Comment mettre la finance au service du climat ?

Alain GRANDJEAN

Économiste, associé-fondateur de Carbone 4

L’objectif de la Conférence sur le climat qui se tiendra à Paris fin novembre, est ambitieux : la hausse de la température de la planète doit rester en deçà des 2 °C.Pour y parvenir, il faut réussir à mobiliser efficacement et conjointement financements publics et privés.

Cette formidable mutation suppose des transferts massifs d’investissements : des énergies fossiles vers les énergies décarbonées mais aussi de la production d’énergie vers la maîtrise de sa consommation. Ces programmes d’investissements doivent en outre intégrer la nécessaire adaptation des populations et des infrastructures aux effets du changement Les montants en jeu sont colossaux. Au niveau mondial, il s’agit d’investir des trillions, soit des milliers de milliards, de dollars chaque année dans les secteurs de l’énergie, de l’urbanisme, du transport, de l’eau, de l’agriculture et de la forêt. Sans compter les coûts liés à la prévention des catastrophes dites naturelles.
Se désinvestir des énergies fossiles
Les budgets publics doivent être sollicités, tant pour la décarbonation de l’économie que pour l’aide à l’adaptation des pays les plus vulnérables. L’accord de Paris suppose que les « pays du Nord » financent à hauteur de cent milliards de dollars annuels à partir de 2020 les « pays du Sud ». Il faudra bien sûr pour y arriver faire significativement appel aux budgets publics. La négociation bat son plein aujourd’hui. Mais les trillions de dollars évoqués pour la mutation de l’économie supposent aussi un recours massif à la finance privée. Et il semble bien que cette voie-là prenne forme. Des acteurs financiers puissants commencent à prendre conscience du risque carbone : atteindre nos objectifs climatiques suppose de se désin- vestir des énergies fossiles qui vont être soumises à des contraintes et des taxes de plus en plus élevées et présentent donc dès maintenant un risque financier à tous les stades – extraction, production, distribution, consommation. D’autres acteurs économiques prennent des engagements climatiques au sein d’initiatives internationales, comme le Montreal carbon pledge ou la Portfolio decarbonization coalition. Des fonds d’investissement évaluent l’impact carbone de leur portefeuille d’inves- tissements. Le Fonds souverain norvégien commence à se désengager des entreprises du secteur des énergies fossiles. Inversement, de nouveaux produits financiers comme les obligations vertes apparaissent.
Sortir l’économie mondiale de la dépression
Il serait naïf de croire que ces initiatives suffiront. Mais elles montrent que si les États jouent leur rôle en s’engageant fortement dans la bataille écolo- gique et climatique et en créant les régulations nécessaires, il sera sans doute possible de mettre la finance au service du climat. Le courrier adressé par les ministres du G20 mi-avril au Conseil de Stabilité financière(1) pour qu’il travaille sur le risque climat est un pas dans la bonne direction. Tout comme l’article 173(2) de la loi de Transition énergétique qui oblige les investisseurs à mentionner dans leur rapport annuel leur exposition au risque climatique et leur contribution à la transition énergétique.
Seule une mobilisation massive des financements publics et privés et une architecture adaptée (que nous avons tenté de dessiner dans le rapport Canfin-Grandjean(1) au président de la République) dans laquelle chacun joue au mieux son rôle nous permettra de gagner cette course de vitesse. Il appartient au secteur public de donner la direction générale, de mettre en œuvre des outils efficaces : fiscalité carbone croissante et réglementations progressivement durcies dans les secteurs d’extraction et d’émission, programmes d’investissement dans la rénovation énergétique des bâtiments publics, orientation claire de la politique énergétique, garanties publiques et interventions des banques publiques d’investissement et de développement conditionnées à des objectifs climatiques… Il appartient au secteur privé de comprendre les enjeux et de prendre ses responsabilités. L’avenir de la planète, donc évidemment l’avenir économique, est à la transition énergétique.
Cette bataille énergétique pourrait nous permettre de sortir l’économie mondiale de la dépression en cours, qui risque de s’aggraver du fait des pertes de marges de manœuvre des États. Elle peut devenir pour tous les pays une grande cause enthousiasmante et source d’innovations.

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