union Européenne deviendrait réalité… Il n’est pas besoin d’attendre que les actuels dirigeants français et allemand aient terminé leur mandat respectif, il est encore moins nécessaire d’attendre que le Royaume-Uni ait clairement quitté l’Union pour donner une réalité à la défense européenne….
Tout cela est du ressort du Conseil européen, tout cela dépend de la volonté politique des ses Membres, pas même de la totalité des 28, puisque l’instauration de la Coopération Structurée Permanente, relevant de la majorité qualifiée, ne nécessite l’accord que de 15, voire 19 d’entre eux…C’est en cela qu’il est légitime d’être déçu par le sommet européen du 15 décembre. Souhaitons que les sommets de 2017 soient enfin déterminants pour la défense européenne…

(1)   «… La Haute Représentante présentera, au cours des prochains mois, des propositions concernant le développement des capacités civiles, les paramètres d’un examen annuel coordonné en matière de défense piloté par les États membres, le processus de développement des capacités militaires compte tenu d’aspects liés à la recherche et technologie (R&T) et d’aspects industriels, l’établissement d’une capacité opérationnelle permanente de planification et de conduite au niveau stratégique, l’amélioration de l’adéquation, de l’employabilité et de la déployabilité du dispositif de réaction rapide de l’UE, des éléments et des options en vue d’une coopération structurée permanente inclusive reposant sur une approche modulaire et traçant les contours de projets éventuels, et la prise en compte de l’ensemble des besoins au titre du renforcement des capacités en faveur de la sécurité et du développement (RCSD) … »

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